- Environnement & Patrimoine
- Prévention des incendies de forêt
Les 20 ans d’une association pionnière en France
Première association dédiée au débroussaillement pour la prévention des incendies, l’ARAFCE regroupe presque tous les riverains de la forêt domaniale de la Combe à l’eau, et fait figure de référence dans l’Hexagone.
Si le dépôt des statuts de l’Association des Riverains Arsais de la Forêt domaniale de la Combe à l’Eau (ARAFCE) remonte au 30 décembre 2003, c’est bien en mai 2004 que les premiers travaux de débroussaillement en commun ont débuté, il y a 20 ans presque jour pour jour. Son but ? Organiser et mutualiser le débroussaillement de la bordure de forêt en contact avec les propriétés (sur 50 mètres de profondeur), afin d’éviter, en cas de feu de forêt, la propagation aux maisons. Si l’idée peut paraitre simple, elle n’en est pas moins novatrice : ce fut la première association de ce type en France. « Comme le débroussaillement est une obligation individuelle, personne n’avait songé à se regrouper et à unir les moyens », confie Gaston Rechenmann, habitant de la rue du Peu de Lorit et président de l’association. C’est un ancien riverain, Henri Morvan, qui fut en 2004 le fondateur et premier président de l’association, et ce n’est pas tout à fait un hasard. « Il avait été confronté dans sa vie professionnelle au risque incendie, car il travaillait sur des champs pétrolifères. Il avait même vécu quelques drames, qui l’avaient sensibilisé à cette question », confie Gaston Rechenmann. Les grands incendies des années 70 qui avaient ravagé des dizaines d’habitations et fait plusieurs victimes1 dans le Sud de la France, avaient profondément marqué Henri Morvan, qui estimait que le risque sur l’île de Ré n’était pas beaucoup moins important. « Nous avions la forêt, des sécheresses récurrentes l’été et le vent », explique son successeur. En 2024, 42 des 43 propriétaires de ce « front » de forêt adhèrent à l’ARAFCE, ce qui montre l’efficacité et la réussite de l’initiative.
« Une torche potentielle »
Il faut dire qu’ici, en périphérie du massif forestier de la Combe à l’eau, tout le monde se sent concerné. La forêt, composée de pins et de chênes verts, est particulièrement inflammable. « C’est une torche potentielle, d’autant plus avec les vents d’ouest souvent forts », résume le président de l’association. Si les riverains n’ont jamais connu de gros incendie, tout le monde est sur le qui-vive dès que la sécheresse s’installe. Comme lors de l’été 2022, où une chaude soirée (34°) du mois d’août aurait pu tourner au drame. Des enfants, qui avaient construit une cabane dans la forêt, ont eu la très mauvaise idée d’allumer un feu de camp. « On a senti de la fumée, on a tout de suite compris que ça venait de la forêt et on a pu intervenir à temps ». Cette même année, en juillet, Gaston Rechenmann se rappelle avoir fait plusieurs fois le tour de la forêt après avoir détecté une odeur suspecte. C’était bien un feu de pinède, mais les émanations venaient en fait de plusieurs centaines de kilomètres : le vent avait porté les fumées de « l’incendie du siècle », parti de Landiras2 en Gironde le 12 juillet, jusqu’en Charente-Maritime !
Économies substantielles
Outre la crainte d’un tel évènement, les propriétaires adhérents y trouvent aussi un intérêt pécuniaire, car le coût du débroussaillement peut représenter un sacré budget annuel. Pour une propriété disposant d’une façade de 25 mètres face à la forêt, cela représente une surface de 1250 m2 à débroussailler (25 mètres de long sur 50 mètres de profondeur) pour un coût moyen de 500 euros. Les adhérents de l’association, grâce à la mutualisation des moyens, s’en tirent pour 75 à 80 euros, chacun payant au prorata de la largeur de sa propriété. Ils ont en effet négocié un tarif groupé avec une entreprise spécialisée originaire du sud de la Charente- Maritime, qui permet donc à chaque propriétaire de faire des économies substantielles. Cela permet également d’avoir une unité et une cohérence sur toute la bande de 50 mètres entre les clôtures des maisons et la forêt. Parmi les membres de l’ARAFCE, les quatre campings présents dans le secteur sont également adhérents, même s’ils payent à part pour des raisons de fiscalité (TVA). Pour les établissements recevant du public, l’obligation de débroussailler est en effet portée à 100 mètres de large, ce qui rend les surfaces concernées considérables. Pour l’ensemble des propriétaires de maisons de la Combe à l’eau, la surface totale à débroussailler est d’environ 32 000 m2. Pour un camping seul, cela peut aller de 50 000 à 100 000 m2 ! Outre Eau 17 (propriétaire du château d’Eau et de la station d’épuration), un autre acteur inattendu est membre de l’association : la Commune d’Ars-en-Ré.
