- Patrimoine
- Portraits
- Saga familiale
L’art en partage
C’est l’histoire d’une saga familiale débutée avec Louis Suire, peintre lié à l’île de Ré, qui, ayant hérité de la fibre artistique de ses aïeux(1), la transmettra à son fils Claude et à son petit-fils Olivier, le premier à vivre totalement dans l’île.
Louis Suire a longtemps hésité entre la musique, la peinture et la poésie. Il choisira la peinture sans pour autant jamais se priver de l’écriture ou de la musique. D’une certaine manière, sa musique ressemblait à sa peinture. Elles étaient toutes deux issues du même univers créatif, se souvient son petit-fils Olivier.
Ayant opté pour la peinture, Louis poursuivit ses études artistiques à l’École des Arts décoratifs à Limoges où il rencontre Charles Bichet, un professeur important qui le pousse à « monter » à Paris. En 1917, trop jeune pour partir à la guerre, il entre aux Beaux Arts et fréquente l’Académie Julian où le découvre Albert Marquet, un des artistes qui influenceront le plus sa peinture. A Paris, Louis loge dans le quartier, alors bohême, du 6e arrondissement, rue Gîtle- Coeur, à côté de l’immeuble où sont installés Marquet et Matisse. Il intègrera rapidement la communauté des artistes de Montparnasse où « s’affrontaient les partisans de la couleur et ceux de la ligne, dont Pablo Picasso était le gourou »(2) et sympathise avec Dunoyer, Modigliani, Foujita, Soutine … Rattrapé par la guerre, il travaillera à la section camouflage de l’armée, une arme essentielle même si elle ne tue pas, et passera son temps à cacher le château de Versailles et à reconstituer « un faux Paris dans la plaine de Roissy pour tromper les aviateurs allemands. »(2). Les hostilités terminées, il prépare quelques expositions, qui vont l’aider à percer, cependant il n’est pas attaché à un seul marchand, son ami Paul Durand Ruel ne l’ayant pas pris sous son aile car ses tableaux ne se vendaient pas encore assez chers pour qu’il s’y intéresse. Amoureux d’Hélène, la femme de sa vie et fille du coiffeur de la rue de la Grosse Horloge, il rentre à La Rochelle et l’épouse en 1923. Son fils Claude naîtra l’année suivante.
Le peintre de l’île de Ré
Louis peint sans arrêt, mais ce n’est pas un homme d’argent et il ne sait pas se vendre, fait des prix aux amateurs qui viennent lui acheter des tableaux et souvent les invite à déjeuner. Pour se garantir des revenus réguliers, il deviendra professeur au lycée Fénelon. Le week-end, il reprendra le chemin de l’île de Ré que son professeur Louis Giraudeau lui avait fait découvrir en 1912. La lumière lui était alors apparue fascinante. Il la retrouve, toujours aussi fantastique dans les marais du nord de l’île qu’il aime peindre. Le chemin est long depuis La Rochelle jusqu’aux Portes-en-Ré. Après le bac, la famille doit emprunter le petit train s’arrêtant dans chaque village et une bonne partie de la journée est consacrée au voyage.
En 1929, Louis achète une masure dans le hameau de La Rivière pour une bouchée de pain. Il la restaurera, y travaillera sans jamais s’y installer définitivement. Il y venait en vacances et retournait ensuite à son port d’attache : La Rochelle où il venait de créer sa maison d’édition A la Rose des Vents, une maison axée sur ses centres d’intérêt grâce à laquelle il écrira des choses sensibles qui lui correspondaient. Lorsqu’il était dans l’île, il la sillonnait dans une voiture verte à pédales, qui transportait tant bien que mal son épouse, son fils et son matériel de peintre, mais qui faisait grand effet(3). Les Rétais s’habitueront à ce personnage étrange qui peignait leur grange ou « une moitié de ruelle remplie de roses trémières. »(2), se l’approprieront comme peintre de l’île et vont l’enfermer dans un régionalisme qui fera sa renommée mais qui ne le représente pas, Louis étant un peintre reconnu de stature nationale.
Une place difficile
Claude hérite de la fibre artistique familiale. Tout naturellement, il intègre à 20 ans l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs à Paris. C’est un dessinateur extraordinaire ; il fait beaucoup d’illustrations, de portraits aussi. Comme son père, il sera professeur de dessin au lycée Vieljeux à La Rochelle. Il s’est beaucoup cherché, dans des styles différents. On lui parle sans cesse de son père, on les compare aussi…Sa personnalité a été quelque peu écrasée par l’aura de Louis qui avait à son égard une relation éducative certaine, différente de celle tout en tendresse qu’il entretiendra avec son petitfils Olivier. A La Rochelle, il demeure dans le quartier Maubec, à deux pas de chez son père, il expose dans la même galerie que ce dernier et il aura un fils qui lui aussi aura hérité de la fibre artistique familiale ! Coincé entre l’ombre géante de son père et talonné par sa descendance, Claude, qui n’a pas subi l’envoûtement de Ré autant que Louis, aura du mal à prendre son envol.
