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Le petit train de l’île de Ré
Au XIXe siècle, une économie rétaise florissante grâce à la vigne et au sel, qu’il faudra transporter, favorise la mise en service en 1898 d’un petit train qui sillonnera l’île jusqu’en 1947.
C’est en 1877 que le Conseil général de la Charente- Inférieure évoque pour la première fois l’idée de doter l’île de Ré d’un chemin de fer. Seules les principales villes du département sont alors atteintes par le nouveau mode de transport, mais le Conseil général estime que l’aménagement d’une ligne dans l’île faciliterait le transport du sel. C’est le groupe Jeancard qui au travers de la Compagnie des Chemins de Fer Économiques des Charentes sera chargé de l’implantation de la voie ferrée reliant Sablanceaux aux Portes, soit 36,5 km de voie construite avec le minimum de frais en raison d’un budget serré. Il s’agit d’un tracé unique permettant le croisement de deux trains et de stations équipées de voies de garage : Saint-Clément des Baleines, Ars, Loix (le Feneau), La Couarde, Le Bois, La Noue, Sainte-Marie et Rivedoux sont ainsi desservies. La voie large d’un mètre repose directement sur le sol et les nombreuses courbes empêchent toute vitesse excessive ; elle est même construite directement sur la route pendant 3 600 mètres, ce qui pose quelques problèmes de coexistence avec le trafic routier que l’on tente de résoudre à grands coups de sifflet.
Une infrastructure résolument modeste
Les gares sont réduites à leur plus simple expression sauf à Saint-Martin, siège principal du réseau, capitale oblige, qui dispose, à partir de 1920, outre le bâtiment destiné à l’accueil des voyageurs d’un magasin de marchandises d’ateliers et d’un pont-bascule pour peser les wagons chargés de sel. Un important complexe de voies sur les quais ainsi que deux voies de garage complètent le dispositif. La sécurité du trafic, en l’absence de toute signalisation enclenchée, est garantie par une réglementation « stricte ». Le 22 décembre 1913, un arrêté préfectoral prescrit la mise en place d’un signal au passage de la porte de Thoiras à Saint- Martin et des consignes précises sont données aux cheminots : Tous les trains entrant dans Saint-Martin, ou en sortant, doivent marquer un arrêt avant de pénétrer dans l’étroit passage. Le chauffeur est tenu de descendre pour traverser à pied, afin de s’assurer que la voie est libre. Si c’est le cas, il manoeuvre le signal et donne la voie libre au mécanicien qui s’engage à allure modérée et récupère le chauffeur au passage. (1)
Le matériel roulant n’évoluera pratiquement pas au cours de ce demi-siècle d’exploitation. Il comprend, à l’ouverture de la ligne, quatre locomotives renforcées par une cinquième à vapeur en 1904. Onze voitures au confort relatif, dont une de première classe, constituent le matériel remorqué. Pendant les périodes de gel, le chauffage des wagons est assuré par des bouillottes d’eau chaude distribuées gracieusement, mais qui en hiver se refroidissent rapidement et en tout état de cause bien avant la fin des 2 h 17 que dure le trajet de Sablanceaux aux Portes. Deux ou trois fourgons sont destinés aux bagages et vingt-quatre unités réservées aux marchandises.
La décontraction est de mise et il arrive que le conducteur du train s’arrête en pleine campagne pour discuter avec des amis ou bien dépose des voyageurs juste devant chez eux lorsque c’est possible. Certaines négligences n’auront pas de suites tragiques, c’est un miracle ! Ainsi un jour, une locomotive quitte de sa propre initiative la gare de Sablanceaux, avant d’être stoppée après quelques kilomètres par la première rampe notable. Le 15 juillet 1920, le train du matin part des Portes avec trois heures de retard : le chauffeur avait trop bien célébré la fête nationale ! Sans doute pour le même genre de raison, un mécanicien oublie, un autre jour, de freiner à l’entrée de cette gare des Portes, en impasse ; le train défonce allègrement le butoir pour s’arrêter dans un grand tumulte bien au-delà de l’extrémité de la voie ; heureusement, pas de victime ! (2)
Selon Pierre Tardy, le train pouvait s’arrêter sans raison apparente dans les marais parce que le mécanicien ou le chauffeur voulait ramasser du cresson. Il arriva un jour que le train ayant déraillé sous la porte de Thoiras, les voyageurs descendirent se restaurer en attendant que les équipes techniques fassent le nécessaire. Quel ne fut pas leur étonnement d’entendre le train siffler et repartir sans eux ! Quant au manque de ponctualité des convois, il deviendra légendaire.
Un lent déclin
Le succès est au rendez-vous dès la mise en service. Le chemin de fer offre une meilleure circulation des biens et des personnes. Les Rétais se déplacent vers les bourgs les jours de marché, profitent également des liaisons vers La Rochelle et ce mode de transport apporte un indéniable progrès. En six mois d’exploitation 86 527 billets sont vendus ; l’année suivante, 1899, leur nombre est de 145 562 pour une année pleine. Le chemin de fer s’installe dans le paysage rétais et trouve son rythme de croisière : au début du XXe siècle, deux trains effectuent chaque jour deux aller-retour complets. À l’origine, 37 personnes sont affectées à l’exploitation. Au fil des années, les effectifs grimperont à une cinquantaine de cheminots représentant une masse salariale de plus de 50% du montant global des charges. Le poste ne fera que croître après la Première Guerre mondiale, facteur qui pèsera lourdement dans la décision de fermer la ligne.
Dès 1919, l’équilibre financier du réseau rétais est précaire, les retombées du train restant limitées sur le plan économique. Les charges relatives aux salaires et l’augmentation du prix des combustibles creusent le déficit. Après plus de vingt ans d’exploitation des investissements importants doivent être réalisés car les rails sont usés par la corrosion due aux embruns marins et le matériel roulant tombe de plus en plus souvent en panne. Parallèlement la concurrence apparaît sous les traits d’un autobus « La Licorne » acquis par M. Baudoin, horloger à Saint-Martin, qui séduit les touristes et met 45 minutes de moins que le train pour traverser l’île. D’autres suivront ainsi que les premières camionnettes de transport qui s’empareront du fret du sel et des marchandises lourdes. Enfin, la multiplication des voitures dans les années 1920 lui soustraira de nombreux passagers. La grande crise de 1929 n’arrangera rien à la situation.
La Compagnie des Chemins de Fer Économiques des Charentes disparaît en 1928 et le Département rachète le réseau qui sera géré par la Régie Départementale des Voies Ferrées d’Aunis-Saintonge, mais le déclin loin d’être endigué s’accentue et les Rétais rendront un dernier hommage à leur tortillard, en 1935, le jour de l’Ascension lors d’un ultime convoi. Les Allemands redonneront provisoirement vie au réseau, pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais le mois de juin 1947 verra sa suppression définitive après 49 ans de loyaux services.
(1) Histoire de l’île de Ré, Michaël Augeron, Jacques Boucard et Pascal Even – Ed Le Croît Vif – GER.
(2) Le Petit Train de l’île de Ré – Jean-Pierre Rault – Editions C.M.D.
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