- Patrimoine
- Pillages d'épaves et aide aux marins naufragés
Une législation coincée entre coutume et raison d’État
De tous temps, les navires ont été synonymes de richesses. Les bateaux qui s’échouaient sur les côtes de l’île de Ré, au départ ou au retour de leurs périples, étaient une aubaine pour la population qui estimait que les débris n’appartenant à personne, elle pouvait les ramasser. Opinion divergeant totalement de celle des représentants de l’État. Il faudra un événement marquant, le naufrage du Charles en 1819, pour rétablir l’autorité de celui-ci sur le littoral charentais et faire accepter le rôle non négligeable que jouaient les Rétais dans l’aide aux marins naufragés.
L’île de Ré n’était pas considérée comme une zone dangereuse de navigation. Trois-cent-quatrevingt- dix naufrages seront cependant enregistrés de 1766 à 1917. Avant 1814, les bâtiments échoués, généralement à la pointe des Baleines, sont de gros tonnages. Plus tard, la zone des échouages se déplace vers le sud, en direction d’Ars, de Sainte-Marie et de Rivedoux et les bateaux concernés, d’un tonnage moindre, sont surtout des bateaux de pêche.
La législation existe, chaque naufrage est l’occasion d’une enquête. Les causes de l’accident, le plus souvent de mauvaises conditions climatiques, sont étudiées. On ne trouve pas mention de catastrophes dues à des feux trompeurs, allumés avec intentions de nuire par ceux que l’on nomme pudiquement des « naufrageurs ». En revanche, malgré la présence des agents de la marine censés mettre en sécurité le navire et ses marchandises, il y a des vols. Pour les populations côtières un naufrage est l’occasion de se procurer quelques pièces de bois gratuites d’autant plus appréciables qu’il n’y a pas de forêt sur l’île. Les pillages ne sont la plupart du temps que des larcins sans grande importance.
Le naufrage du Charles
À l’époque du Premier Empire, les guerres mobilisent les autorités maritimes et de police, plus préoccupées par la poursuite des déserteurs et le recrutement de marins destinés aux navires de guerre de l’Empereur que par l’inspection des côtes !
C’est dans cette ambiance de relâchement de la surveillance que se produit, dans la nuit du 25 janvier 1819, le naufrage du trois mâts lorientais le Charles. Ayant quitté Bordeaux pour Buenos Aires, le Charles s’échoue devant la Noue avec à son bord une cargaison de grande valeur (500 000 francs de l’époque soit un million d’euros d’aujourd’hui). Ce dernier point fait rapidement réagir les autorités maritimes qui, pour éviter que les marchandises ne soient abimées ou subtilisées, recrutent plusieurs centaines de personnes.
« Le sauvetage est terminé le 1er février, l’ensemble de la cargaison a été remis aux assureurs et propriétaires présents sur les lieux. Du 7 au 9 du même mois, la marine procède à la vente de la coque du bâtiment, des agrès et apparaux pour la somme de 10 309,80 F, de laquelle il faudra déduire 4 213,15 F de frais de sauvetage (somme extrêmement importante correspondant à plusieurs centaines de personnes réquisitionnées) » comme l’indique Jacques Boucard (1).
Ce sauvetage semble avoir été un modèle d’organisation, cependant dès le 6 février les ennuis commencent avec le rapport du gendarme maritime Claude Carré, adressé à l’Intendant de la Marine à Rochefort, mettant en cause la mauvaise conduite des habitants de la Noue. Carré s’attaque au maire de Sainte-Marie qui n’a pas respecté ses obligations en omettant d’interdire, par la voie du tambour municipal, à ses villageois de se rendre sur les lieux du naufrage. Carré donne des noms, insistant lourdement sur celui de Jacques Babiau. Plainte est déposée le 14 février. Qu’espérait-il ? Détourner l’attention de lui-même ?
La réponse ne se fait pas attendre : Jacques Babiau porte plainte à son tour contre le gendarme Carré pour « pillage d’épaves ». Le commissaire de la Marine de l’île de Ré, Jacquet, soutient Jacques Babiau, son fonctionnaire. Jacquet est vilipendé à son tour. Jacquet et Babiau seront innocentés mais, las des calomnies dont il faisait l’objet, Jaquet s’était suicidé le 24 avril. Par contre, les vols commis sur ce bâtiment étant considérables (plus de quarante caisses d’effets ou de marchandises ont disparu ainsi que des bijoux pour une valeur de 7 000 F), la cour d’assises de Saintes condamnera le 19 novembre 1819, leur culpabilité ayant été prouvée, Claude Carré à huit ans de fers, pour vol avec effraction, le garde-côte Bernard à cinq années de fers et le garde-côte Jean Jodet à trois années de prison.
Un exemple pour l’avenir
L’affaire fera grand bruit exacerbée par le suicide de Jacquet qui était haï de la population pour avoir voulu justement reprendre la situation en main et avait poussé la rigueur jusqu’à interdire la pêche à pied, seul moyen de subsistance de plusieurs milliers de personnes en ces temps difficiles. Le pillage du Charles sera traité par la justice de manière à en faire un exemple, des agents de l’État étant impliqués dans les vols. Les peines appliquées sont beaucoup plus lourdes que dans deux affaires similaires qui eurent lieu par la suite, l’une, en 1829 pour le Jeune-Henry et l’autre, en 1861 pour l’affaire Lavergne, où l’on ne parle plus de « pillage d’épaves », termes utilisés jusqu’en 1840, mais de « vols d’épaves ». Il faudra attendre le rétablissement de la monarchie pour que l’autorité maritime soit pleinement restaurée.
Les autorités maritimes considéraient que toute épave était sous la protection de l’État tant que l’on recherchait son origine et son propriétaire. Si rien n’était trouvé, l’épave était vendue au profit de la Caisse des Invalides et les sauveteurs étaient dédommagés. Pour les Rétais, et jusqu’à récemment, tout objet arrivé sur leurs côtes appartenait à celui qui le trouvait. Ces deux conception totalement opposées ne pouvaient conduire qu’à des conflits entre insulaires et représentants du pouvoir. Cependant, au cours du XIXe siècle, le régime s’assouplit et accepta de reconnaître l’aide apportée par les insulaires aux marins naufragés. Aujourd’hui, il ne reste plus que des bouteilles plastiques à récupérer et comme le dit Jacques Boucard (1) : « personne ne se bat plus pour les ramasser ! »
Catherine Bréjat
(1) N°45 des Cahiers de la Mémoire (1991)
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