« Le champ des sables », des jardins et des émotions partagés à Loix
Ré à la Hune s’est entretenu avec une partie de l’équipe pour mieux comprendre le succès de ce projet permacole en pleine expansion.
« Un oiseau, un jardin, le bonjour d’un ami, un sourire d’enfant, un chat se prélassant au soleil en quête de caresses. Remarquez-les ou ignorez-les. Le choix vous appartient toujours.” Annelou Dupuis, auteure.
L’histoire commence en 2019
C’est une vraie surprise quand on découvre pour la première fois les jardins du « Champ des sables », cette végétation luxuriante, toutes ces couleurs, ces odeurs… et puis les cheminements qui invitent à la balade. Tout laisse à penser à un décor jusqu’à constater tout ce qu’il y pousse, que cela soit sur des dômes, des buttes ou simplement au sol. Quand on connaît le travail que demande un jardin sur l’île on se demande comment tout cela a été possible…
L’histoire commence en 2019 pour ce groupe de Loidais, amateur de jardinage, quand Thibault et Xavier décident de louer un terrain pour y planter un verger.
Xavier raconte : « On avait planté 700 arbres et arbustes fin 2018 pour faire un espace de sensibilisation, on voulait transmettre mais on ne savait pas encore comment. La permaculture c’est une approche très sociale où tu rassembles et tu fédères mais le dilemme était qu’on n’est pas socialement très à l’aise ». Thibaud ajoute « le 1er but n’était pas la permaculture, c’était essayer de vivre ensemble, cela apparaissait comme un idéal ».
Les deux amis décident donc de lancer un appel à candidatures pour inviter des Loidais à les rejoindre dans l’aventure. Chica se retrouve ainsi en compagnie des deux compères. Elle les rencontre, prend connaissance de leur projet et fait un article pour proposer des jardins mais aussi des ateliers d’apprentissage. La démarche est prévue pour deux ans avec pour volonté qu’ensuite chacun puisse transmettre à sa façon, d’où l’appellation de « jardins tremplin ». Mais Chica, qui est tout à fait novice en jardinage, décide pourtant de se prendre elle-même au jeu et entre dans le projet.
L’article sort en pleine période de confinement, les potagers sont autorisés et ils sont plusieurs à avoir plus de temps que d’habitude. Parmi eux, Sabine : « J’étais absolument nulle en potager, je ne savais pas reconnaître une tomate d’une pomme de terre et j’avais très envie de découvrir ». Elle écrit un mail pour postuler et le lendemain, coup de fil et rencontre. Idem pour Antoine : « J’avais envie d’apprendre, de manger mieux, de cultiver moi-même, d’avoir du lien social avec d’autres locaux ».
Pour Olivier, c’est différent, il avait juste envie de faire des images vidéos du projet, c’est sa profession, mais il trouve ça super et se découvre l’envie de mettre les mains dedans : « Tout d’un coup, je découvre qu’il y avait des gens dans un état d’esprit assez proche du mien et qu’on m’offrait un espace pour une expression collective ».
Une approche très sociale
“Les jardins et les fleurs ont le don de rapprocher les gens”. Clare Ansberry, auteure, journaliste
C’est ainsi qu’un premier groupe d’une dizaine de personnes voit le jour, elles se réunissent, se découvrent et la magie du feeling opère, la première réunion du Champ des sables pose les bases d’une belle aventure. « Trois heures de réunion et on avait l’impression de se connaître depuis toujours » ajoute Thibault. Le groupe décide donc de jardiner tous ensemble plutôt que d’avoir des espaces privatifs.
Au départ, il n’y avait pas vraiment de vision à long terme mais le confinement accélère les choses : design des buttes et du terrain, grelinage, recherche et apport de fumiers et de compost, montage des buttes, ateliers semi…, des rendez-vous réguliers sont organisés notamment par Whatsapp.
