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Les espèces tropicales sur nos côtes, signe du changement climatique ?
L’échouage régulier de physalies, une cousine de la méduse particulièrement urticante, témoigne d’un changement de la biodiversité marine. Avec le réchauffement rapide des océans, ce phénomène devrait s’accentuer. Explications.
En tout début d’année 2023, des milliers de physalies s’échouent sur les côtes vendéennes et charentaises, et notamment sur l’île de Ré. De couleur bleu électrique, avec des reflets roses, ce magnifique invertébré marin attise la curiosité des promeneurs, intrigués par cette sorte de « méduse » qu’ils n’ont jamais vue auparavant. « C’est un organisme gélatineux, mais composé de plusieurs parties indépendantes pour la nutrition, la reproduction ou les déplacements, contrairement à la méduse qui regroupe toutes ces fonctions », décrit Jean-Michel Maggiorani, biologiste à l’aquarium de La Rochelle.
Cette espèce de la famille des siphonophores, cousine de la méduse, est plus habituée aux côtes du large de l’Afrique et du Portugal que celles de l’Hexagone. Si le phénomène est récent sur nos côtes, la physalie avait pour la première fois défrayé la chronique sur le littoral aquitain en 20111. Nous étions en plein mois d’août, et près d’un millier de baigneurs avaient été piqués sévèrement, entraînant la fermeture de plusieurs plages. « Ce sont des organismes plus dangereux et plus urticants que les méduses présentes sur la côte charentaise », explique Jean-Michel Maggiorani. Dotée de filaments de 10 à 30 mètres de long, la physalie a cette capacité d’injecter son venin à longue portée. « Elle vit dans les eaux tropicales, beaucoup plus pauvres en plancton. Comme elle ne peut se permettre de louper la moindre proie, la physalie s’est dotée de ces filaments très longs et urticants qui représentent une arme extrêmement puissante », commente le biologiste. Un simple contact peut provoquer une piqûre, mais lorsqu’un baigneur se trouve entortillé par un de ses filaments, il peut subir de nombreuses brûlures, potentiellement graves chez les personnes fragiles. Les principaux symptômes sont les vomissements, les maux de tête, mais également des crises de tachycardie, voire des atteintes respiratoires ou circulatoires. On estime que 10% des cas de piqûres nécessitent une hospitalisation. Le 31 juillet dernier, sur la plage de Contis, trois baigneurs ont été héliportés vers l’hôpital de Dax après de graves piqûres. En outre, l’action du venin peut entrainer des pertes de connaissances. « Le principal risque est alors la noyade », commente Jean-Michel Maggiorani.
Migrations à double sens
En Charente-Maritime, quelques promeneurs ont repéré des spécimens échoués début août (voir photo), notamment du côté de Vaux-sur-Mer, mais leur nombre est impossible à quantifier. « C’est difficile à évaluer car on en entend surtout parler lorsqu’il y a des accidents et des besoins d’hospitalisation. En ce moment, ce n’est pas le cas », commente Jean-Michel Maggiorani. Contrairement aux méduses qui se déplacent surtout au gré des courants marins, la physalie a également cette capacité de se déplacer avec le vent. Un petit appendice, qui dépasse légèrement à la surface de l’eau, joue le rôle d’une véritable voile ! D’où son surnom de galère portugaise, qui évoque les célèbres voiliers lusitaniens. Si les arrivages de physalies sur nos côtes sont donc très dépendants des courants et des vents dominants, tout porte à croire qu’elles pourraient s’installer durablement sur la façade hexagonale. « Avec le réchauffement climatique, on peut s’attendre à les voir de plus en plus. Plus l’eau se réchauffe, plus elles vont trouver des conditions propices pour se reproduire et se nourrir », commente le biologiste.
Lorsque la température maximale de l’eau était habituellement comprise entre 20 et 22 degrés l’été, elle est désormais comprise sur la façade atlantique entre 22 et 24°. La mer Méditerranée connait une « tropicalisation » encore plus marquée, avec des températures maximales proches de 28° cet été. Logiquement, de nouvelles espèces y trouvent des conditions beaucoup plus favorables. Sur la côte basque, c’est une microalgue tropicale, Ostreopsis, qui fait parler d’elle depuis 2021 en provoquant des intoxications et des fermetures de plages2. Outre les physalies, les biologistes ont constaté ces dernières années l’arrivée sur la côte atlantique de certaines espèces de barracudas, de balistes et de carangues. Ces nouvelles espèces, qui se nourrissent de nombreuses larves de poissons ou de crevettes, entraînent une raréfaction des ressources et entrent en compétition avec les espèces déjà présentes sur nos côtes. « Ça peut fortement perturber la biodiversité locale, et même devenir un fléau », estime Jean-Michel Maggiorani. Au-delà de ce phénomène, c’est le réchauffement climatique même qui pourrait entraîner une migration massive des espèces endémiques, toujours à cause du réchauffement des océans. « Les migrations se déroulent dans les deux sens, avec l’arrivée de nouvelles espèces et le départ d’autres. Celles présentes sur nos côtes risquent de migrer vers des eaux plus froides au nord, plus adaptées à leur métabolisme », explique le spécialiste. Ainsi, les scientifiques ont déjà constaté une raréfaction de poissons comme la morue, la baudroie ou le tacaud, partis chercher des conditions plus favorables au nord. « Et ce phénomène ne fera que s’amplifier », prévient Jean-Michel Maggiorani.
Mathieu Delagarde
- Une envenimation collective avait déjà eu lieu en 2008, mais seulement sur une plage des Landes.
- D’origine tropicale mais déjà présente en Méditerranée depuis une vingtaine d’années, elle peut provoquer des symptômes de type grippal (forte fièvre et toux), des irritations cutanées et des troubles gastriques. Près d’un millier de personnes en ont été victimes depuis son apparition sur la côte basque.
Le choc anaphylactique découvert grâce au venin de physalie
En 1901, le prince Albert 1er de Monaco convie le professeur Charles Richet et le zoologiste Paul Portier à une expédition océanographique au Cap-Vert et aux Açores pour étudier la nature du poison contenu dans les physalies. A l’époque, on avait remarqué que les pêcheurs, en contact avec les physalies, subissaient des lésions cutanées très douloureuses. De retour au laboratoire de physiologie de la faculté de médecine de Paris, Richet et Portier expérimentent en 1902 le phénomène de choc anaphylactique (réaction allergique sévère à certaines substances) en injectant des doses de toxines de physalie sur des chiens. Charles Richet poursuivit ses travaux sur l’anaphylaxie de 1902 à 1911, pour lesquels il reçut le prix Nobel de médecine en 1913.
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