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Les champignons sortent du bois
Comme chaque année depuis douze ans, Ré Nature Environnement et la Société mycologique du massif d’Argenson organisaient dans le bois de la Grainetière une sortie aux champignons ouverte au grand public. Objectif : découvrir un maximum d’espèces.
Ils ne rateraient ça pour rien au monde. Chaque année, au milieu de l’automne, ils sont entre soixante-dix et quatre-vingts passionnés à se retrouver dans le bois de la Grainetière, à quelques centaines de mètres du coeur de village de La Flotte. Ce samedi 9 novembre avait donc lieu ce qui est désormais l’un des temps forts de la saison sur l’île de Ré : la sortie aux champignons organisée par Ré Nature Environnement, grâce au dynamisme de son président Dominique Chevillon, avec la contribution experte et avisée de la SMMA, la Société mycologique du massif d’Argenson. Ces « cueilleurs de champignons du dimanche », comme ils se surnomment volontiers eux-mêmes, avaient rendez-vous avec la terre, la nature… et la science. Une sortie où l’objectif commun est moins de ramasser des champignons comestibles « au kilo » que de dénicher le plus grand nombre d’espèces et de variétés – pas plus de deux champignons de la même espèce par personne, s’il vous plaît -, histoire de mieux comprendre et d’analyser une biodiversité de plus en plus menacée.
Pour Dominique Chevillon, également vice-président de la LPO France, cette journée est aussi l’occasion « de vivre un moment avec des experts de très haut niveau, et de faire partager ce privilège au grand public. Chacun vient pour y prendre ce qu’il veut, et cela fait douze ans que ça dure. »
C’est donc ici, entre les majestueux cyprès de Lambert, les pins parasols et autres chênes verts centenaires que la troupe chemine par petits groupes sur les feuilles mortes, les aiguilles de pin et les tapis de crocus, les yeux rivés au sol. Les pas se font soudain prudents, les regards, vifs et perçants. Pas question de rater un chapeau gris ou une corolle blanche. Au sein de chaque groupe, pour diriger les discussions et commenter les découvertes de chacun, on note la présence d’un expert en mycologie capable de réagir au quart de tour face aux lamelles d’un coprin parasola ou à l’anneau d’un cyclocybe cylindracea, plus connu sous son petit nom de pholiote du peuplier.
Devant tant de connaissances, les apprentis-mycologues sont ravis. Jean- Baptiste travaillait dans l’acier avant de prendre sa retraite sur l’île. Sa motivation ce matin est purement la curiosité : « Je viens pour découvrir les champignons et pour apprendre. Et je ne connaissais pas le bois de la Grainetière, même si j’habite Arsen- Ré, donc je suis ravi. » À l’inverse, Sophie, archéologue quinquagénaire habitant à La Flotte, est une passionnée de champignons et la cueillette fait partie de ses loisirs favoris : « Ça fait très longtemps que je ramasse des champignons, je sors régulièrement en forêt pour la cueillette. J’ai compris qu’il fallait éviter les bolets, mais les coulemelles, je ne peux pas résister, c’est un délice. » Elle aussi est venue pour apprendre, et elle sera servie tout au long de cette matinée riche en émotions.
Plus de 800 espèces
Pour Michel Hairaud, le président de la SMMA, cette sortie est chaque année l’occasion de faire avancer un peu plus la connaissance, toujours en mouvement perpétuel. « L’île de Ré est un petit paradis en matière de champignons, précise-t-il. Plusieurs sites sont très intéressants à inventorier ici, et année après année, on découvre sans cesse de nouvelles espèces grâce à ce type de sortie. Les gens qui viennent dans ce genre de rassemblement savent que la mycophagie (la recherche des champignons comestibles, Ndlr) n’est pas notre intérêt premier. Après, si on peut trouver quelques bons lactaires à poêler, c’est humain… »
Les champignons comestibles, justement, combien en répertorie-t-on sur l’île ? De manière assez surprenante, pas plus de trois ou quatre variétés, selon les experts présents ce jour-là. Il y a la pleurotte, assez caractéristique et facile à trouver, le lactaire délicieux, plus rare, la coulemelle, extraordinaire lorsqu’elle est poêlée ou cuisinée en velouté, et le rosé des prés. Mais il faut bien ajuster sa « fenêtre de tir » pour ce dernier, que l’on ne ramasse que durant trois semaines à peine, entre mi-septembre et mi-octobre. Le reste ? Des variétés non-comestibles, mais pas forcément toxiques ou même mortelles. Simplement des champignons au goût âcre, trop fort ou trop caoutchouteux, voire sans aucun goût du tout, donc sans intérêt. Et puis il y a les autres, tous les autres, « pour lesquels on ne s’y risquerait pas », selon les propres mots de Guillaume, l’un des experts venu de Valenciennes pour participer à cette journée, « car on ignore encore une grande partie de leurs propriétés ». Au total, on compte entre huit cents et huit cent-cinquante espèces de champignons présentes sur l’île, ce qui en fait l’un des endroits de France les plus généreux en la matière.
