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L’Ecossais et le Bourguignon à Saint-Clément
Rencontre avec Hubert Verneret. De 1925 à aujourd’hui, récit d’une vie qui porte des témoignages d’exception sur certaines périodes de notre Histoire.
Villageois auteur d’un roman peu connu des Rétais, Hubert nous raconte dans son livre l’année 1936 à travers un personnage fictif qui évolue dans la réalité de l’époque avec une intrigue assez poignante.
« Que faisiez-vous au temps chaud ? »
Né en 1925 à Luzy au pied du mont Beuvray en pleine Bourgogne d’une famille d’agriculteurs. Hubert est dyslexique et incapable de réussir un examen, il est refusé en école à 17 ans pour cette raison. Sa mère, très entêtée, réussira finalement à le faire accepter contre quelques sacs de pommes de terre, très précieux au temps de l’occupation. Et c’est ainsi que sa dyslexie disparaît du jour au lendemain par un miracle qui lui permet d’être reçu au baccalauréat.
En 1943, les maquis commencent à se former dans le Morvan, mis en place par le SOE Anglais pour prendre les Allemands en entonnoirs. Hubert s’engage dans le combat et participe à différentes batailles pendant quasiment deux ans. Le soir, sous les parachutes sur les lits de fougères, il écrit ses mémoires qui seront publiés et traduit en Anglais plus tard, « Que faisiez-vous au temps chaud ? », journal de guerre d’un adolescent, ouvrage paru sous les éditions de l’Armançon.
Hubert nous raconte l’anecdote qui fut un choc du haut de ses 19 ans : « Lors d’une balade, dans un vieux village abandonné du Morvan, il y avait une maison avec deux sentinelles à la porte et un drapeau allié qui flottait. Avec mon copain, on leur demande ce qu’il se passe, ils nous répondent que ce sont des maquisards qui avaient été exécutés par les Allemands. A l’intérieur, deux hommes avaient la chair qui pendait en lambeaux et je passe les détails. Le soir, le lieutenant nous a dit « vous voyez comme c’est dur, demain si vous êtes faits prisonniers, c’est vous qui serez à leurs places ».
A la libération de Paris, le souvenir est beaucoup plus doux : « C’était très agréable, j’embrassais des femmes inconnues sur la bouche. Une semaine impensable. Tous les alliés, les troupes, les tanks, les camionnettes, tout était bloqué, plus rien ne circulait et les femmes montaient avec les soldats sur les chars pour les embrasser, c’était incroyable comme ambiance ». Il reprend ses études pour faire une licence de Physique chimie puis l’institut de chimie. Il devient ingénieur chimiste et directeur d’une gamme de produits organiques à Rhône Poulenc, ce qui le fera voyager dans plus de 45 pays pour pousser son secteur. Sa conclusion après tous ces voyages étant que la Loire est le plus beau fleuve du monde, Paris la plus belle capitale.
« On allait danser le soir au bal à la Pergola »
Il découvre l’île de Ré en 1950 à La Couarde chez un ami qui louait une maison. « C’était merveilleux, on se baignait et on allait danser le soir au bal à la Pergola ». Avec sa femme ils trouvent ensuite une location à Saint-Clément avant d’acheter définitivement à la fin des années 90. A la retraite, il vient s’y installer et y réside depuis : « Saint-Clément des Baleines est un petit village authentique qui n’a pas été défiguré par le tourisme, moins snobinard que les Portes, on s’est tout de suite très bien senti ! ».
L’entrée à la retraite en 1982, c’est un vide étrange, très très dur à vivre pour lui ! Il erre quelque temps et croise une manifestation contre la construction de l’opéra de Paris. Il décide de prendre des photos et de suivre l’évolution du mouvement puis de la construction de l’opéra. Celui qui deviendra le directeur de l’opéra le repère et lui propose un accès libre au chantier. C’est ainsi que pour le 30e anniversaire de l’opéra, sa récompense fut une exposition de ses photos sur trois niveaux. Il s’investit aussi pour les autres, avec des ingénieurs retraités, bénévolement, ils viennent en aide à des pays en voie de développement « un taxi venait vous prendre en bas de l’escalier, vous emmenait à l’aéroport puis on était reçus pour former sur place à des fabrications chimiques de médicaments ».
Il commence aussi à écrire, d’abord sept ouvrages sur sept femmes, Bourguignonnes, avec une sorte de pèlerinage à l’enfance par des récits historiques. « Je n’invente jamais, ce que j’écris c’est la vérité authentique d’après les documents historiques que je peux avoir ». Et puis ce sera une quinzaine d’ouvrages par la suite.
Un ecossais à Saint-Clément des Baleines ?
En 2016, poussé par sa femme, il fait paraître son premier livre sur l’île de Ré. Il avait à sa disposition des cassettes de 23 interviews de locaux faites en 2003 (Gisèle Casadesus, Gilberte Bernard, Fernand Bonnin, Adrien Renaud…). Les cassettes ont ensuite été léguées au musée Ernest Cognacq de Saint-Martin. Dans ce roman, seulement l’intrigue et le personnage de l’Ecossais sont de la fiction. Tous les autres personnages sont réels : les pêcheurs, les serveurs, les villageois… Mais aussi les lieux, les rues, les bars, les trains… Les scènes de vie dans le petit bar « Chez Olga » au pied du phare nous font sourire, les courses de caisses à savon aux Portes avec le grand père d’Olivier Suire sont très faciles à imaginer. Les bals chez Florent Massé (qui deviendra plus tard « Le Chat Botté » et récemment « La Villa ») paraissent rythmer la vie du village et créer un lien social très fort entre les habitants du nord, la description des fêtes du mardi gras nous font mieux comprendre l’engouement encore présent notamment à Ars-en-Ré autour de cet évènement, les scènes de pauvreté au village des Portes-en-Ré nous semblent totalement décalées avec la réalité actuelle… C’est passionnant pour ceux qui vivent le territoire, romancé pour mieux nous tenir en haleine mais historique pour mieux comprendre la rapidité de l’évolution des modes de vie locaux.
Les descriptions sur la vie d’Henri Béraud sont tout aussi réelles, il est au cœur de l’intrigue et la raison de la présence de cet Ecossais. Henri Béraud est un journaliste et romancier qui a obtenu le prix Goncourt en 1922. « J’ai pu pénétrer chez Béraud à Saint-Clément des Baleines pour avoir des documents complémentaires et ressentir l’atmosphère de sa maison. L’intrigue autour de l’espionnage s’intègre dans une dimension historique car il écrivait beaucoup sur la politique internationale. C’était un des meilleurs journalistes français, un copain de Joseph Kessel, il avait des documents fantastiques. C’est un moment où les Anglais avaient des problèmes en Palestine et il était informé de certaines choses qui intéressaient les Anglais, je ne suis pas loin de la vérité historique ».
Aujourd’hui, Hubert Verneret a 97 ans et pense déjà à son prochain ouvrage qui sera de nouveau consacré à l’île de Ré. Sa femme est omniprésente dans la maison où les œuvres qu’elle peignait donne au quotidien un vent de fraicheur permanent. Sous les plantes grimpantes de son jardin, Hubert nous raconte qu’il vient de terminer une autobiographie pour léguer exclusivement à sa descendance, un regret pour tous ceux qui auraient aimé en savoir plus sur cette vie mouvementée.
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