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L’amorce, fin XIX e, d’un mouvement artistique durable
La société rétaise subit une profonde mutation au cours du XIXe siècle. Société à dominante rurale, elle doit se reconvertir économiquement et enrayer le déclin démographique pour affronter le XXe siècle. Ces préoccupations fondamentales n’empêcheront pas, cependant, la vie culturelle de se développer dans le dernier tiers du siècle et un mouvement artistique pérenne de naître.
L’île de Ré est un petit bout de terre exceptionnel à bien des égards. D’abord par la position stratégique qu’elle occupe en avant-poste de La Rochelle, puis par son climat privilégié, mais aussi par ses enfants qui, marins, militaires, explorateurs ou encore médecins furent nombreux à connaître de grands destins. Il en ira de même dans le domaine culturel.
Gaston Roullet (1847-1925), peintre, et William Barbotin (1861-1931), peintre et graveur, sont à l’origine d’un mouvement artistique qu’ils contribueront à développer et qui, de nos jours encore, perdure. Gaston Roullet, né à Ars, comme Barbotin d’ailleurs, sera nommé peintre de la Marine et des Colonies en 1885 et participera aux campagnes militaires du Tonkin, de la Tunisie, de la Nouvelle-Calédonie, du Sénégal et du Soudan. Il fut l’un des premiers à peindre les rives du fleuve Rouge et du Mékong. Grand voyageur, il exécutera des scènes d’Afrique, d’Océanie, d’Indochine et du Canada ainsi que des côtes bretonnes pour le Monde illustré. Il transmettra le virus de la peinture et du voyage à sa nièce Marie-Thérèse Delthan-Roullet (1870-1945) principalement aquarelliste de sujets floraux.
Plus connu de nos jours, peut-être en raison de son appartenance à la famille de l’anarchiste Élisée Reclus dont il a épousé la fille et à coup sûr en raison du roman que consacra Didier Jung (1) au mouvement des anarchistes de l’île de Ré, William Barbotin naît dans une famille pauvre. Les aptitudes pour le dessin du petit Joseph, qui ne devient William qu’à l’âge de 20 ans en hommage à son bienfaiteur, se manifestent de bonne heure, mais ses parents sont dans l’impossibilité de lui acheter le matériel nécessaire. Joseph va remplacer la mine de plomb par le charbon de bois qu’il se procure au four banal (2) de la rue des Bardons et couvre de ses fresques les murs blancs du village, sans oublier ceux de la mairie. Si bien que lorsque le préfet visite Ars en 1877 et découvre ce que certains qualifiaient de gribouillages, il est impressionné par le talent du gamin et déclare qu’il « faut montrer cela à Monsieur Bouguereau ».
L’adoubement de William Bouguereau
William Bouguereau, grande figure de la peinture académique, est « le » peintre rochelais du XIXe. Lorsqu’il rencontre Barbotin, il est au faîte de sa gloire et vient d’être élu membre de l’Académie des beaux-arts. Napoléon III, Guillaume III de Hollande font partie de ses collectionneurs et il vend ses tableaux à prix d’or. Il se rend immédiatement compte des capacités de Barbotin et le prend sous son aile. S’étant enthousiasmé pour la pureté des dessins de Joseph, il l’oriente vers l’école de dessin gratuite de La Rochelle et le pousse à repasser le concours de l’École Normale d’Instituteurs. S’assurer un revenu pour financer ses études de peinture à Paris est indispensable pour le jeune homme. Nommé instituteur suppléant en novembre 1880, Joseph se rend à Paris. Il a 19 ans et arrive dans la capitale avec pour unique bagage un gros paquet contenant 4 000 escargots censés assurer sa subsistance en cas de disette. Ceux-ci, baveront joyeusement sur les murs de la minuscule chambre louée au 6e étage d’un immeuble de la rue de l’Observatoire !
Un Rétais à la Villa Médicis
Il travaillera d’arrache-pied, alternant les remplacements d’instituteurs avec son travail à l’académie Julian et à l’atelier de Bouguereau. En 1881, l’éditeur Baschet le charge d’exécuter les dessins à la plume d’un ouvrage à la gloire de Bouguereau. Le résultat est tel que ce dernier aiguille son élève vers la gravure et l’encourage à passer le concours de Rome. Barbotin apprend le maniement du burin en l’espace de deux mois et obtient le deuxième prix de Rome en 1882. L’année suivante, il reçoit le premier grand prix qui est en fait une bourse d’études se déroulant à la Villa Médicis à Rome et part pour l’Italie en 1885.