Interlocuteur privilégié
Chaque commune soumise au risque feu de forêt (voir encadré) doit en effet faire appliquer la loi, c’est-àdire veiller, entre autres, à la bonne exécution du débroussaillement. « En termes de police, cela prend énormément de temps de contacter chaque propriétaire et le contrôler. Grâce à l’association, la mairie a un seul interlocuteur pour une quarantaine de riverains », argumente Gaston Rechenmann. L’association est également devenue au fil du temps un interlocuteur privilégié de l’Office national des forêts (ONF), gestionnaire de la forêt, et même des pompiers. « Outre la bande des 50 mètres, nous sommes très attentifs au fait de laisser un corridor de 6 mètres le long des clôtures, afin de permettre aux véhicules de secours de circuler en cas de besoin », explique le président de l’association. Le travail de prévention ne se limite pas qu’au débroussaillement, mais au rappel régulier des règles de sécurité : interdiction de fumer en forêt ou des véhicules à moteur, obligation de délester les toitures des aiguilles de pin (en cas d’incendie, les assurances ne remboursent pas), taille obligatoire des haies de jardin ou encore interdiction des barbecues dans les jardins en période de sécheresse. « Il y a beaucoup de locations saisonnières, et le barbecue fait souvent partie de l’arsenal de la location. C’est donc parfois difficile à faire comprendre », reconnait Gaston Rechenmann.
Quand on se rend à l’arrière des propriétés, la bande des 50 mètres tranche clairement avec le reste de la forêt domaniale, rappelant l’aspect d’un pare-feu : à part quelques pins, il n’y a plus grand-chose. Gaston Rechenmann reconnait lui-même que cet espace fait davantage penser « à un jardin d’agrément » qu’à une forêt. « Nous sommes quand même venus habiter ici pour la proximité avec la forêt. Malgré le risque, ce n’est pas désagréable, et il ne faut pas que ça devienne un no man’s land », admet-il. Une forêt qui a également connu il y a quatre ans des coupes massives de l’ONF, créant des espaces totalement nus où rien ne repousse. L’association a lancé une réflexion avec l’Office national des forêts pour reboiser et créer des « îlots de préservation », tout en intégrant les questions de sécurité. Un plan de reboisement qui prendra aussi en compte le réchauffement climatique, avec des espèces plus résistantes à la sécheresse. Aujourd’hui, l’ARAFCE est une des plus grosses associations de ce type en France. De nombreuses associations, y compris du Sud-Est de la France, la contactent régulièrement pour comprendre son fonctionnement et copier ses statuts. Avec le réchauffement climatique et les sécheresses à répétition, l’association pionnière n’a pas fini de faire des émules…
(1) On pense notamment à l’incendie du massif du Tanneron dans le Var, du 3 au 6 octobre 1970, qui détruisit plus d’une centaine de bâtiments et fit 8 morts. Cet incendie dramatique fut à l’origine d’une véritable prise de conscience en France du risque « feu de forêt ».
(2) Un autre incendie, quasiment simultané, s’était déclenché le même jour à la Teste-de- Buch, sur le bassin d’Arcachon.
