Le dauphin, athlète des eaux marines
Ré à la Hune aborde régulièrement dans ses colonnes les drames des échouages de dauphins sur nos côtes de l’île de Ré. Alors que se déroule ces jours-ci à La Java des Baleines, le festival des mammifères marins (lire notre article en page 38 de cette édition), nous avons demandé à Dominique Chevillon* de nous présenter l’un d’entre eux, le dauphin.
Parmi les mammifères marins placentaires (dont le foetus vit grâce à un placenta dans l’utérus de la mère comme les bébés des hommes), on trouve l’ordre des cétacés qui se divise en cétacés à fanons (mysticètes) comme les baleines et en cétacés à dents (odontomètres) comme les espèces de Dauphins de la famille des Delphinidés que nous connaissons autour de l’île de Ré. Ils regroupent trente-et-une espèces dans le monde. Sur nos côtes, nous voyons régulièrement des dauphins communs (Delphinus delphis), parfois des grands dauphins (Tursiops truncatus), des dauphins bleu et blanc (Stenella coeruleoalba ) et d’autres espèces plus rares … Ce sont de magnifiques athlètes des eaux marines qui firent très tôt l’admiration des hommes partout dans le monde.
Le dauphin dans la Grèce classique
Dans la Grèce classique, celle des grands philosophes, naturalistes, scientifiques, celle qui mis en culture la Démocratie, celle des arts, le meurtre d’un dauphin était considéré comme un acte sacrilège passible de mort. Tant et tant d’histoires se transmettaient sur les sauvetages de marins par les dauphins, tant et tant de similitudes physiologiques existaient entre les hommes et les dauphins, un mammifère qui porte neuf mois son petit, l’allaite pendant douze à dix-huit mois, l’éduque collectivement avec l’aide de son groupe familial pendant plusieurs années…
Leurs comportements sociaux et leur pratique d’un langage les rapprochaient tant de la société des hommes que le dauphin était pour les Grecs « un frère marin, un homme de la mer l’un de nos semblables », disaient-ils, « animé d’un même esprit, d’une même humanité. » On idéalise ce et ceux qu’on aime, bien sûr. C’est pourquoi les formes et représentations des dauphins étaient aussi omniprésentes dans la vie quotidiennes des Grecs, dans les chants, la musique, les histoires de la mythologie, les poèmes, la sculpture, les dessins et mosaïques…jusque dans les couverts, outils, objets et ustensiles de la vie quotidienne.
Les belles histoires transmises par les peuples marins sont douces à entendre. Ainsi en l’honneur des dauphins, les Grecs donnèrent-ils le nom de Delphes à l’une de leur ville, de Delphis le dauphin en grec, un dauphin qui lors d’un naufrage porta Apollon, Apollo Delphinus et son fils jusqu’à la côte où fut érigé le temple de Delphes en souvenir de cet événement…
Admiré pour son adaptation au milieu marin
Il y a 65 millions d’années*, les dauphins étaient des animaux terrestres. De petits mammifères comme l’indohyus, de la taille d’un raton-laveur, qui fréquentaient les côtes et n’hésitaient pas à aller dans l’eau. La magie de l’évolution, au fil du temps, en a fait progressivement des animaux strictement marins, merveilleusement adaptés à leur nouveau lieu de vie !
Un corps parfait pour vivre dans l’eau
La forme des dauphins est idéale pour se mouvoir dans l’eau, un milieu 800 fois plus dense que l’air et donc plus résistant aux déplacements de l’animal. Une forme hydrodynamique qui a inspiré la forme des coques de bateaux, des torpilles. Des vertèbres cervicales fusionnées, soudant la tête allongée au corps, un melon (la bosse de la tête) et un bec arrondis comme les « bulbes » des gros bateaux facilitent la pénétration dans l’eau et l’écoulement laminaire. La disparition des membres postérieurs (les anciennes pattes) et de toute aspérité, favorisent la glisse dans l’eau. Une queue munie d’une nageoire caudale horizontale et actionnée de haut en bas, propulse puissamment l’animal. Des membres supérieurs devenus des nageoires pectorales avec quasiment les mêmes os (humérus, radius, carpes, etc.) que ceux des membres supérieurs de l’homme.
Une peau pour nager plus vite
Pour se déplacer à 50-60 km/h les dauphins ont une peau dont la couche superficielle, l’épiderme, est lisse et élastique, alors que la couche sous-jacente, le derme, est formée de papilles et de canaux richement innervés capables d’absorber et supprimer les filets d’eau qui décrochent avec la vitesse et forment des turbulences freinant la vitesse du déplacement. L’ensemble fonctionne comme un système à géométrie variable qui s’adapte en continu aux conditions d’hydrodynamique. Une originalité qui a inspiré l’homme pour les revêtements de coque de bateaux…
Une respiration de mammifère terrestre
Comme nous, les dauphins respirent avec des poumons, héritage de leur ancienne vie à terre, ils ne captent pas l’air dans l’eau par des branchies comme les poissons. Les narines du petit mammifère terrestre qu’ils étaient, ont migré au sommet du crâne pour faciliter la respiration en surface, pour devenir ce qu’on appelle l’évent. Même si cela le contraint à revenir en surface après plongée possible en apnée de 10 à 20 minutes, ce qui ne serait pas le cas si le dauphin était doté de branchies comme les poissons. L’air contenant 30 fois plus d’oxygène que l’eau, c’est un avantage pour le dauphin. Un animal à sang chaud (36°) et au métabolisme élevé** qui a besoin de consommer beaucoup d’oxygène, son carburant.
