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Le charpentier de marine qui voulait devenir archiviste
Mathieu Boniton, qui, en 2022, a rejoint l’atelier-librairie Quillet comme restaurateur puis libraire, est un ancien charpentier de marine. Comment passe-t-on des chantiers navals aux livres anciens ? Retour sur la trajectoire imprévisible d’un homme discret.

Naissance d’une passion
Depuis l’enfance, Mathieu Boniton se passionne pour l’histoire, la grande et la petite : il aime « comprendre comment les gens ont vécu ». L’interroger sur son enfance, c’est prendre le risque de voir surgir tous les ancêtres accrochés à son arbre familial. Né à Saintes, fils unique d’un père informaticien, représentant d’une juste autorité, et d’une mère institutrice, douce et attentionnée, il a eu, de son propre aveu, une enfance « sans histoire ». Aussi, ce n’est pas de lui qu’il parle, pour commencer, mais de sa lignée maternelle, dont la trace se perd au-delà de l’arrière-grand-père, orphelin sans ascendance. Ce blanc dans la page, c’est un peu comme un invisible caillou dans une chaussure de marche, un aiguillon pour la curiosité qui ne se laisse pas facilement oublier. Le jeune garçon se construit avec une part manquante, qui agit comme un appel souterrain.
Un détour par la mer
Pour autant, son goût des histoires n’en fait pas un élève assidu. A son entrée en seconde, il annonce à ses parents qu’il ne passera pas le bac. L’adolescent connaît un peu la mer : tous les étés depuis ses 10 ans, il sillonne les côtes françaises et espagnoles à bord du voilier de son oncle. De la navigation à la construction, il y a un pas que Mathieu franchit avec l’insouciance de la jeunesse, et le voici inscrit en CAP de charpenterie de marine, près d’Arcachon. Pour son brevet professionnel, il trouve à s’employer comme apprenti sur le chantier Carènes à Ars, auprès de Jacques Audoin. Il ignore alors que, moins de trois ans plus tard, il en prendra la tête : Jacques Audoin part en Bretagne, les clients de Carènes demandent à Mathieu de reprendre l’affaire. A 20 ans, l’ancien écolier moyen se retrouve à la tête d’une entreprise qui marche bien, au point que deux ans plus tard, il s’associe avec deux camarades pour racheter une entreprise de mécanique navale. « Ce fut mon erreur », reconnaît-il avec humilité et une grimace. « Je manquais d’expérience, la charge était trop lourde. » Il a tout de même le temps, en 2017, de mettre sur le marché un voilier, Éole, qui fait la une du Chasse-Marée. En 2019, le chantier Carènes est mis en redressement judiciaire. Quinze jours après être devenu père, Mathieu liquide Carènes et se retrouve sans emploi.
Changement de cap ?
Ce parcours d’entrepreneur-éclair le laisse étourdi. « J’avais eu mon compte de responsabilités patronales », se rappelle-t-il. Pendant trois ans, il met son atelier de menuiserie dans un camion et sillonne les chantiers du bâtiment de la région. Son indépendance lui permet de profiter de son petit garçon, et de revenir à une ancienne vocation : la politique. « J’ai été politisé très jeune : à 13 ans, je faisais partie des Jeunesses communistes. » Devenir père redonne du sens à son engagement. En 2020, il est associé à la liste du maire sortant de La Couarde, Patrick Rayton, réélu pour six ans. Il oeuvre à ses côtés comme conseiller municipal, dans une équipe bien rôdée. Au sein des commissions, cependant, sa voix porte peu : il est jeune, on ne l’écoute guère. Mais il ne regrette pas son expérience, qui lui a montré la réalité du terrain, et les frustrations qu’elle engendre. « Les gens souvent l’ignorent mais le maire ne fait pas tout ce qu’il veut ! »
Passage de cap…
Est-ce l’effet de la trentaine ? L’heure est au bilan, et avec lui, l’envie de reprendre des études : sa passion pour l’histoire se réveille. Sa compagne, Marie, lui a offert un logiciel de généalogie et pendant ses loisirs, Mathieu s’est consacré à remonter le temps. C’est une révélation. « J’ai fait l’expérience de l’émotion que procure la découverte d’un document qui vous éclaire sur vos racines. » En 2022, Marie attire son attention sur une annonce de la Librairie Quillet : ils cherchent un restaurateur de documents. Mathieu postule sans y croire : il n’a ni diplôme, ni expérience. Mais le courant passe avec Nadine Jaunet, la directrice de l’Atelier. « J’ai une profonde reconnaissance pour elle et pour M. Quillet, de m’avoir donné cette chance. C’est rare, de nos jours, de faire ainsi confiance. » Pour sa première tâche, Mathieu manipule un cadastre napoléonien. Il est au point de croisement de ses intérêts : pour l’histoire, pour les documents anciens, pour la préservation d’un patrimoine, y compris celui des gestes techniques qui restaurent, qui protègent, qui sauvegardent.
Point d’encrage
Dans l’Atelier-Librairie Quillet, Mathieu a trouvé un lieu où exploiter toutes ses compétences. Employé aujourd’hui à la Librairie, pour laquelle il continue de faire un peu de restauration, il a monté avec Olivier Quillet un atelier d’encadrement qui a ouvert l’été dernier, et où il retrouve le contact du bois. L’équipe est jeune, motivée et très soudée. Il faut bien ça pour tenir le rythme de la haute saison. « Une telle entreprise demande un gros investissement personnel. Sans une bonne ambiance, ça ne tient pas. Et puis, on est fier de ce qu’on fait », ajoute-t-il. Il a même réussi à convaincre une partie d’entre eux de participer au marathon de La Rochelle en relais, cette année. Quant aux bateaux, ses déboires professionnels l’avaient tant soit peu refroidi. Cela ne fait pas longtemps qu’il retrouve du plaisir à les regarder. « J’ai un rêve », conclut-il. « Avant de mourir, j’aimerais bien fabriquer un Drakar. »
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