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Julien Favreau, dans les pas d’un virtuose
Lié depuis toujours à l’île de Ré, où vivent ses parents et une partie de sa famille, Julien Favreau, danseur iconique de Maurice Béjart, va bientôt tirer sa révérence. Après 30 ans d’une carrière exceptionnelle au sein du Ballet Béjart Lausanne, il vient d’en prendre la direction artistique. Portrait.
Sur l’île de Ré, Julien Favreau est comme à la maison. Tous les étés, le grand blond retrouve sa famille, les amis d’enfance, les copains… « Quand je viens ici, j’ai toujours un agenda bien rempli », rigole-t-il. « Comme j’ai eu une année émotionnellement chargée, j’ai une semaine tout seul sur Oléron pour vraiment déconnecter… » Né à La Rochelle en 1977, Julien Favreau passe les premières années sur les bords de la Sèvre niortaise, à Marans, d’où sa maman est originaire. A quatre ans, il déménage à Niort où ses parents, charcutiers- traiteurs, ont décidé de reprendre un commerce. Si la famille s’éloigne quelque peu de la côte charentaise, l’île de Ré n’est jamais bien loin. « Nous venions tous les week-ends sur l’île car mes grands-parents avaient une maison à la pointe de Grignon. J’ai toujours connu l’île de Ré, depuis tout petit », confie le danseur. La maison de famille d’Ars-en-Ré, véritable cocon, est synonyme de bonheurs simples, avec la mer et le clocher de l’église Saint-Etienne pour seul horizon. A Niort, la vie de la famille Favreau suit son cours, rythmée par les horaires du petit commerce et de l’école. Quand, à 6 ans, se pose la question d’une pratique sportive (son père l’imaginait footballeur !), il n’y a pas l’ombre d’une hésitation : ça sera la danse ! Si rien, de près ou de loin, ne le destine à la danse, c’est sur l’île de Ré que survient « le déclic ». Lors des belles soirées d’été, la famille Favreau se rend sur le port d’Ars pour manger une glace et profiter des animations, et notamment des bals populaires sur la place du village d’Ars. « Un jour, ma tante m’a proposé d’aller danser. Je lui ai répondu que je ne savais pas danser. A partir de là, je me suis dit que je devais absolument apprendre. Pas simplement pour danser, mais pour bien danser », confie Julien.
Son premier « Olympia »
Parmi les clients de la charcuterie, une certaine Madame Emmilianoff dirige une petite école de danse privée à Niort, et propose à Julien d’y faire un essai. « Elle m’a dit que si je voulais apprendre, il fallait commencer par le classique ». Resté fidèle, Julien Favreau a toujours gardé contact avec celle qui lui aura mis le pied à l’étrier. Pendant un an, le petit garçon découvre les rudiments de la danse, avant le spectacle de fin d’année. Celui-ci se tient à l’Olympia de Niort.
« Pour moi, c’était comme si je faisais l’Olympia ! », rigole Julien Favreau. Second déclic. Plutôt timide, le petit garçon prend un tel plaisir à monter sur scène qu’il aurait souhaité que cet instant demeure éternel. « Je veux faire ça, mais tous les soirs ! », dit-il à sa mère en sortant de scène. Cette envie débordante, rien ne semble pouvoir l’arrêter. Pas même cet asthme chronique, pour lequel les médecins lui recommandent d’habiter en bord de mer. Là encore, tout est fluide comme un mouvement de danse : La Rochelle, balayée par les vents océaniques, dispose d’un Conservatoire de danse parmi les plus réputés du pays. Tenu d’une main de maître par Colette Milner, le Conservatoire fut le premier dans l’Hexagone, en 1982, à mettre en place une classe pour garçons. « Outre la discipline et l’exigence, j’y ai appris l’essentiel : m’exprimer et prendre du plaisir », se souvient Julien Favreau.
Au collège Fromentin, il intègre la classe à horaires aménagés (CHAM), qui permet de regrouper les cours le matin afin de se consacrer l’après-midi à la danse. Il garde un souvenir indélébile de Colette Milner et de ses professeures Marie-Paule Cantenys ou Isabelle Domljan, auprès de qui il développe son imagination et sa créativité, notamment à travers des séances d’improvisation.
