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La culture du sel traditionnelle menacée
La Commission européenne s’apprête à rendre éligible au label AB (Agriculture Biologique) presque toutes les méthodes de production de sel existantes, y compris les moins écologiques. La culture du sel traditionnelle telle qu’elle est pratiquée sur l’île de Ré serait menacée
Les six cents producteurs de sel de l’île de Ré, Guérande et Noirmoutier sont inquiets pour l’avenir de leur métier. Cette décision de la Commission européenne entraînerait la labellisation de dizaines de millions de tonnes de sel en Europe, là où aujourd’hui, l’essentiel des quelques milliers de tonnes de sel vendu dans les commerces Bio est issu des marais salants traditionnels…
Mise en contexte
C’est un véritable coup de tonnerre pour la profession des sauniers de l’Atlantique. En effet, la Direction générale de l’agriculture de la Commission européenne vient de publier un document qui va lui servir de base pour rédiger le cahier des charges du sel bio. Ce document parle de rendre éligible au label AB (Agriculture Biologique) presque toutes les méthodes de production de sel existantes mêmes les plus polluantes. L’association Française des Producteurs de Sel marin de l’Atlantique récolté manuellement voit rouge quant à cette décision qui pourrait mettre en péril près de mille emplois répartis entre six cents producteurs sur trois bassins de production : l’île de Ré, Guérande et l’île de Noirmoutier.
Qu’ils soient regroupés au sein des coopératives ou indépendants, ces femmes et ces hommes sont ancrés dans leurs territoires et pratiquent une activité non délocalisable. Selon leur statut et la taille de leur exploitation, le revenu de la fleur de sel peut représenter jusqu’à la moitié de leur chiffre d’affaires. Consommer du gros sel ou de la fleur de sel issus des marais salants, c’est soutenir leur engagement en faveur de la qualité et du maintien d’une activité durable essentielle à la vie de ces terroirs qui sont l’essence même de notre patrimoine. Dans un marché actuel où les sels industriels sont majoritaires, cette filière de sel traditionnel a réussi à trouver son marché et ses débouchés. Un label AB sur l’ensemble des sels, quels que soient leurs modes de production, viendrait mettre en péril l’équilibre actuel car il donnerait aux consommateurs l’impression que tous les sels et les modes de production sont similaires, permettant ainsi aux acteurs industriels de venir écraser la filière traditionnelle…
Savoir-faire traditionnel contre techniques industrielles
Louis Merlin, saunier à Saint-Clément-des-Baleines et président de l’association des producteurs de sel de l’île de Ré nous aide à y voir plus clair : “Depuis 2018, la Commission européenne travaille sur l’éligibilité du sel bio selon les techniques de production. Nous sommes montés à Bruxelles cette année-là pour expliquer en quoi nos techniques étaient plus légitimes que d’autres pour recevoir ce label, cependant n’ayant apparemment pas réussi à les convaincre, nous avons été rejoints par la Fédération européenne des producteurs de sel récolté à la main, Artisanal Sea Salt, pour nous aider dans cette bataille pour la préservation de nos métiers. La Commission européenne a alors déclenché une expertise technique qui a rendu un rapport sur le sel bio le 9 août dernier, dans lequel il propose des règles de production sur le sel bio. Quelle ne fut pas notre déception à sa lecture. Nous nous attendions à ce que les techniques de production éligible au label AB soient les plus vertueuses, autrement dit un sel qui est issu d’une source renouvelable, eau de mer ou lac salé, avec une évaporation naturelle due au soleil et au vent, ce que l’on pratique ici finalement. Et bien sûr un support naturel, donc pas de plastique, pas de machines et l’absence d’additifs. Ces techniques de récolte traditionnelle figurent dans ce document mais le problème c’est qu’ils ont ouvert la porte à d’autres techniques de production qui sont parmi les plus polluantes. C’est le cas de la production de sel de mine qui nécessite l’exploitation d’une source qui n’est pas renouvelable avec des techniques d’extraction minière ou encore le sel de dissolution qui nécessite de faire des forages, parfois très profonds dans le sol, dans lesquels ont met des tuyaux où l’on injecte de l’eau douce qui va se charger en sel grâce à la roche extérieure et qui sera pompée pour l’évaporer par des techniques industriels. Ce sont deux modes de production qui fonctionnent bien, mais qui bien sûr impliquent des aides à la fabrication comme des additifs, des anti-moussants ou des agents de précipitation, sans compter que cela déstabilise le sous-sol !”
Un label trompeur pour le consommateur
Aujourd’hui le sel que l’on trouve dans les épiceries bio ne l’est pas à proprement parler. Il s’agit d’un sel de mer de type artisanal, autrement dit issu de la production de sel traditionnel des marais salants comme il est produit sur l’île de Ré. Ce sel est reconnu par des labels privés tels que “Nature et progrès” pour sa qualité et son respect de l’environnement. Sur le marché, leur production représente seulement vingt-cinq mille tonnes annuel, une broutille face aux quarante millions de tonnes produites chaque année par les industriels. Si on en croit la Commission européenne, ce sont donc ces produits extraits de mine ou provenant des techniques de dissolution qui vont pouvoir arriver sur le marché avec le label bio alors que leurs techniques de production sont parmi les moins vertueuses et nécessitent un coût carbone excessif.
“Si ces autres techniques de production deviennent éligibles au label bio, cela va renforcer la confusion du consommateur. Il y a une stratégie d’effacement de la spécificité de nos produits artisanaux et de notre métier. Les industriels vont jouer de cela avec le marketing et tromper l’acheteur avec des étiquettes de saunier récoltant à la main, alors que cela est complètement faux”, précise Louis Merlin. Il est donc nécessaire de réviser ce projet pour qu’il soit conforme à l’esprit de discrimination positive des pratiques vertueuses en terme d’environnement que porte le label AB. L’Association française des producteurs de sel a sensibilisé des députés sur le sujet afin qu’ils puissent défendre ces techniques ancestrales le jour où la Commission européenne leur présentera le texte au parlement européen. Même s’ils ne sont pas les décisionnaires finaux, cela pèsera peut-être dans la balance pour la sauvegarde de ce beau métier qu’est celui de saunier.
Ré à la Hune informera ses lecteurs sur l’évolution de ce dossier…
Une bonne nouvelle tout de même pour les sauniers de l’île de Ré
La phase française de L’IGP (Indication Géographique protégée) “Sel de l’île de Ré” a été validée en début d’été par le comité national de l’INAO (Institut national des appellations d’origine) après plus de dix ans d’un dialogue entre l’Association des producteurs de sel de l’île de Ré et l’institut…Le dossier a été envoyé à la commission européenne pour un IGP reconnu dans tous les états européens, cette validation prendra encore quelques années…
Le député Olivier Falorni a écrit au Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation « pour sauvegarder une activité économique forte de 800 emplois. Il est impératif de préserver un modèle de production ancestrale, respectueux de son environnement et de la biodiversité, qui contribue à l’attractivité de nos territoires », explique-t-il dans un communiqué de presse.
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A 42 ans, ce Breton, né dans une famille d’agriculteurs et ayant choisi une voie technico-commerciale, s’est reconverti pour se rapprocher de la terre et a eu l’opportunité de rejoindre la coopérative Uniré, comme chef de culture pour sa filiale Sagiterres.
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