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Les Chevrier, huit générations de marins-pêcheurs
Dans cette famille flottaise originaire de Vendée, rares sont ceux qui n’ont pas consacré leur vie à la mer. Patrick Chevrier, ancien patron du Jemapa, nous dresse le portrait* de cette famille au destin hors du commun.
Dans les années 1950, Patrick Chevrier se souvient du petit port de La Flotte, qui avait du mal à contenir une flottille de 70 bateaux de pêche. Certes, le déclin de la pêche, à La Flotte et sur l’île de Ré, avait déjà commencé depuis plusieurs décennies, la fin du XIXème siècle représentant le dernier véritable « âge d’or » de cette activité (voir encadré). Mais La Flotte a conservé, tout au long du XXème siècle, une tradition de pêche au large. Du moins jusqu’aux années 80-90, quand les plaisanciers ont peu à peu remplacé les ouvriers de la mer, symbole d’une économie désormais tournée vers le tourisme. Un seul marin a fait de la résistance, avec son bateau Jemapa, jusqu’en 2009 : Patrick Chevrier. Dernier témoin de l’histoire de la pêche à La Flotte, il est aussi l’héritier d’une tradition familiale de huit générations de marins ! La généalogie connue des Chevrier remonte à l’époque du roi Louis XIII, avec la naissance en 1640 de Jean Chevrier, cultivateur à Saint-Hilairede- Riez. Mais ce n’est qu’en 1813 qu’on trouve la trace d’un premier marin : Jacques Chevrier, cultivateur et pêcheur à Saint-Hilaire-de-Riez, sur la côte vendéenne. Son fils Constant, né en 1845, devient marin militaire sur le « Cassard » puis pêcheur aux Sables d’Olonne. Né en 1893, Charles, arrièregrand- père de Patrick Chevrier, fait construire son bateau « Le Français » pour pêcher le thon blanc dans le golfe de Gascogne. Emile, le grandpère, débute à 13 ans comme mousse et finit sa carrière comme passeur à la Chaume.
Ancrage à La Flotte
Maurice Chevrier, le père de Patrick, né en 1920 aux Sables d’Olonne, démarre comme mousse avant de dédier sa carrière à la pêche au chalut, au thon puis à la pêche côtière. Son mariage en 1938 avec une fille Brochard de La Flotte va ancrer définitivement les Chevrier au petit port rétais. En 1960, Maurice décide de rapatrier toute la famille sur l’île natale de sa femme Raymonde. Comme la plupart des femmes de marins, Raymonde Chevrier doit gérer le foyer toute seule, pendant les longues campagnes de pêche. En plus de l’éducation des six enfants, des tâches ménagères et des démarches administratives, elle travaille, comme beaucoup de femmes de marins vendéens, pour les conserveries de thons et de sardines Gracie et Saupiquet. Le « p’tit Maurice », le fils aîné de la famille, commence comme mousse à l’âge de 13 ans, avant de devenir matelot sur des campagnes de pêche au thon. Suite à un naufrage le 12 juillet 1961, qui le marque à jamais, Maurice décide d’arrêter la pêche au thon et fait construire son propre bateau, « La Petite Pascale », un ligneur pour la pêche à la palangre et aux casiers. Il rejoint finalement le berceau familial sur l’île de Ré pour prendre les commandes du Santa Thérésa après les soucis de santé de son père. « Partir en mer, c’est comme partir à la guerre : on revient mais la mer nous prend », avait-il coutume de dire. Il continuera la pêche jusqu’en 1993, année où il tombe malade. Sculpteur talentueux, il s’était pris de passion pour la sculpture sur bois, réalisant en miniature le bateau de son grandpère, « Le Français ». Jean Chevrier, le second de la fratrie, nait aux Sables d’Olonne en 1943 et choisit lui aussi le métier de marin. Il embarque sur « L’Ogré du destin », un navire de 19 mètres sur lequel il pratique la pêche au chalut et la pêche au thon jusqu’en 1962. En 1965, il rejoint la famille sur l’île de Ré et achète « Les Mouettes » pour pratiquer la pêche aux filets maillants et au pétoncle. Après des soucis de santé, il finira sa carrière professionnelle comme chauffeur de camion. Née en 1946, Chantal Chevrier, seule fille de la fratrie, est embauchée à l’âge de 15 ans dans les conserveries Saupiquet. Après avoir appris son métier de couturière dans une entreprise de fourrure, elle réalise ses propres créations de fourrure et de cuir, qu’elle expose à Paris puis La Rochelle de 1980 à 2005. Quant à Michel Chevrier, il commence la pêche à bord du Santa Thérésa avec son père puis effectue son service militaire sur le croiseur De Grasse en Polynésie. Il rejoint ensuite la famille à La Flotte, exerçant la pêche au pétoncle et aux coquilles Saint- Jacques, avant d’acheter un bateau de 8 mètres, Le Pescadou, pour faire de la pêche côtière au large de La Flotte. Christian, seul garçon de la famille à échapper au destin de marin-pêcheur, passera sa vie… à naviguer ! Engagé dans la Marine nationale à 17 ans, il fait ses classes à Rochefort puis obtient rapidement le grade de second puis premier maître avant d’embarquer sur la frégate « Suffren » comme secrétaire principal auprès du commandant. Il entre à l’école d’officiers et sort promu plus jeune officier de la Marine nationale. En fin de carrière, il prend le grade de capitaine de vaisseau et reçoit l’ordre national du Mérite. « C’est la grande fierté de la famille », avoue Patrick Chevrier.
