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Les mystères du trésor de La Flotte
La découverte en 1852 de 930 monnaies gallo-romaines, dans un jardin à proximité du Clos Biret, fut passée sous silence pendant des décennies. En 2016, l’archéo-numismate Gil Arqué lui a enfin consacré un ouvrage, après en avoir fait un inventaire complet. Découverte.
C’est probablement l’un des plus beaux trésors jamais trouvés sur l’île de Ré : 930 monnaies romaines de la fin du IIIème siècle, à l’effigie de nombreux empereurs et issues d’ateliers1 de tout l’Empire romain ! Suite cette découverte extraordinaire en 18522, un épais mystère entoure le trésor de La Flotte. Plus de quatre ans après la trouvaille, seuls quelques érudits locaux sont informés, comme le prouve un courrier en date du 29 janvier 1858, conservé dans les archives du Musée Ernest Cognacq de Saint-Martin-de-Ré. Cette lettre, rédigée par Théodore Phelippot, collectionneur de curiosités et passionné d’histoire locale, est adressée à Paul Cassagneaud, conservateur du muséum Lafaille de La Rochelle. « En 1853, le sieur Fèvre Boudeau, en creusant dans son jardin un fossé à fumier à environ 0,50 m à 0,60 m de profondeur, a trouvé un vase de cuivre renfermant 700 à 800 petits bronzes romains… »
Le secret est si bien gardé qu’il faut attendre 1909, soit presque 60 ans après la découverte, pour que le trésor de « Puy Lizet » fasse l’objet d’une publication, par le docteur Emile Atgier. « En avril 1852, M. Fèvre, en creusant dans son jardin situé près du lieu dit « Puy Lizet », commune de La Flotte, découvrit au milieu de substructions anciennes, à 5 mètres de profondeur, un vase en bronze avec couvercle ayant une anse représentant un Bacchus jeune en relief. Ce vase renfermait un trésor composé de plus de 800 monnaies de bronze ou de billion… » Né en 1850, Emile Atgier n’a donc pu avoir connaissance de la découverte que par le bouche-à-oreille. Cette publication du docteur Atgier, dans le bulletin de la Société Préhistorique Française, reste toutefois très confidentielle et n’est pas destinée au grand public. « Pendant très longtemps, seuls quelques érudits ont eu connaissance de cette découverte », confirme Gil Arqué, spécialiste de numismatique et auteur d’un ouvrage sur ce trésor3.
Une villa romaine à La Flotte ?
Même le docteur Kemmerer, historien de renom sur l’île de Ré, n’en fait pas mention dans son célèbre ouvrage sur l’Histoire de l’île de Ré4. On sait seulement que le trésor est entré dans les collections de Monsieur Brisson, inspecteur de la Société Française d’Archéologie et membre de l’Académie des belles lettres et des sciences de La Rochelle à partir de 1853. La volonté de cacher la découverte (voir encadré) semble validée par le fait que l’Académie, dont Monsieur Brisson reste membre jusqu’à sa mort en 1866, n’en fera jamais mention dans ses propres publications. On perd à nouveau la trace du trésor jusqu’en 1930, lorsque le docteur Bourriau, conservateur des musées de La Rochelle, y fait référence dans un texte indiquant que les « écrivains attitrés de l’île de Ré et les journalistes n’ont pas eu connaissance de cette découverte », et qu’il a luimême redécouvert le fameux trésor en juillet 1928, oublié dans un grenier de la bibliothèque municipale ! On ne sait ni quand ni comment le trésor a atterri dans les collections municipales. Nous sommes donc presque 80 ans après la découverte de La Flotte, et le brouillard semble toujours aussi épais. Ce trésor, conservé depuis sa découverte dans différentes collections privées et publiques et à La Rochelle, fera finalement son entrée « officielle » dans les fonds des musées d’Art et d’Histoire de la ville en 1998.
