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L’aventure anarchiste d’Ars en Ré
Dans une île de Ré fragilisée par une économie difficile, les idées de justice sociale d’un groupe d’individus turbulents qui avait pour habitude de se réunir au café Forgues, vont facilement s’implanter et faire d’Ars un foyer actif d’idées libertaires entre 1870 et 1905.
Le mouvement des anarchistes de l’île prend naissance grâce à deux Casserons de naissance : le peintre William Barbotin et le communard Jules Perrier.
À son retour de Rome, après un séjour à la Villa Médicis et de passage à Genève, c’est un tout jeune Barbotin de vingt-trois ans, qui fait la connaissance du géographe de réputation internationale Élisée Reclus et s’éprend immédiatement de sa fille adoptive. Une passion qui se concrétisera dans un mariage à la mode anarchiste sans intervention ni du maire, ni du curé et le conduit dès le début à adhérer aux idées de Reclus. Par conviction ? Ce n’est pas sûr, mais il est vrai que ce dernier ne lui aurait pas accordé la main de sa fille s’il avait exprimé des opinions contraires aux siennes. Jules Perrier est l’autre compère, qui, ayant pris part activement à la Commune, sera dans l’obligation de s’exiler. Le 10 juillet 1880, l’Assemblée générale vote la grâce de tous les communards exilés, et ce faisant permet à Jules Perrier de rentrer en France et dans son île natale.
L’hôtel et café du Commerce
C’est autour de ces trois hommes William Barbotin, Élisée Reclus et Jules Perrier que se cristallise un réseau d’amis aux idées libertaires semblables et qui viennent régulièrement leur rendre visite dans l’île, en particulier pendant les vacances. Parmi ceux-ci : Félix Pyat, anarchiste notoire, journaliste et auteur dramatique, Édouard Vaillant dirigeant du Parti socialiste révolutionnaire ou Pierre Kropotkine, aristocrate russe et géographe.
« Pas de propriété, pas de patrie, pas d’Église, pas d’État »(1), sont les principes que ces brillants intellectuels martèlent dans l’arrière-salle du café Forgues, devenu avec la mise en service de la ligne ferroviaire en 1898, l’hôtel et café du Commerce. Outre les Rétais Louis Brunereau, Benjamin Baudet et Louis Lucas, l’assistance se compose de marins, sauniers, paysans que le discours de ces messieurs ne convainc pas totalement, mais qui, le manque de distraction et la chaleur de l’alcool aidant, reviennent écouter les orateurs. Les plus érudits s’investiront dans la littérature anarchiste qui leur est proposée.
Ars est alors un village pauvre de 2 000 habitants qui voit sa population baisser régulièrement d’année en année. Les secteurs du sel et de la vigne sont en crise et seule la pêche et, peut-être, l’espoir d’une société nouvelle, nourrissent les casserons. Comme le souligne Didier Jung(1) : « on conçoit aisément qu’à une époque où le patronat est de droit divin, où l’Église régente largement la vie sociale, où l’armée est intouchable, que ces idées aient pu être reçues avec bienveillance par ces hommes de condition modeste, asservis à ces diverses autorités et vivant souvent dans la misère. »
Un groupe sous surveillance policière
S’étant constitué d’abord autour des familles des leaders rétais, puis élargi aux amis, voisins et collègues, le groupe, s’appuyant sur la propagande et l’expertise en ce domaine d’Élisée Reclus et de Jules Perrier, prend de l’importance. Cependant, même si lors des soirées animées au Commerce, on se pose la question du passage à l’acte, le mouvement anarchiste d’Ars reste très modéré. Il inquiète pourtant. Les attentats anarchistes se multipliant à Paris aggravent le contexte politique et l’assassinat par un anarchiste italien du Président de la République Sadi Carnot n’arrange rien ! L’apogée du mouvement anarchiste se situe entre 1892 et 1894. Ce qui explique, qu’à partir de cette dernière date, les « anars » rétais font l’objet d’une étroite surveillance de la part de la police qui transmet directement ses rapports au préfet ainsi qu’au ministère de l’Intérieur. Martinelli, un commissaire spécial désigné pour suivre les activités des anarchistes casserons et du reste du département, s’intéresse à leur presse et et aux publications d’Élisée Reclus. Des perquisitions ont lieu, entre autre chez l’huissier Louis Lucas, neveu par alliance de Jules Perrier. La psychose aidant, cette même année 1894, treize caisses expédiées par le train à l’adresse d’Élisée Reclus à Ars et provenant de son domicile de Sèvres, sèment l’émoi dans l’île. Ne s’agirait-il pas d’explosifs ? Après enquêtes diverses, au cours desquelles même les voisins des Reclus sont mis à contribution, les caisses s’avérèrent contenir des livres et des rideaux, que la famille Reclus avait envoyé pour stockage dans sa grande maison d’Ars avant de partir s’installer en Belgique !
Contribuant à l’hebdomadaire La Révolte, pour qui il réalise des portraits d’anarchistes célèbres comme Bakounine ou Proudhon, et entretenant des contacts suivis avec des marins, William Barbotin n’échappe pas à la surveillance policière.
La fin d’une belle aventure
L’avènement d’un nouvel ordre social, de plus de justice et d’équité en a fait rêver plus d’un dans l’arrière-salle enfumée du café du Commerce. Cette ivresse collective va disparaître d’elle-même. La police, à partir de 1895 c’est-à- dire à compter de l’instauration des lois scélérates de 1893 et 1894 interdisant les actions de propagande, va se désintéresser de ce qui fut considéré comme le premier foyer de l’anarchie dans la région. Élisée Reclus, malade, est moins actif et son collègue Jules Perrier décède en 1904 un an avant lui. Quant à William Barbotin, ses convictions anarchistes se sont diluées dans la renommée et l’aisance financière !
Catherine Bréjat
(1) Les anarchistes de l’île de Ré – Didier Jung – Ed Le Croît Vif
(2) Bibliographie : Élisée Reclus – Didier Jung – Ed Pardès / Les Grandes Heures de l’île de Ré
Bernard Guillauneau – Ed Le Croît Vif / Histoire de l’île de Ré – Michaël Augeron, Jacques Boucard et Pascal Even – Ed Le Croît Vif
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