Une vie au large
Né en 1954 et formé à l’école des Mousses de Port-Neuf, Patrick Chevrier, le cadet de la fratrie, embarque à seulement 14 ans comme novice puis matelot sur le « Jean Nicole II ». A 16 ans, il prend le grand large sur un thonier de vingt mètres, le Louisa, pour des campagnes de pêche d’environ un mois. Le périple commence par huit jours de mer, le temps de rejoindre les Açores et les premiers bancs de poissons. Puis c’est la remontée, en suivant celles des thons, vers l’Atlantique nord, jusqu’aux côtes écossaises ! A bord, les conditions sont spartiates pour les six marins. Les 1000 m3 d’eau douce embarquée à bord servent uniquement pour la cuisine et l’hydratation des marins, les douches attendront le retour à terre… La viande est conservée tant bien que mal dans la glace de la cale du navire. « Au bout de 15 jours de mer, on ne mangeait plus que du thon, matin, midi et soir », rigole Patrick Chevrier. Le marin-pêcheur gagne mieux sa vie qu’un ouvrier à terre, mais à quel prix ! 18 à 20 heures de travail par jour, des nuits de 4 heures maximum, et lorsque le poisson est au rendezvous, des périodes de 80 heures sans sommeil… A cette époque, 17 équipages locaux pêchent encore au large des côtes du Golfe de Gascogne, remontant dorades, soles, lottes, céteaux, homards, crabes, thons et merlus. Le « Louis-Monique », dernier thonier de La Flotte, part sur des campagnes de 30 jours sur les côtes espagnoles. Après 40 ans de large et quelques problèmes de santé, Patrick Chevrier est embauché à la régie des passages d’eau, entre La Pallice et l’île de Ré. Mais l’ouverture du pont en 1988 sonne le glas des bacs, et Patrick retourne à ses premiers amours : il fait construire son propre bateau, le « Jemapa », aux chantiers de l’Aiguillon. Son objectif : une pêche à la journée respectueuse des ressources, dans les pertuis charentais, où il remonte bars, soles, merlus ou homards. Pour valoriser ce poisson frais et de saison, il décide de le vendre directement à la descente du bateau, sur le quai de La Flotte, puis à Saint-Martin. Suite à son départ à la retraite1, c’est son fils Jérémy qui reprend le « Jemapa » en 2009, avant de le céder en 2022.
La fin d’une époque, puisqu’il était le dernier marin-pêcheur de la famille sur l’île de Ré. Ironie tragique du destin, le « Jemapa », rebaptisé « Rumalo II » suite à son rachat, a coulé le 27 janvier dernier au large de Saint-Clément-des- Baleines, causant la mort d’un marin… Aujourd’hui, il ne reste qu’un bateau de pêche sur l’île de Ré : le « Jason II » basé à Ars-en-Ré. Mais l’histoire des Chevrier avec le grand large n’est pas terminée : Hugo, le petit-fils, a embarqué en 2022 sur un chalutier de 20 mètres, basé à La Cotinière, comme mécanicien. La 8ème génération…
* Dans le cadre de la conférence du 14 septembre dernier, organisée par l’association des Amis du Musée Maritime de La Rochelle et intitulée « La pêche rétaise, de 1800 à nos jours ».
1. Une retraite très « active » puisque Patrick Chevrier fut vice-président du Comité Régional des pêches maritimes et des élevages marins puis président de la Coopérative maritime de l’île de Ré. Depuis 2017, il est président de l’Amicale des Anciens Cols Bleus de l’île de Ré
2. Histoire de l’île de Ré, des origines à nos jours. Mickaël Augeron, Jacques Boucard et Pascal Even. Le Croît Vif. 2016.
3. Idem précédent.
4. De nombreux marins de Noirmoutier et des Sables d’Olonne viennent également exploiter ce filon, emmenant avec eux femmes et enfants pendant six mois de l’année. L’île de Ré de 1945 à nos jours, Mathieu Delagarde. Editions Deserson.
La lente agonie de la pêche rétaise au XXème siècle
La pêche sur l’île de Ré a connu son âge d’or entre les années 1870 et 1890. Sur les 506 marins-pêcheurs recensés en 1866 par l’administration, 366 sont rattachés à La Flotte, soit l’équivalent de 15% de la population2 (même si tous ne résident pas sur place à l’année). A la fin du XIXème siècle, cette activité économique tend à stagner, avant d’initier un lent et irrémédiable déclin au XXème siècle. « Faute d’investissements, faute de volonté également, la pêche rétaise manque le virage de la modernisation pour demeurer traditionnelle dans son organisation et ses moyens techniques », explique l’historien Mickaël Augeron3. Certes, le déclin de la pêche avait déjà commencé avec la fin de la pêche morutière à cause de la raréfaction de la ressource, mais la crise éclate au grand jour après la Première Guerre mondiale avec la disparition de nombreux marins sur le Front et la concurrence des grands ports continentaux comme La Rochelle. A la fin des années 1920, la pêche hauturière n’est presque plus présente sur l’île. Ce qui reste de la flotte se consacre essentiellement à la pêche côtière, dans les pertuis. Cependant, une ressource inattendue va offrir un petit renouveau à l’activité du port de La Flotte : la pêche aux pétoncles, après que ce petit coquillage a élu domicile sur un banc de sable au large de La Flotte et Saint-Martin. Ce gisement offre une activité saisonnière importante, de mars à octobre, aux marins locaux et vendéens4, avant que celui-ci ne s’épuise également. Mais le déclin de la pêche est inéluctable : beaucoup de marins prennent leur retraite (sans successeur) ou quittent l’île de Ré, pendant que d’autres se reconvertissent dans l’ostréiculture, nouvelle activité importante sur l’île de Ré.
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