Il va passer deux merveilleuses années dans le cadre enchanteur de la Villa Médicis. Il découvre Rome, ses musées, ses ruines antiques, ses jardins et succombe à son charme. Puis, ce sera le reste de l’Italie et Capri où, parti pour huit jours, il restera plus de quatre mois « fréquentant les pêcheurs et leur apprenant à attraper le calamar à la faucille ».(1) Cela n’exclut pas le travail et il obtient deux prix de l’Institut pour des oeuvres exécutées durant son séjour.
Une renommée à son apogée
Il rentre en France en faisant un crochet par la Suisse où il rencontre Élisée Reclus (3) et tombe éperdument amoureux de sa fille adoptive Sophie-Camille Gueriteau. Cette idylle, qui durera vingt-cinq ans s’accompagnera de l’adhésion de Barbotin aux thèses anarchiques de son beau-père. Bouguereau, désapprouvant, prendra ses distances avec le jeune révolutionnaire.
Son allégeance à Reclus ne nuit pas à sa carrière. La gravure est alors un art plus payant que la peinture. Il grave les portraits d’anarchistes connus : Proudhon, Bakounine, Kropotkine, Auguste Comte… et collectionne prix et médailles dans les salons. Il n’abandonne pas pour autant ses pinceaux qu’il reprend durant ses loisirs d’été dans l’île de Ré. Sa situation financière s’étant totalement modifiée en l’espace de dix ans, il achète, en 1890, la villa des Tilleuls à Ars dans laquelle la famille au grand complet se replie chaque année. L’aisance financière influera d’ailleurs sur ses convictions anarchistes qui vont progressivement disparaître. Après quinze ans d’union libre, il épouse la mère de ses filles, le 15 mai 1901, à la mairie du 15e arrondissement de Paris. En 1903, il reçoit « les insignes de chevalier de la Légion d’honneur, le hochet du déshonneur pour les anarchistes (1) » et devient même, en 1904, fonctionnaire en acceptant un poste d’inspecteur de l’enseignement du dessin dans l’arrondissement de Sceaux !
Barbotin est un homme cordial et chaleureux, aussi fier de ses qualités de marin que de ses dons d’artiste et il aime à recevoir dans sa grande villa d’Ars ses amis peintres parmi lesquels les rétais Louis Giraudeau et Émile Couneau. Présent et actif dans les sociétés artistiques, il rêve de donner le goût des arts et de la beauté à tous et crée un musée à cet effet au phare des Baleines qui sera inauguré en grande pompe. Barbotin et ses relations sont en contact permanent avec les artistes rochelais et parisiens, sensibilisant l’École Rochelaise et les peintres de Montparnasse à la lumière et aux paysages rétais. Ce sera le cas de Roger Natter, Jean Franck Baudoin et de Raphaël Drouart qui choisira de s’installer aux Portes avec sa compagne Cahout également artiste. Après la Deuxième Guerre mondiale, Louis Suire, entraîne dans son sillage Raymond Enard qui finalement s’installera à Ars et Chapelain Midy qui revient régulièrement dans sa maison de Saint-Martin. Ce mouvement ne fera que s’amplifier avec les temps modernes, l’île devenant soit le refuge, soit la source d’inspiration de nombreux artistes.
1 – Les anarchistes de l’île de Ré, Didier Jung, Ed Le Croît Vif, 2013.
2 – Le four banal était à l’origine celui que le seigneur avait fait construire et où l’on devait obligatoirement cuire son pain pour des raisons de sécurité.
3 – Géographe et célèbre anarchiste français.
Bibliographie : Histoire de l’île de Ré, Michaël Augeron, Jacques Boucard et Pascal Even – Ed Le Croît Vif – GER Les grandes heures de l’île de Ré, Bernard Guillonneau – Ed le Croît Vif William Bouguereau, Didier Jung – Ed Le Croît Vif, 2014 Louis Suire ou la passion de peindre, Daniel Bernard – Éditions PC, 2019
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