En 2012, Gil Arqué est sollicité par les équipes des musées d’Art et d’Histoire de La Rochelle pour faire l’inventaire des collections de monnaies présentes dans le médailler. Ce travail considérable, qu’il vient d’achever cette année, le mène à faire la première étude complète du fameux trésor de La Flotte, dont il avait déjà entendu parler, mais qui « dormait » depuis des années dans les placards du musée d’Orbigny. En 2016, il publie le premier ouvrage entièrement consacré à ce trésor, ainsi que son inventaire complet. Au-delà des multiples « disparitions » puis « réapparitions » du trésor, de nombreuses zones d’ombres demeuraient. A commencer par le lieu exact de la découverte. « Après le croisement des différentes sources écrites et des données cadastrales, on peut penser qu’il a été probablement trouvé sur une parcelle à l’ouest de l’actuel parking du Clos Biret, explique Gil Arqué. A proximité, un ensemble thermal gallo-romain a d’ailleurs été découvert dans les années 80 ». On peut ainsi imaginer la présence d’une grosse villa5 romaine – voire d’un bourg – couvrant tout le secteur, et dont les propriétaires auraient enfoui ce magot. D’ailleurs, si les monnaies ont été frappées au IIIème siècle, peut-on affirmer que l’enfouissement du trésor date de cette même époque ? « On peut penser qu’il a en effet été enfoui à la fin du IIIème siècle. S’il y avait eu thésaurisation, on aurait retrouvé des monnaies plus récentes ajoutées dans le temps », explique le spécialiste. Reste la question majeure : pour quelle raison ce trésor a-t-il été enterré ? Là encore, l’étude de Gil Arqué permet d’avancer certaines hypothèses. Outre les monnaies frappées à l’effigie de différents empereurs romains, on trouve parmi elles des monnaies en l’honneur de plusieurs empereurs des Gaules, comme Postume ou Marius.
Période trouble
Vers 260, l’Empire romain connait une grosse période de troubles : pendant 14 ans, des empereurs « usurpateurs » vont administrer la Gaule et cohabiter avec les empereurs « officiels » romains6. « A cette époque, les frontières de la Gaule s’effondrent un peu partout, ce qu’on appelle communément les « invasions barbares ». Rome a donc envoyé des généraux pour protéger les frontières avec la Germanie, mais ceux-ci se seraient auto-proclamés empereurs des Gaules », explique Gil Arqué. Cette période sombre favorisa peutêtre des razzias de bandes armées, des actes de piraterie sur les côtes, voire d’extorsions de soldats, qui, n’ayant pas été payés, « se seraient servis sur la bête ». « Les banques n’existaient pas à l’époque, rappelle le chercheur. Il était donc courant, en cas d’insécurité, d’enfouir son argent dans son jardin ». Les archéologues ont mis au jour à Nieul-sur-Mer (sur le continent, face à La Flotte) neuf corps jetés dans un puits au IIIème siècle Après-JC, ce qui confirmerait l’existence de troubles majeurs en Aunis à cette époque. Preuve que La Flotte possède un riche passé galloromain, au même titre que le Bois- Plage7, un nouveau « gisement » de plus de 180 sesterces du second siècle a été découvert en 2008, sur la plage de l’Arnérault. « Au-delà de ces trésors numismatiques, cela montre que l’île de Ré a connu une riche antiquité gallo-romaine et qu’elle commerçait déjà avec l’ensemble de l’Empire romain », conclut Gil Arqué.
1 – D’après l’étude de Gil Arqué, les monnaies proviennent des ateliers de Rome, Milan, Trèves, Cologne, Scisia, Samosate, Viminacium ou Syzique.
2 – Selon les sources, la découverte date de 1852 ou 1853.
3 – Le médailler des musées d’Art et d’Histoire de La Rochelle. « Le trésor monétaire du IIIème siècle de « Puy Lizet » découvert sur la commune de La Flotte ». 2016, éditions Archéaunis. 25 euros.
4 – Dans l’édition actualisée de son Histoire de l’île de Ré publiée en 1888, où il présente pourtant une longue liste des découvertes antiques sur le territoire.
5 – Lieu d’habitation souvent très riche, composé de dépendances et de de bâtiments de production (viticoles ou autres).
6 – De nombreux historiens divergent sur ce sujet des empereurs usurpateurs.
7 – De nombreuses monnaies du 1er au IV ème siècle, faisant partie du médailler du Musée Ernest Cognacq, ont été découvertes sur la commune, témoignant d’une activité économique d’importance dans les premiers siècles de notre ère
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