Les premières récoltes ont lieu en juillet/ août et tout le monde décide de continuer et d’associer cinq nouveaux villageois. Pour ne pas rester entre connaissances, un nouvel appel public à candidatures est effectué et s’opère alors le jeu de la transmission entre anciens et nouveaux. L’alternance entre théorie et pratique permet à chacun d’intégrer les grands principes de la permaculture sous le regard bienveillant de Xavier et Thibault.
Jacob qui donnait des coups de main de temps en temps intègre alors le groupe « le simple fait de mettre la main dans la terre permet de conscientiser beaucoup de choses, le rapport à la nature, notre environnement, notre façon de consommer… je leur suis très reconnaissant et après trois ans à regarder cette aventure avec une certaine distance, je voulais prendre plus de responsabilité ».
“Welcome to the verger”
« Sème du bonheur dans le champ de ton voisin, tu seras surpris de constater ce que le vent fera produire au tien » Juliette St Gelais, poète.
Vient le temps de l’ouverture, un groupe Whatsapp « Welcome to the verger » réunit une centaine de personnes, des sympathisants, des étudiants, des voisins… et toutes les deux ou trois semaines sont organisés des chantiers collectifs réunissant cinq à vingt-cinq personnes. En parallèle, l’équipe accueille des scolaires et des étudiants pour des ateliers mais aussi les curieux pour des visites.
« Il y a beaucoup de villageois qui passent, qui viennent voir ce qui se passe, certains rentrent, d’autres s’intéressent, des familles entières viennent nous donner un coup de main » explique Thibault. « Accueillir du public et des amis, ça piétine le terrain alors on fait attention » précise Chica. « On essaie de respecter le voisinage, faire en sorte qu’il n’y ai pas trop de monde tout de même » renchérit Xavier.
Et après l’ouverture, c’est le concept de « tremplin » qui prend sens, plusieurs personnes du groupe se mettent à la permaculture sur d’autres terrains autour. Antoine explique « Grâce à ce collectif, j’ai acquis du savoir que j’applique et dans le jardin partagé et dans mon jardin personnel ». Sabine ajoute « Je commence à faire de la permaculture et à sensibiliser mes parents qui ont un terrain et habitent à Loix ». Et enfin, Chica commence un projet de fleurs et de vergers sur un terrain à elle dans le village.
« Le jardin c’est de la philosophie rendue visible » Erik Orsenna, écrivain.
Olivier pense qu’avant d’être du militantisme, il s’agit d’agir « à travers des choses très simples comme faire des légumes sur un bout de terre puis c’est par le plaisir d’apprendre à faire pousser des légumes que tu constitues un petit espace de production responsable et sain. Ensuite, tu en parles aux autres et donc tu donnes envie… C’est un autre chemin que celui du politique, par exemple, il n’y a pas de prosélytisme, il y a avant tout une action, un plaisir qui met en paix avec soi-même ».
Chica approuve « venir et partager un petit bout de terrain, voir pousser des légumes, faire des petits laboratoires entre nous, rigoler, faire des bêtises… on est à nouveau dans un monde à part… une sorte de presqu’île… ».
Récupération et recyclage du déchet vert
« Les musées préservent notre passé ; le recyclage préserve notre avenir » T.Wiesengrund Adorno, philosophe.
À la question des moyens nécessaires pour monter ce type de projet, la réponse est nettement axée vers la récupération et la « débrouille ». Au départ, les arbres ont été achetés grâce à un crowdfunding, ensuite ils ont presque tout trouvé à portée de main, ce qui demande de l’organisation et une bonne gestion de son temps. Par exemple, les jardiniers du village apportent leurs déchets verts, ils récupèrent des cannes pour faire des tuteurs, des vieux morceaux de tuile pour la protection contre les limaces…
Antoine nous livre le récit d’une histoire récente « On a vu un énorme tas de paille sur le bord de la route au mois de septembre alors on a mis un petit panneau pour dire qu’on était intéressé et on a été rappelé. On a alors récupéré de la paille d’une entreprise privée qui se retrouve avec des tonnes d’herbe qu’elle coupe/ fauche sur les routes départementales. C’est juste dommage que quelque chose de plus organisé dans le public ne soit pas en place… ». L’équipe souhaite développer le système qui évite à la matière végétale de voyager jusqu’au continent, ce qui est coûteux alors qu’il y a un vrai besoin en local, cela pourrait servir à d’autres agriculteurs. Tout le monde est gagnant, l’entreprise est venue visiter les champs, ils se sont intéressés à la démarche au-delà du côté pratique.
