L’attractivité de l’île de Ré menacée par les multiples pressions qu’elle subit ?
Soumise à de fortes pressions urbanistiques, l’île de Ré l’est aussi à d’autres types de pressions, avec des « complicités actives ou passives » parfois surprenantes. Malgré la vigilance des élus et de certaines associations, l’inquiétude grandit auprès des habitants, pour lesquels la vie sur l’île n’est plus du tout « paradisiaque » à certaines périodes. Ré à la Hune a échangé avec Dominique Chevillon, président de Ré Nature Environnement.
L’île de Ré avait déjà beaucoup changé depuis l’ouverture du Pont en 1988, dont elle fêtera les 30 ans cette année, son évolution a connu une accélération très forte depuis la tempête Xynthia. Entre choc traumatique, enlaidissement provisoire de l’île et effets boomerang des cartes d’aléas, qui ont conduit à accroître encore la pression urbanistique sur le Sud de l’île et les disparités Nord/Sud.
Une qualité de vie rare, mais une saturation humaine inquiétante
Bénéficiant d’une qualité de vie rare en France, l’île est confrontée aujourd’hui à de vrais paradoxes, le premier d’entre eux étant que ce sont les principaux éléments de son attractivité qui sont menacés. Parmi la population permanente, les résidents dits « secondaires », les amoureux depuis très longtemps de l’île, mais aussi les élus, nombreux sont désormais ceux qui partagent un vrai sentiment d’inquiétude sur l’avenir de l’île, victime de son succès. Le niveau de services, d’infrastructures y est très élevé, pour le confort et le plaisir certes des habitants et touristes, mais avec aussi les inconvénients des grandes villes : encombrement des routes, files d’attente dans les commerces, impraticabilité des pistes cyclables, saturation des plages, des parkings, etc.
Lors des longs week-ends de mai 2016 et 2017 et des mois estivaux sursaturés, les « signaux faibles » se sont multipliés, dont la convergence confirme la saturation de l’occupation humaine à ces périodes. Nombre de familles, de seniors, par exemple, n’empruntent plus les pistes cyclables, voire ne prennent plus leur vélo, pour des raisons de sécurité et d’encombrement. Dominique Chevillon s’est livré à la comparaison des densités humaines. Ainsi, selon lui, l’île de Ré est déjà très peuplée depuis 250 ans, avec ses 18 000 habitants sur 85 km2 (et en fait sur 20 % seulement de ces 85 km2), soit une densité de 212 habitants au km2, la plaçant en tête des îles les plus peuplés de France. La densité globale en France est de 98 habitants au km2, et par exemple de 73 hab/km2 en Europe… Lors des grandes périodes de migration touristique, l’île reçoit environ 145 000 habitants, soit 1705 habitants au km2 !
Si l’on considère que seulement 30 % de l’île est fréquentée (zones urbanisées et plages), on atteint 5700 habitants au km2 ! A comparer à la ville qui connaît la plus grande densité d’Europe, Paris, avec 21 000 habitants au km2, qui aurait une densité seulement trois fois plus importante !
Les habitats sédentaires ont remplacé les tentes estivales
Tous les phénomènes de saturation et de pression humaine sont, pour Dominique Chevillon, liés à cette densité humaine, quels que soient les efforts des élus, qui n’entendent pas étendre les zones constructibles (principe des 80 % / 20 %), ou encore en matière de mobilité et pour fluidifier la circulation automobile.
Le responsable associatif pointe du doigt, entre autres, l’occupation des campings, qui en 25 ans sont passés d’emplacements pour tentes, présentes seulement quelques semaines dans l’année, à un habitat sédentaire avec les mobil home, qui restent à l’année, défigurent pour lui les paysages en sites classés, et entraînent des concentrations de populations de plus en plus fortes. « Il pourrait au moins y avoir des efforts d’intégration paysagère avec plantation de haies d’arbres, dès l’entrée de l’île de Ré on tombe désormais sur des rangées de mobil home… », fulmine Dominique Chevillon. « Avons-nous la capacité d’absorber de telles populations dont d’ailleurs l’impact économique sur l’île est très discutable, s’agissant de « villes » quasi autonomes qui proposent tout sur place ? » La réponse est évidemment négative pour lui. « D’autant que les communes cèdent une à une leurs terrains de campings à de grands groupes internationaux, avec le risque majeur de ne plus rien maîtriser ».