La Rivière devient le point d’ancrage de la famille
La famille s’élargissant, la maison de La Rivière s’agrandit et devient le point d’ancrage de tous. Les enfants y passent leurs vacances. C’est là qu’Olivier, absorbé par la magie de voir se construire les tableaux sous le pinceau de son grand-père, recevra, sans le savoir, ses premiers cours. Florent Massé, à la tête de l’Hôtel des Voyageurs (l’ancêtre du Chat Botté) est un ami proche de Louis et les deux familles se fréquentent. Olivier va pêcher de nuit la crevette ou, de jour, la chevrette dans les marais, avec Daniel Massé. Dans la journée, il rêve de pirates et d’aventures sur la plage de la Conche en compagnie de Bernard Giraudeau. A l’époque, les maisons ne disposaient pas du confort actuel et lorsqu’il arrivait que la « tribu » Suire passe Pâques dans l’île, elle amenait bouillottes et édredons et faisait un grand feu dans la cheminée.
Une stature internationale
Olivier saura éviter une partie des écueils rencontrés par son père. D’abord, il se distinguera des Suire qui l’ont précédé en ajoutant à son patronyme celui de sa mère : Verley. Il indique ainsi clairement qu’il accepte l’héritage tout en s’en démarquant. L’intelligence est de le faire sans rupture. Lui aussi se cherchera beaucoup. Vers l’âge de 18 ans, il découvrira la vie parisienne et tout ce qu’elle offre sur le plan culturel à un jeune provincial. Graveur sur cuivre à l’origine, il estime que la discipline le bride trop et décide de se consacrer totalement à la peinture. De tendance surréaliste, il aura le sentiment de ne rien apporter de nouveau et amorcera dans les années quatre-vingt un virage vers la recherche de l’essentiel qui lui fera rencontrer la couleur. Sûr désormais de ne s’être fourvoyé ni dans une discipline, ni dans un style qui ne lui convenaient pas – « On devient toujours ce qu’on doit devenir en peinture » dit-il -, il respire et sa carrière va décoller. Il expose beaucoup à l’étranger, en particulier en Chine, au Japon et aux Etats-Unis.
Il voyage aussi un peu partout dans le monde car « dans les métiers de la création, il est toujours bon d’aller voir ailleurs ». Il séjournera entre autres sur la Riviera française, à Rome, Venise, New York, lieu véritablement extraordinaire dans les années 80 pour les peintres, c’est là que tout se passe ! Les enfants suivront jusqu’au jour où l’île de Ré s’impose d’elle-même comme résidence à temps complet et lieu idéal pour peindre et pour élever des enfants.
Aujourd’hui, la famille Suire-Verley est implantée dans une charmante ruelle fleurie de La Rivière, dans laquelle sont situés le domicile et l’atelier-galerie d’Olivier. Il ne travaille plus qu’avec trois grandes galeries internationales dont l’Addison Art Gallery à Cap Cod sur la côte Est des Etats-Unis, et il prépare une exposition particulière pour chacune d’elles tous les deux ans. Dans l’île, la Galerie Carnot à Ars-en-Ré expose pratiquement exclusivement ses oeuvres. Et la fibre artistique de la famille n’a pas fini de s’exprimer puisque son fils Renaud est photographe et Victor, musicien !
Notes
1 – Jean-Baptiste Mesnier, arrière-arrièregrand- père de Louis Suire peignait les batailles napoléoniennes.
2 – Louis Suire ou la passion de peindre – Daniel Bernard – Editions PC – 207 p
3 – Quelques vélocars circulaient à l’époque dans l’île mais encore très peu
Lire aussi
-
Portraits
Une parenthèse iodée pour le comédien Hugo Becker
Entre une tournée nationale pour jouer la pièce de théâtre « Les variations énigmatiques » et la fin du tournage d’un film, rencontre avec Hugo Becker de passage sur l’île lors d’un week-end prolongé au Relais Thalasso de Sainte-Marie-de-Ré.
-
Portraits
Marine de Missolz, met la Cité au coeur de ses projets
Amoureuse de l’île de Ré, Marine de Missolz s’y pose définitivement le moment venu pour y créer sa compagnie La Mer écrite et faire ce qu’elle aime le plus au monde : étudier l’humain.
-
Portraits
Les trésors de mer de Sabine Franel
Sur le port d’Ars-en-Ré, Sabine Franel nous invite à franchir le pas de son atelier et à pénétrer dans son univers onirique où la laisse de mer se transforme en personnages fantastiques.
Je souhaite réagir à cet article