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Le concombre de mer, une aubaine économique et écologique pour l’ostréiculture ?
L’idée de faire cohabiter holothuries et huîtres dans les claires, voire en mer, pourrait offrir un nouveau débouché aux conchyliculteurs tout en améliorant la qualité de l’eau. Une première expérimentation, lancée au Château-d’Oléron, vient d’aboutir à des résultats prometteurs. Explications.
Pourquoi ne pas faire cohabiter différentes espèces dans les claires ostréicoles ? Depuis quelques années, certains ostréiculteurs se sont par exemple lancés dans l’élevage de crevettes impériales, d’autres dans les algues comestibles ou la salicorne. Cette aquaculture multitrophique intégrée (AMTI), qui consiste à réunir plusieurs espèces se rendant des « services » mutuels, est une sorte d’équivalent de la permaculture(1) appliquée à l’aquaculture. « L’idée est d’associer différentes espèces utiles chacune pour les autres et bénéfiques pour l’ensemble du système, tout en réduisant l’impact environnemental », explique Pierrick Barbier, référent scientifique au Centre pour l’aquaculture, la pêche et l’environnement de Nouvelle-Aquitaine (CAPENA).
Sur terre ou en mer, les problématiques de la culture intensive, que l’on parle de culture de maïs ou d’huîtres, sont à peu près les mêmes : une forte concentration d’individus dans un espace limité qui entraîne pollutions de toutes sortes et atteintes au milieu. « Un des grands problèmes dans les champs de monoculture comme les parcs à huîtres, c’est l’énorme quantité de matière organique qu’elle génère », explique Pierrick Barbier. Outre les conséquences sur la qualité de l’eau, les déjections des huîtres peuvent être à l’origine de graves épizooties, les virus trouvant refuge dans ces matières en suspension. Bivalve filtreur vivant sur les fonds marins, les concombres de mer (holothuries) ont justement la particularité de se nourrir de matière organique. « S’ils se nourrissent des fèces d’huîtres ou de moules, cela limitera la quantité de vase et améliorera la turbidité de l’eau », pressent le chercheur.
Plat de luxe en Chine
Le cercle vertueux ne s’arrête pas là : le concombre de mer étant une espèce très consommée en Asie, et particulièrement en Chine, leur élevage en Charente-Maritime offrirait un nouveau débouché économique pour les conchyliculteurs. Considéré comme un plat de fête et symbole de raffinement en Chine, le concombre de mer se négocie entre 150 et 400 dollars le kilo. « C’est un peu comme le foie gras chez nous. Pour les ostréiculteurs, cela pourrait constituer un nouveau débouché et leur éviter de mettre tous les oeufs dans le même panier », confie Pierrick Barbier. L’élevage aquacole des concombres aurait d’autant plus de sens que les Chinois ratissent depuis des années le fond des océans à la recherche du précieux bivalve, et que l’espèce est en voie d’extinction dans le milieu naturel. « Ils ont tellement été surpêchés en zone tropicale que les Chinois vont aujourd’hui en Arctique pour exploiter d’autres espèces d’holothuries ».
En Europe, le concombre est présent partout sur nos côtes mais n’est pas traditionnellement consommé, à part en Galice, voire à la table de quelques grands chefs étoilés, comme Mauro Colagreco qui le propose à la carte de son célèbre restaurant Mirazur à Menton. Il pourrait donc dans un premier temps intéresser les communautés asiatiques vivant en Europe, et pourquoi pas s’exporter dans l’Empire du Milieu, où on lui prête des vertus aphrodisiaques. Par ailleurs, la recherche médicale s’intéresse de plus en plus à ce petit bivalve, qui possèderait des propriétés à la fois anti-tumorales et capables de réduire les effets secondaires des chimiothérapies. « Ce sont de très vieilles espèces apparues il y a très longtemps et qui ont développé des molécules assez uniques », confirme Pierrick Barbier. L’industrie cosmétique suit également de prêt les recherches autour du concombre de mer : tout comme l’oursin, il aurait la capacité à produire du collagène, une protéine favorisant l’élasticité et la régénération des tissus. D’où l’intérêt de réfléchir à la mise en place d’une filière aquacole pour répondre à d’éventuels nouveaux besoins.