Les champions de l’apnée
Pouvant descendre à des profondeurs de 100 à 300 mètres, pour des durées de 10 à 20 minutes, les dauphins ont développé des évolutions facilitant ces exercices. Pour accroître leur réserve d’oxygène, ils ont augmenté le volume de leur sang qui constitue 15% du poids de leur corps contre 7% pour les humains, mais ils bénéficient aussi de plus de globules rouges, plus d’hémoglobine pour transporter plus d’oxygène notamment… Pendant l’immersion, ils stockent l’oxygène dans leurs poumons, sang et tissus musculaires tout en ralentissant leur rythme cardiaque pour moins consommer d’oxygène.
Six sens avec l’écholocation
Le dauphin ne semble pas doté d’odorat, mais grâce à une langue riche en cellules chimio-réceptrices, il a des capacités gustatives (le goût) qui lui permettent de détecter les substances balisant les routes de migration ou les effluves d’un congénère …
Leur toucher est très développé grâce à une peau complexe aux terminaisons nerveuses rendant la sensibilité très fine. Les dauphins sont en permanence dans la caresse, les frottements légers entre congénères, bébés, jeunes ou adultes. Ils adorent d’ailleurs se caresser sur les coques des bateaux. Leur capacité visuelle est remarquable sous l’eau comme hors de l’eau. Ils adorent regarder longuement, tête hors de l’eau, les passagers des bateaux.
Ils doivent cette performance d’une vision dans et hors de l’eau à une faculté de corriger la variation de l’indice de réfraction due au changement de milieu (eau puis air).
Pourvus d’une ouïe développée, dont les orifices auditifs sont situés derrière les yeux, les dauphins disposent d’une oreille interne quasi semblable à la nôtre, mais avec un énorme nerf auditif et des centres nerveux complexes, qui leur donnent une audition très performante, dotée d’une fonctionnalité qui nous est inconnue : l’écholocation. Basée sur l’émission d’ultrasons, c’est le sonar des sous-marins qui permet la détection sous-marine pour repérer, identifier, apprécier les objets ou masses immergés. Les dauphins émettent des ondes sonores, de fréquences variables. Puis analysent les échos de ces ondes réfléchies par le corps ou l’objet rencontré (des poissons qu’ils vont chasser, une coque de bateau, des congénères, un ennemi comme l’orque), pour en déterminer la distance, la forme, la taille et la densité, comme le font les chauves-souris, les taupes, les musaraignes.
L’émetteur sonore interne du dauphin, situé près de l’évent, est constitué de trois sacs, dont le dauphin joue comme d’un instrument à vent, pour envoyer des sons orientés par le melon cette masse graisseuse qui fait un front bombé à la tête de l’animal. Il envoie ainsi un faisceau d’ultra-sons vers la cible, qui sont réfléchis ensuite vers le dauphin, et reçus (les récepteurs) par ses oreilles et ses maxillaires situés à l’extrémité du bec de l’animal. Puis ces sons vont être transmis à l’oreille interne et analysés ensuite par le cerveau qui déterminera la conduite de l’animal : fuite si c’est un orque, attaque si ce sont des poissons… L’utilisation des ondes sonores sert aussi à la communication du dauphin avec ses semblables. En jouant sur les gammes et les fréquences d’émission des sons, chaque individu est capable de « fabriquer » sa signature sonore, si bien que les congénères qui perçoivent un signal, peuvent clairement identifier celui qui l’a envoyé, à des kilomètres de distance.
L’existence d’un pseudo-langage pour leur communication sociale est confirmée par les recherches scientifiques.
Une espèce très proche de l’homme
Au-delà de ces informations anatomiques, les dauphins sont dotés d’une intelligence, placée juste après celle du chimpanzé notre cousin primate, très proche de l’homme. Dans certaines situations de péril pour eux, les dauphins semblent s’en remettre à l’homme pour les aider. Jean Roch Meslin et Gregory Ziebacz nous le racontent très bien au fil des nombreux sauvetages de dauphins vivants qu’ils ont pu réaliser. Ce sont donc non seulement de véritables athlètes merveilleusement adaptés mais aussi des êtres dotés d’une intelligence, d’un langage, d’une sensibilité d’une grande proximité avec un autre mammifère… l’homme.
* 65 millions d’années : ces datations sont obtenues à partir des fossiles de dauphins collectés dans les couches.
** Métabolisme élevé : ensemble des transformations chimiques et biologiques qui s’accomplissent dans l’organisme, et qui se font rapidement compte tenu des efforts physiques de ces animaux très actifs et très puissants.
Président de Ré Nature
Environnement, Dominique
Chevillon est membre du
Groupe de Travail national sur
les captures des petits cétacés
du Ministère de la mer
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