« J’adorais, et j’y ai appris des trucs qui m’ont servi toute ma carrière ». L’été, quand ses copains de collège font des jobs d’été « classiques », Julien s’invente une vie de saltimbanque. Sur le port de La Flotte, sur la place du clocher d’Ars ou sur le front de mer de Rivedoux, il monte avec quelques copains et deux ou trois bouts de ficelle des spectacles de danse pour les touristes. Le souci du détail est déjà présent : choix des costumes et de la musique, décoration de la scène et même réalisation d’un petit programme pour les spectateurs ! A la fin du show, lui et ses acolytes passent dans la foule avec le chapeau pour récupérer le fruit de leur travail… Il n’a que 15 ans, mais le public ne s’y trompe pas, comme cette soirée où le port de La Flotte « est noir de monde » ou à l’occasion d’un petit spectacle lors de l’interlude de l’élection de « Miss Ile de Ré » à la salle des fêtes de Rivedoux. Au Conservatoire, les prédispositions du jeune homme sont évidentes. Mais le lycée Dautet, où il doit poursuivre ses études, ne dispose pas de classe CHAM. « Je pouvais aller dans une autre ville pour continuer la danse, mais le niveau n’était pas le même qu’à La Rochelle. J’ai donc décidé de sortir du cursus ».
Béjart, l’évidence
Colette Milner, qui part à la retraite au même moment, cherche à « caser » ses meilleurs éléments, et lui conseille de prendre son envol. Julien, pour se faire repérer, multiplie les stages de danse à Marseille, la Baule ou Bort-les-Orgues, puis passe des concours. Il est reçu dans deux des meilleures écoles en Europe : celle de Roland Petit à Marseille et celle de Maurice Béjart à Lausanne (Suisse). Troisième déclic. Julien Favreau, qui a visionné plusieurs « cassettes » des deux chorégraphes, se sent artistiquement plus proche de l’oeuvre de Béjart. « Et puis Colette Milner, c’était un peu une Béjart en femme »1, rigole Julien. Direction Lausanne, sans savoir que sa vie sera liée à jamais à cette cité helvète… Il intègre l’école pour deux ans, avec le secret espoir d’intégrer à l’issue de sa formation le célèbre ballet Maurice Béjart. Après sa première année, il rentre pour ses quatre semaines de vacances d’été chez ses parents à Rivedoux. Au bout de quinze jours, son téléphone sonne. La secrétaire de Béjart est au bout du fil. « Maurice a besoin de toi, il te propose un contrat avec la compagnie ». Stupeur. Julien, qui n’a même pas fini sa formation, se voit proposer un rôle dans un des ballets les plus réputés au Monde. « J’avais 17 ans, j’étais le petit bébé. Les autres danseurs avaient en moyenne 23-24 ans ».
Ce qu’il a toujours rêvé ne se refuse pas. Mais le passage de la chrysalide en papillon ne se fait pas sans vertiges. Le doute s’immisce dans la tête et les jambes de l’adolescent. « Il y a eu un peu de panique, une perte de confiance. Je pleurais tout le temps. Au bout de quatre mois dans la compagnie, Maurice Béjart est venu me voir et m’a dit qu’il voyait que j’étais en difficulté. Il m’a dit que c’était peut-être un peu trop tôt pour moi, mais m’a laissé quelques mois pour réagir ». Piqué au vif, Julien Favreau retrouve l’envie de se surpasser. Quatre mois plus tard, les danseurs sont convoqués. Maurice Béjart a besoin de trois interprètes pour une création. Tout le monde veut en être, car c’est la garantie de travailler presque en tête-à-tête, pendant plusieurs mois, avec le « maître ». Maurice Béjart choisit deux danseuses confirmées, puis désigne Julien pour le troisième rôle de « Altenberg Lieder ». Ce travail en huis-clos, où Maurice Béjart fait confiance aux danseurs et leur demandent sans cesse de proposer des choses, est un véritable tremplin pour Julien. Il gagne en maturité, en confiance et se forge un vrai corps d’athlète.