Conditions « extrêmes »
En 2018, le CAPENA s’est intéressé à deux projets hexagonaux, à Concarneau et Palavas-les-Flots, visant à maîtriser la production de naissain d’holothuries en écloserie, étape indispensable avant d’envisager un élevage aquacole. « De mon côté, j’ai voulu compléter leurs recherches en essayant de montrer s’il était possible ou non de les élever chez nous, dans nos claires ostréicoles », confie Pierrick Barbier. L’expérimentation, financée sur un reliquat de fonds européen pour la pêche et l’aquaculture( 2), est lancée le 21 mai 2021 dans deux bassins du CAPENA, au Château-d’Oléron. Les ingénieurs introduisent dans deux claires distinctes l’holothurie noire, une espèce présente sur nos côtes atlantiques, et l’holothurie tubuleuse, présente en Méditerranée, puis placent dans les bassins des casiers d’huîtres. Tout ce petit monde va cohabiter jusqu’au 30 septembre, date à laquelle les scientifiques mettent fin à l’expérience. Pour l’holothurie noire, ils constatent un taux de survie de 25%, contre 86% pour la tubuleuse.
Des résultats spectaculaires. « Même pour l’holothurie noire, c’est un bon ratio car cette expérience a été menée sans adaptation zootechnique. On sait par exemple que le concombre de mer a besoin d’abris pour se cacher du soleil. Nous étions donc dans les pires conditions possibles, et on a déjà un taux de survie encourageant », se félicite l’écologue. Pour expliquer cette différence d’adaptation entre les deux espèces, Pierrick Barbier avance l’idée que la « tubuleuse », habituée aux eaux plus chaudes de la Méditerranée, s’acclimate plus facilement aux fortes variations de températures dans les claires. « Les conditions y étaient extrêmes puisque la température peut varier de 20 à 32° entre l’hiver et l’été. C’est un animal qui vit habituellement au fond de l’eau et qui est habitué à des conditions beaucoup plus stables ». Par ailleurs, les individus « atlantique » avaient maigri au bout d’un an, tandis que les congénères méditerranéens avaient pris 10% de poids.
Sensibiliser la profession
Des résultats qui devront toutefois être confortés par de nouvelles recherches (voir encadré), dans la mesure où on savait très peu de choses des individus témoins, prélevés directement dans le milieu naturel pour les besoins de l’expérience. « C’est un peu le point négatif, car il est difficile d’évaluer des taux de croissance et de survie pour des individus qui n’avaient pas le même âge au départ. Il faudrait donc poursuivre l’expérience avec des juvéniles pour avoir des données plus précises », confie Pierrick Barbier. La restitution de ces résultats préliminaires d’ici la fin du mois auprès du Comité Régional de la Conchyliculture devrait permettre aux chercheurs de sensibiliser la profession à ce débouché potentiel. « Il s’agit de mettre tout le monde autour d’une table et de faire connaître le concombre de mer Appelés également bêches de mer, les concombres de dont beaucoup ignorent les marchés potentiels », confie Pierrick Barbier. Si l’expérimentation se déroule du côté d’Oléron, le chercheur compte s’appuyer à l’avenir sur des conchyliculteurs de l’ensemble du bassin ostréicole. « Aussi bien sur Marennes que sur Oléron ou l’île de Ré, il y a toujours des ostréiculteurs pionniers qui sont prêts à tester de nouvelles choses… »
(1) Système de culture intégrée et évolutif s’inspirant des écosystèmes naturels.
(2) Financé à 80% par l’Europe (Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche) et 20% par le Comité Régional de la Conchyliculture, ce programme de recherche comprend une étude sur les vers marin (fortement prisés comme appâts pour la pêche de loisir), et une autre, qui nous intéresse ici, sur les concombres de mer
« Ouvrir le champ des possibles » grâce à de nouvelles recherches
Pour le Centre pour l’aquaculture, la pêche et l’environnement de Nouvelle- Aquitaine (CAPENA), de nouvelles recherches pourraient permettre de répondre à des questions encore en suspens. A commencer par des mesures physiques de la qualité de l’eau : est-elle réellement améliorée grâce cette cohabitation entre concombres et huîtres ?
Le cycle des nutriments pourrait également être mesuré grâce à des analyses chimiques de l’eau. Concernant l’acclimatation des concombres, les chercheurs envisagent un « parcours » d’élevage : les holothuries seraient placées en en claires durant la saison froide, puis en pleine mer, au milieu des parcs à huîtres, pendant l’été, afin de réduire les écarts thermiques. Enfin, une adaptation zoonotique des claires, par l’installation d’abris artificiels, pourraient être testée pour garantir aux concombres des conditions plus propices à leur survie. Si les expériences étaient concluantes, il faudra ensuite changer certains aspects réglementaires pour pouvoir cultiver le concombre de mer au milieu des huitres. « Il y aura des verrous à faire sauter car il faudra enregistrer ces nouvelles espèces dans le cadastre conchylicole », explique Pierrick Barbier, référent scientifique pour l’aquaculture au CAPENA.
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