La prise en compte du risque sur le territoire
Moins connu sur l’île de Ré que le Plan de prévention des risques, le Plan départemental de protection des forêts contre les incendies (PDPFCI) recense les cinq massifs à risque du département, dont celui de l’île de Ré. Le PDPFCI 2018-2027 fixe ainsi une stratégie et recense donc toutes les actions à mettre en oeuvre sur cette période afin de limiter la survenue de feux de forêts dans le département : débroussaillement, entretien des pistes forestières, accès aux points d’eau, prévention et information du public et contrôle de la bonne application des mesures. Un point d’étape, en présence de tous les acteurs (DDTM, DREAL, SDIS, ONF, représentants de l’hôtellerie de plein air, acteurs de la sylviculture, élus etc.), est organisé à mi-parcours pour voir ce qui a été bien fait et ce qui reste à améliorer. Ce plan est donc évolutif, puisqu’il s’adapte régulièrement aux éléments de terrain et aux données scientifiques nouvelles, surtout avec la récurrence et l’intensité des périodes de sécheresse dans le contexte du réchauffement climatique.
Quant au PPRN de l’île de Ré (2002, révisé en 2018), il vise à protéger les enjeux du territoire, à savoir les populations, les activités économiques, les habitations, etc. Si son volet « risque submersion » a régulièrement fait la Une des journaux suite à la tempête Xynthia de février 2010, il comporte également un volet « incendies de forêt ». Il met en place des règles, en matière d’urbanisme et d’occupation du sol, afin de limiter les risques. L’aléa incendies de forêt est construit par croisement, d’une part, de l’éclosion potentielle (prise en compte de l’historique des feux de forêts dans un secteur) et de l’intensité et, d’autre part, de la combustibilité (capacité d’une essence végétale à alimenter le feu). Sur l’île de Ré, seuls trois niveaux d’aléas ont été retenus : très faible, faible et moyen.
Par ailleurs, un critère de défendabilité (qui n’entre pas dans la définition des aléas) est pris en compte dans l’élaboration du zonage réglementaire : il tient compte de la disponibilité en points d’eau, de l’accessibilité pour les secours ou des moyens de surveillance. La règle générale est la suivante : les zones naturelles sont par définition inconstructibles. Pour le reste, les zones urbanisées en aléa faible restent constructibles (zone Vf), comme les zones en aléa moyen mais présentant une bonne défendabilité. Pour tous les autres secteurs soumis au risque incendie de forêt (zone « Rf » soit un aléa moyen et une défendabilité moyenne), les nouvelles constructions sont interdites.
Quand les projets sont autorisés par le règlement, ils doivent par ailleurs respecter des prescriptions pour s’adapter au risque : cela va de la résistance des matériaux au feu, au choix des essences d’arbres pour les haies (éviter les espèces inflammables) en passant par les barbecues (dispositif anti-étincelles et bacs de récupération des cendres), la mise en place de bornes à incendies, sans oublier bien-sûr l’obligation de débroussaillement.
Contrairement aux autres communes de l’île de Ré, largement impactées par le risque « submersion », le Bois-Plage l’est majoritairement par le risque « incendies de forêt ». Cela peut entraîner des refus de permis de construire, notamment pour des extensions dans les zones en périphérie de forêt.
Le débroussaillement, une obligation légale
Depuis 2012, l’article L134-6 du Code forestier oblige les propriétaires situés en zone à risque à débroussailler leur parcelle lorsqu’elle se situe en zone urbaine, et même à débroussailler une bande de 50 mètres autour de leur parcelle lorsqu’elle se trouve en « contact » (moins de 200 mètres) avec la forêt. Les feux de forêt se propageant la plupart du temps par le sol, le débroussaillement est donc primordial. Débroussailler ne veut pas dire faire table rase, mais élaguer les arbres sur deux mètres de haut, broyer les taillis et enlever les branches mortes. Cette obligation de débroussailler autour de sa parcelle implique également le fait de nettoyer le terrain…du voisin, lorsque celui-ci ne le fait pas !
Suite à la création de l’ARAFCE, une structure similaire, l’Association des riverains portingalais des forêts domaniales (ARPF), s’est constituée aux Portes-en-Ré, signe que cette question du débroussaillement est prise au sérieux sur l’île de Ré. Quand ce n’est pas le cas – la présence d’une majorité de résidences secondaires ne facilitant pas l’entretien régulier – le maire dispose du pouvoir de police pour rappeler aux propriétaires leurs obligations.
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