Champignon mortel
Au bout d’une heure passée à fureter, Michel, résident à La Flotte et ancien DRH à la retraite, est déjà conquis par cette leçon de choses : « Je suis un cueilleur du dimanche, mais aussi du samedi, du lundi, du mardi… Ça m’intéresse énormément, même si je ne connais que trois variétés de champignons sur lesquelles je me risque les yeux fermés : la pleurotte, la coulemelle et le lactaire. Je suis venu pour partager cette passion et en discuter avec des gens dont c’est le métier, c’est toujours enrichissant. » Au fait, faut-il révéler à autrui ses « coins à champignons » ? Diora, contrôleure de gestion à la retraite, a un avis très tranché sur la question : « Jamais de la vie ! Moi, ma passion des champignons date des années où j’habitais en région parisienne. J’allais tous les dimanches matins en forêt d’Ermenonville chercher des girolles et des cèpes. On ne donne pas ses coins à champignons, on dit juste “oui, c’est vers là-bas”… On reste très évasif, c’est le jeu. »
Les recherches se poursuivent. On se prend au jeu, on fouille, on soulève un tronc d’arbre avec son bâton, on gratte le sol… Quand soudain, derrière un amas de feuilles et de mousse, la star des champignons apparaît : une amanite phalloïde ! Puis deux, puis trois. Tout de suite, Guillaume prévient les promeneurs, déjà avertis, du caractère extrêmement dangereux et mortel de cette espèce redoutable. Et lorsqu’il détaille les symptômes de l’ingestion d’un simple morceau de ce champignon mythique et vénéneux, son récit est glaçant : « Tout se passe d’abord en 24-48 heures, avec des vomissements et des diarrhées à répétition. Puis arrive ce que l’on appelle « la lune de miel », lorsque tout va mieux et que l’on se croit tiré d’affaire. C’est à ce moment-là que le foie est attaqué. En quelques jours, il ne peut plus assurer ses fonctions vitales d’épuration, les toxines se multiplient dans l’organisme. Au treizième jour, le cerveau est touché. Sans greffe d’un nouveau foie, c’est la mort assurée. » Silence dans les rangs. C’est la douche froide, l’enthousiasme de la découverte est retombé. Cette amanite, Guillaume, placide et flegmatique, la tient toujours dans la paume de sa main, qu’il ira soigneusement laver après.
On attend la relève
À en juger par les mines réjouies à la fin de l’expérience, cette passion des champignons, ils sont nombreux à la partager sur l’île de Ré. Même si aucun chiffre ne peut confirmer précisément ce qui n’est qu’une impression sur le moment. Qu’en dit l’expert Michel Hairaud, lui qui parcourt l’hexagone de conférence en conférence ? « On aimerait dire que l’on constate un engouement pour la science des champignons, reconnaît le président de la SMMA, mais la réalité est que les membres des associations mycologiques sont vieillissants, le renouvellement ne se fait pas comme on le souhaiterait. Même si une forme de développement se fait depuis quelques années par les réseaux sociaux. » Et pourtant… Ce matin-là, plusieurs jeunes enfants enthousiastes étaient bien présents, et pas les derniers à dénicher, sous les feuilles ou cachés dans les aiguilles de pin, des spécimen intéressants.
Venu soutenir nos scientifiques d’un jour, Jean- Paul Heraudeau, le maire de La Flotte, ne boudait pas son plaisir : « Ce sont des événements sains, où l’on est en prise directe avec la nature. On ouvre les yeux, on découvre, on apprend, on est ensemble… C’est un moment convivial, festif, fait de rencontres et d’échanges. Je vois des gens venus de tous les villages aujourd’hui, c’est magnifique. » Mais au fait, Jean-Paul Heraudeau est-il un fin connaisseur de champignons ? « Connaisseur non, mais grand amateur, oui, précise en souriant le premier élu. J’étais encore ce matin au marché de La Flotte pour acheter des pieds-de-mouton et des girolles, que j’ai cuisinés avec une poêlée de Saint-Jacques ! » Le mot de la faim ?
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