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« La France est le plus grand tueur de dauphins »
Une nouvelle fois les associations environnementales ont dû batailler avec l’Etat pour que soit appliqué le droit, en l’occurrence l’arrêt spatio-temporel de la pêche, pour protéger les dauphins du Golfe de Gascogne. Le Conseil d’État a ordonné que celui-ci s’applique du 22 janvier au 20 février, les associations seront très vigilantes. Nous avons interrogé le Rétais Dominique Chevillon, tête de proue de ce combat au côté d’Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO.
Ré à la Hune : Tout d’abord, maintenez-vous votre recours devant la Cour européenne ?
Dominique Chevillon : 28 associations européennes ont déposé en 2020 un recours, il a cheminé et est arrivé au dernier stade avant la Cour européenne de justice. Oui, nous le maintenons.
Qu’est-ce qui a motivé votre recours en référé et au fond, déposé en décembre 2023, devant le Conseil d’Etat ?
A la suite de notre premier recours et à la grande manifestation avec l’exposition place des Invalides de quatre cents photos de silhouettes de dauphins morts ou vivants, l’arrêt du Conseil d’Etat du 20 mars 2023 enjoignait à l’Etat de publier dans les six mois un arrêté ministériel précisant les modalités concrètes de l’arrêt spatio-temporel de la pêche en hiver (1er décembre au 30 mars). Ce dernier, qui vise à réduire la capture accidentelle et mortelle de dauphins communs, de grands dauphins et de marsouins communs, s’appuie sur les éléments scientifiques délivrés par le Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM) et par le Comité scientifique, technique et économique de la pêche de la Commission Européenne, qui concluent tous deux à la nécessité d’imposer la suspension de certaines modalités de pêche dans certains lieux et à certaines périodes. L’enjeu est de taille, puisqu’il concerne la conservation de ces espèces en Atlantique Nord-Est, conformément aux obligations issues du droit européen de la pêche et de la directive « Habitats » de 1992.
Par un arrêté du 24 octobre 2023, le Secrétaire d’Etat chargé de la mer a interdit aux navires de 8 mètres ou plus équipés de certains filets de pêcher dans le Golfe de Gascogne du 22 janvier au 20 février 2024, 2025 et 2026. Cependant, pour l’année 2024, des dérogations sont prévues pour les navires équipés de dispositifs de dissuasion acoustique ou de caméras embarquées, ainsi que des assouplissements en cas de défaillance de ceux-ci pour des armateurs s’engageant à s’en équiper.
Quatre associations de défense de l’environnement : LPO, France Nature environnement, Défense des Milieux Aquatiques (DMA) et Sea Shepherd ont contesté en urgence cet arrêté devant le Conseil d’Etat.
Ce problème de massacre des dauphins est-il récent et comment est-il géré dans les autres pays du monde concernés ?
Cela fait trente ans qu’il existe, il s’est intensifié depuis 2016, les modalités de pêche ont causé des massacres de dauphins de plus en plus importants. Chaque année, entre 5 000 et 10 000 cétacés périssent en mer, tués accidentellement pas les filets de pêche.
En Nouvelle Zélande, en Australie, au Japon ou encore aux Etats-Unis, principaux pay s concernés , des solutions ont été trouvées par les différents acteurs, dont les pêcheurs, avec des zonages d’interdiction de pêche durant plusieurs semaines. Depuis vingt ans, on a pu en constater les effets très bénéfiques sur les populations de dauphins. Aujourd’hui, le plus gros tueur de dauphins est La France.
Quelles motivations ont conduit le Conseil d’Etat à donner raison aux associations requérantes, dans son ordonnance du 22 décembre 2023 ?
Le Conseil d’Etat a pris en compte à la fois « l’urgence liée à la conservation des petits cétacés, dont la capture accidentelle ne peut se poursuivre à un niveau qui n’est pas soutenable pendant un hiver supplémentaire et l’impact de sa décision sur l’activité économique de nombreuses entreprises de pêche ».
Le juge des référés du Conseil d’Etat constate que les dérogations prévues concernaient un grand nombre de navires, ce qui allait limiter les effets de l’interdiction de pêche en 2024. Les évaluations scientifiques indiquent qu’une fermeture de quatre semaines ne permet de se rapprocher d’un niveau de mortalité soutenable des petits cétacés que si elle est appliquée à l’ensemble des activités à risque.
Le juge relève aussi que ces dérogations prévues à titre transitoire pour 2024 ne se justifient ni par leur caractère incitatif, ni par des contraintes de mise en oeuvre. Il observe que l’arrêté ministériel n’inclut pas les sennes pélagiques (filets utilisés en surface pour encercler les bancs de poissons), alors que ceux-ci sont à l’origine d’un nombre important de captures accidentelles. En outre, cet arrêté met fin à l’expérimentation de dispositifs de dissuasion acoustique accompagnés de caméras embarquées sur des fileyeurs, sans la compenser par d’autres mesures.
Ainsi le juge du Conseil d’Etat suspend-il les dérogations prévues pour 2024, l’exclusion des sennes pélagiques et l’abrogation de l’expérimentation concernant les fileyeurs. En revanche, il maintient l’exonération prévue par l’arrêté pour les navires de moins de huit mètres et pour l’utilisation des sennes danoises.
La décision du Conseil d’Etat est-elle une victoire pour les associations ? Et la limitation de l’arrêt spatio-temporel à un mois, alors que vous demandiez trois mois, est-elle satisfaisante ?
Nos associations ont oeuvré et combattu contre vents et marées depuis huit ans pour éviter le massacre des dauphins, aidées par les médias, afin de faire connaître les raisons des massacres des dauphins au grand public. Oui, c’est une avancée majeure pour sauver les dauphins. Elle aura aussi un impact positif sur le bar, dont la reproduction est perturbée par la pêche d’hiver. Nous restons toutefois très vigilants sur l’application et le contrôle de ces interdictions. Oui nous demandions trois mois, mais ce mois réédité pendant trois ans est déjà une réalité.
Cet arrêt n’est pas une victoire, mais juste une solution ultime s’appuyant sur la communauté scientifique. Allain Bougrain-Dubourg a souligné que c’est la première fois qu’un gouvernement a complètement détourné une décision du Conseil d’Etat.
Les dauphins ne votent pas !
Cette décision se nourrit de plusieurs choses, notamment l’incapacité du monde de la pêche et de l’Etat de trouver des solutions opérationnelles pour éviter le massacre des dauphins. Plus globalement, on voit que face à l’incapacité des pouvoirs exécutif et législatif à trouver des solutions d’équilibre, parce qu’ils se soumettent aux lobbies et au clientélisme politique, c’est le pouvoir judiciaire qui rééquilibre la situation. Démocratiquement on s’en sort grâce au pouvoir judiciaire et aujourd’hui la préservation de l’environnement passe par les contentieux, notamment devant le Conseil d’Etat, qui est garant de l’intérêt général et de la protection environnementale.
L’ordonnance du Conseil d’Etat est un camouflet pour le Gouvernement français. Le Ministre de la transition écologique et de la biodiversité n’a pas déposé de conclusions devant le Conseil d’Etat, nous savons qu’il est en opposition avec le Secrétariat d’Etat à la mer sur ce dossier.
Si l’Etat ne suivait pas cette seconde décision du Conseil d’Etat qui va dans le même sens que la première, ce serait la fin de notre démocratie, de l’équilibre des pouvoirs.
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