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Les chasseurs, acteurs de la préservation de la biodiversité ?
Alors que l’épineux dossier de la chasse reprend, aujourd’hui, une ampleur nationale, Ré à la Hune présente une pratique spécifique que l’on rencontre sur les zones du littoral : la chasse à la tonne de nuit dans les marais, et donne la parole aux acteurs du territoire.
Les prises de positions entre partisans et opposants ne manquent pas de raviver un débat qui prend, hélas, trop souvent l’allure d’un dialogue de sourds.
Une pratique dans le respect des traditions, souci de la protection des espèces et de la nature d’une part, destruction injustifiée, irresponsabilité sur le plan écologique de l’autre, le débat reste ouvert.
Un type de chasse pratiqué sur le nord de l’île de Ré : la chasse à la tonne
La tonne doit son nom au tonneau. Les chasseurs creusaient un trou au bord des marais, pour y placer un tonneau dans lequel ils se camouflaient pour guetter le passage des canards, sarcelles ou autres gibiers d’eau. De nos jours, la tonne est un abri bien plus sophistiqué. Toujours situé au bord du marais, occupé durant la nuit, c’est un lieu de chasse tout à fait atypique. Les occupants placent des canards vivants nommés « appelants » ou « appeaux » dans la mare, afin d’attirer leurs congénères. Il existe, actuellement 13 tonnes sur le territoire rétais, toutes ne sont pas, régulièrement fréquentées. Dans le cadre de ce délicat débat sur la chasse, nous nous sommes adressés à trois habitués de la vie des marais.
Nous avons, dans un premier temps, rencontré Pierrick François, directeur de l’AEMA (Association des Etangs et Marais d’Ars), un adepte de ce mode de chasse. Il met en avant le plaisir de découvrir le marais pendant la nuit, le côté convivial que l’on partage en occupant la tonne. En dehors du fait de « traquer » la sauvagine, il insiste sur le respect de la nature, sur l’entretien des marais qu’il s’efforce de pratiquer avec son entourage, de façon régulière. Selon lui, si certaines espèces sont en déclin, c’est essentiellement dû au manque d’entretien d’un ensemble d’espaces naturels au sein desquels l’intervention de l’homme ne tient pas suffisamment compte de la présence d’oiseaux sauvages (notamment aux Pays-Bas). Pour ce qui concerne le milieu rétais, Pierrick remarque qu’il existe un taux de nidification non négligeable dans les marais de tonnes dont l’aménagement crée l’attractivité. Toutefois, pour ce chasseur qui est, avant tout, un professionnel de la vie dans les zones humides du « bout de l’île », l’intérêt de travailler sur ces lieux naturels est plus important que de venir y chasser le gibier…
La gestion du « cheptel » doit être une préoccupation essentielle pour le chasseur
Pierrick François est membre de l’Association des Chasseurs de Tonnes de Charente-Maritime (ACTCM), qui travaille en relation étroite avec l’Association Nationale des Chasseurs de Gibier d’Eau (ANCGE), dans le souci de vérifier l’évolution de la population des différents volatiles. Cette année, 800 sarcelles ont été baguées afin d’observer leurs déplacements. D’autre part, les chasseurs sont invités à prélever des ailes d’oiseaux sauvages (notamment des colverts), pour les faire analyser par des experts scientifiques qui parviennent à identifier l’âge et le sexe du gibier (1800 ailes ont été analysées en 2017). A partir de l’ensemble de ces données, le but est d’adapter la chasse en fonction de la dynamique des populations, tendant à la régulation de la présence de différentes espèces. A ce propos, on remarque que les oies cendrées sont de plus en plus nombreuses, alors que les milouins sont en régression.
« La chasse est une passion, on tire sur du gibier, certes, mais on montre un intérêt particulier aux oiseaux et à la biodiversité, dans son ensemble », nous confie Pierrick. Ce dernier refuse de se placer dans un clivage figé « chasseurs/écologistes ». Il préconise de procéder à des réflexions, des démarches communes dans le cadre d’une vision globale de l’environnement.
« On peut, aussi, visiter les marais armé d’un appareil à photos… »
Jean-François Beynaud, président de l’AEMA, est ostréiculteur. Il passe le plus clair de son temps dans les marais. Il a accepté de nous donner, en quelques mots, son avis sur la pratique de la chasse à la tonne. Il ne cache pas son émotion quand il voit voler un couple de colverts, en pensant qu’il risque de se faire tuer pendant la nuit. Il respecte ceux qui sont passionnés par ce type de chasse, mais insiste, surtout, sur la nécessité du respect des lieux.
Nous avons, pour conclure, rencontré Dominique Chevillon, président de Ré-Nature-Environnement et vice-président de la LPO-France (Ligue de Protection des Oiseaux). Ce dernier affirme que la chasse fait partie des pratiques de la population française. Il poursuit : « Le droit de chasse est un acquis de le Révolution Française. Sous l’Ancien Régime, cette pratique n’était réservée qu’à la noblesse, et toute personne non autorisée, était très sévèrement punie. Je suis républicain et je partage les règles et droits de la République ». L’objet statutaire des deux associations que Dominique représente, ne fait pas mention d’une opposition catégorique à la chasse, contrairement au ROC (Rassemblement des Opposants à la Chasse), ou au RAC (Rassemblement pour une France sans Chasse), qui sont pour la suppression pure et simple de la chasse. Dominique nous rappelle que sur l’agenda national de la LPO, les responsables, ces trois derniers mois, n’ont passé que 5% de leur temps à traiter des problèmes de la chasse. Ils s’investissent, avant tout, dans la création de réserves naturelles. Pour ce qui concerne RNE et la LPO, leurs membres restent très déterminés pour faire cesser certains excès comme, par exemple, la poursuite de la chasse sur les espèces en mauvais état de conservation (le courlis cendré, la barge à queue noire, ou la tourterelle des bois), et agir contre le braconnage. A titre strictement personnel, notre interlocuteur ne manque pas de rappeler que la finalité de la chasse est bien de tuer l’oiseau, une pratique qu’il déteste… « Quand un chasseur me dit qu’il est fasciné par le vol d’une bécassine, ou l’envol d’une tourterelle des bois, ce que je partage, je lui rétorque : dans ce cas, pourquoi appuyer sur la gâchette et transformer l’oiseau en une masse inerte sanguinolente ?… ». « Cette différence est fondamentale et je suis sans aucune complaisance pour un acte qui donne la mort », ajoute-t-il.
Cela dit, Dominique Chevillon nous précise qu’il faut travailler avec les chasseurs qui sont, selon lui, comme les agriculteurs et les naturalistes dont il fait partie, des acteurs du territoire et des espaces naturels agricoles qui occupent 70 à 80% des surfaces.
Pour en revenir à la question des chasseurs à la tonne, il rappelle que ces derniers n’ont pas de rôle déterminant dans la protection du milieu.
Nous lui laisserons le soin de conclure : « Quand on vit dans une république démocratique, il faut accepter les différences, même si on ne les apprécie pas forcément. C’est surtout une forme de respect de la biodiversité qui m’est si chère, que je tiens à privilégier. Sur le terrain, on gère des réserves avec des chasseurs. Vous voyez bien que l’on peut rassembler chasseurs et naturalistes sur des actions partagées »…
Le débat sur la vie de la faune qui peuple nos marais ne semble pas se limiter au dilemme « cartouches ou clichés photographiques ». L’essentiel est que chacune des deux parties s’efforce d’écouter l’autre…
Jacques Buisson
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