Xavier approfondit : « Un déchet comme ça devient une ressource pour nous et sur les terrains sableux, on a besoin de beaucoup de matière organique comme le fumier pour nourrir le sol car on ne met pas d’engrais chimiques. À La Rochelle, on peut aller à la déchetterie acheter du compost revendu à un prix dérisoire, il y a sur cette agglo une culture du recyclage du déchet vert qui repart vers le public. A priori, c’est peut-être un trop gros investissement pour la CdC de l’île de Ré, c’est pourtant extraordinaire quand l’institution aide ».
L’équipe pose la question des algues qui sont également un excellent compost « Sur l’île de Ré, nous n’avons pas le droit de les ramasser, où partent celles qui sont parfois enlevées par les communes ? Ce sont des circuits courts nouveaux, espérons que cela donne des idées à l’institution. »
Travailler avec la nature
“La permaculture est une philosophie qui propose de travailler avec, plutôt que contre la nature ; d’observer longuement en réfléchissant plutôt que de travailler longtemps de façon irréfléchie ; et de regarder les plantes et les animaux dans toutes leurs fonctions, plutôt que de traiter tout un site en tant que système monocultural.” Bill Mollison, scientifique.
Certains diront que ce sont de belles paroles quand on a à faire aux maladies et aux nuisibles et en effet, sans pesticides, ils perdent un peu de leur production mais ils finissent toujours par trouver des solutions. Ils avaient été mis en garde contre les limaces, les lapins, les oiseaux… pour l’instant, tout se passe bien. Il y a un pourcentage de perte le temps qu’ils trouvent des solutions mais le système finit par s’autoréguler. L’envahisseur de l’instant T attire un prédateur à la saison d’après, les mauvaises herbes aussi jouent un rôle et puis la mémoire des graines renforce les plantations d’année en année.
En ce qui concerne la gestion de l’eau, la terre est très sableuse, c’est très sec et chaud l’été, même avec du paillage, il y a donc le goutte à goutte dans certains potagers. À Loix, c’est une chance, il y a une lentille, une nappe phréatique statique avec de l’eau propre, d’où l’importance de faire attention à ce qui est rejeté dans la terre car cela ne disparaît pas. Il suffirait qu’un particulier utilise des produits chimiques dans son jardin pour provoquer un ruissellement qui s’infiltrerait dans la lentille et ce sont tous les Loidais qui en subiraient les conséquences. « A priori les agriculteurs professionnels de Loix sont en bio, la volonté politique va dans le sens du bio, à la mairie ils en parlent tout le temps et font vraiment attention, ils font un vrai travail de sensibilisation. La question est de savoir si tout le monde joue le jeu » s’inquiètent les membres du collectif.
« Lorsqu’un seul homme rêve, ce n’est qu’un rêve. Mais si beaucoup d’hommes rêvent ensemble, c’est le début d’une nouvelle réalité. » Friedensreich Hundertwasser, artiste et auteur.
Aujourd’hui, l’équipe est prête à recevoir d’autres villageois et lance donc un nouvel appel à candidature pour une zone à développer en plusieurs jardins supplémentaires. Pour ce groupe, il y aura moins de disponibilité pour accompagner, il faudra donc un minimum d’autonomie.
Contacts :
t.chenaille@icloud.com
x.mounier@hotmail.com
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