Contraste entre la beauté des centres de village et l’artificialisation des extérieurs
« Alors que les centres de villages sont magnifiques, avec un habitat typique et une architecture à la rétaise, on assiste à une très forte croissance de l’artificialisation de l’île de Ré, des extérieurs de villages. Sans oublier les plastiques sur les bords de routes, les serres non utilisées qui restent en place, les dépôts sauvages de toutes natures… Que l’on densifie les centres de village est une bonne chose si cette densification se fait en verticalité, mais l’on assiste trop souvent à la construction sur des jardins, à la minéralisation, à des bandes de construction très longues sur des terrains, qui tous dénaturent les équilibres des villages ».
« On a dépassé le seuil d’alerte, là où on avait une forme de tourisme qualitative et « extensive » on est passé à un tourisme de plus en plus quantitatif, avec des zones très intensives, malgré les efforts des élus. De plus, en figeant le Nord de l’île, le PPRL a entraîné une intensification urbanistique du Sud, sans oublier une artificialisation des terres depuis 25 ans. Paradoxalement, alors que les communes, en sites inscrits, s’embellissent, on assiste à une détérioration des aspects paysagers aux abords des centres-bourg. Certaines zones péri-urbaines sont totalement disproportionnées par rapport à la taille des communes et les dénaturent. Certains sites du Département sont en décalage par rapport à la protection de l’île de Ré. »
Des pressions « particulières »
Au-delà de ces aspects collectifs, l’île subit trop souvent des pressions émanant de quelques individus, avec des « complicités » parfois surprenantes venant d’outre-Pont, qu’il n’est pas de bon ton de dévoiler, d’où cette formulation très vague que nous employons, visant juste à préciser qu’elles n’émanent le plus souvent pas de responsables îliens…
Outre les dépôts sauvages de matériaux utilisés par certaines Entreprises, ou autres déchets de particuliers, les plantations hasardeuses voire les abattages d’arbres, les pressions sur le foncier à bâtir depuis les années 1960, la valorisation foncière de l’île donne lieu à de plus en plus d’appétits sur les Espaces Naturels Sensibles, parfois assez éloignés d’une agriculture locale. Il s’agit souvent d’utiliser l’image de l’île de Ré, à des fins commerciales.
Des « scandales » évités grâce à la vigilance locale
« Ainsi a-t-on échappé de justesse à l’acquisition d’un Espace Naturel classé et « public » au Défend…, « Passé au travers de la vigilance institutionnelle » – façon soft de dire les choses – labouré par un cultivateur du continent, planté par un Cognacais, devant être la propriété d’un oenologue bordelais supporté par des réseaux d’influence… sur quelques ares, juste pour exploiter la « photo » Ré. Au risque en plus de détruire des espèces végétales protégées aux plans régional et national ».
Ayant entraîné une levée de boucliers de « nouveaux agriculteurs » et étant immédiatement dénoncé auprès de qui de droit par la CdC et Ré Nature Environnement, ce projet a fait long feu… Et a donné lieu en réaction à la création par la CdC d’une « Commission d’attribution des parcelles du Conservatoire du Littoral et du Département », faisant d’un mal, un bien.
On a aussi en tête cette vive polémique liée au « rallye aérien en hélicoptère » au-dessus des marais de Loix et de La Couarde, dans un périmètre de Réserve Naturelle, organisé il y a deux ans par le traditionnel Rallye d’une marque automobile, avec l’autorisation de la Direction de l’Aviation Civile… Là encore, CdC et associations ont fait stopper ces survols en hélicoptères. « Nous serons très vigilants cette année – le rallye étant organisé tous les deux ans – que cela ne se reproduise pas ».
Les exemples ne manquent pas, souvent restés secrets, comme cette demande d’une société vendéenne pour faire du Banc du Bûcheron – site classé en pleine mer, sur le Domaine Public Maritime – la base des exercices d’envols d’une école d’ULM, non refusée par le Préfet Maritime, qui a soumis la décision aux communes concernées. Les Maires des Portes en Ré et d’Ars en Ré, soutenus par les Associations, se sont soulevés contre un tel projet.
« La pression pour l’utilisation des Espaces Naturels est de plus en plus forte, quasi autant que celle sur le bâti, et elle ne date pas d’hier, on a tous en mémoire l’épisode des Evières. On peut y ajouter les pillages en tous genres de végétaux et produits, sur des parcelles privées et publiques de l’île de Ré, qui dépassent de très loin le glanage autorisé à des fins de consommation familiale et deviennent une vraie tendance : pignons de pin, immortelles des dunes, criste marine, etc… Ou encore la coupe pour bois de chauffage… Associations et CdC y sont attentives ».
Soumise à de multiples pressions, sursaturée à certaines périodes, l’île de Ré pourrait perdre de son attractivité, malgré la grande vigilance de certaines associations comme Ré Nature Environnement, de la CdC, et d’acteurs locaux, qui doivent parfois se battre contre des raisons… que la raison ignore totalement.
Propos recueillis par Nathalie Vauchez
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