« On commençait le matin à 11h avec Maurice, mais on ne savait jamais quand la journée se finirait. Il fallait être disponible à 200%, en permanence ». Pour sa première tournée internationale (à 17 ans !), il se rend avec le ballet au Japon, où Maurice Béjart est considéré « comme un Dieu vivant » et ses danseurs adulés. « Depuis trente ans et cette première tournée, j’ai des fans japonaises qui me suivent. C’est dingue, elles m’offrent des fleurs et des cadeaux à la fin des représentations, et viennent même assister à des spectacles en Europe », sourit le danseur, qui avoue connaîitre aujourd’hui mieux Tokyo (où il a dansé une quinzaine de fois) que Paris. Certaines fans viennent même en vacances à La Rochelle et sur l’île de Ré, espérant croiser leur idole pendant les vacances ! Si Béjart est si respecté, et notamment en Asie, c’est qu’il a su casser les codes du classique : une technique irréprochable mais laissant la place à l’expressivité des danseurs, des chorégraphies avec uniquement des garçons, une ouverture « au grand public » en proposant des spectacles en dehors des théâtres ou opéras, notamment en plein-air.
Sur la table du Boléro
A partir de là, il enchaine les rôles de création et du répertoire de Béjart : « Héliogabale », le phénix dans « L’Oiseau de feu » et surtout le « Sacre du Printemps », qui le révèle aux yeux du monde entier. « Les gens commencent à se rappeler de ton nom. Je ne dirai jamais assez merci à Maurice qui depuis le départ a voulu me mettre en avant », confie Julien.
En 2007, la disparition de Maurice Béjart, remplacé par Gil Roman (un de ses danseurs fétiches), conduit Julien à s’interroger sur la suite. A 30 ans, il est à un tournant de sa carrière. « Si je devais changer, c’était maintenant ou jamais. En fait, j’aimais tellement l’oeuvre de Maurice que je voulais la perpétuer. Et j’avais encore des rôles à danser ». Bien vu. En 2011, Gil Roman lui propose de monter pour la première fois « sur la table du Boléro »2. Un rôle iconique que Maurice Béjart avait certes déjà imaginé pour lui, mais sans oser franchir le pas. « Le rôle était associé à Jorge Donn,le grand danseur des années 80 et une des plus grandes figures du ballet au XXème siècle », explique Julien. Depuis 1960, date de création du Boléro, ils sont une cinquantaine à avoir tenu ce rôle, dont une dizaine d’hommes. Le défi, technique et physique, est immense, mais Julien le relève une première fois, et avec brio, à Aoste (Italie), avec la promesse de le danser l’année suivante à Paris. Un triomphe. « Danser le Boléro à Paris, devant le public français, la famille, les amis, ta carrière prend une autre dimension ! » Depuis, Julien est devenu LE danseur du Boléro, un rôle hyper exigeant physiquement et mentalement. Dans la même veine, il s’est totalement révélé dans le rôle de Freddie Mercury (chanteur du groupe Queen) dans la création de Béjart « Le Presbytère ». « Je ne me suis jamais considéré comme le meilleur danseur au Monde. Mais j’ai toujours dansé avec mes tripes, en donnant toujours le maximum sur scène. On m’a souvent dit que je n’y arriverais pas. Pourtant, j’ai réussi au-delà de ce que j’aurais pu espérer », confie Julien.
Tournée d’adieu
En août 2023, après ses habituelles vacances sur l’île de Ré, Julien retourne à Lausanne avec l’idée que cela sera peut-être sa dernière saison au Ballet Béjart. Après trente ans de carrière au sein de la compagnie, le corps commence à fatiguer. « Les danseurs de l’opéra de Paris partent à la retraite à 42 ans. J’avais moi 46 ans et je sortais d’une année de rééducation après une rupture du tendon d’Achille. J’étais un peu cassé et je n’avais pas envie d’être un poids pour la compagnie », explique Julien avec sincérité. Gil Roman lui demande de « faire un effort » pour encore deux saisons, avec la possibilité de gérer sa fin de carrière à sa guise. Les représentations s’enchaînent (Chine, Grèce, opéra Garnier à Paris) jusqu’au licenciement, en février dernier, du directeur du ballet Gil Roman. Pour assurer la direction artistique3, la fondation fait appel à Julien, dernier danseur de la compagnie (avec Elisabeth Ros) à avoir travaillé directement sous les ordres Maurice Béjart. « J’ai accepté car j’ai l’impression d’avoir toujours été au bon endroit au bon moment. Ce nouveau défi arrive au moment où j’avais décidé d’arrêter, le timing est parfait. C’est un passage de témoin, j’ai envie de faire vivre l’oeuvre de Béjart et de la faire découvrir à de nouvelles générations ».
Avant de tirer définitivement sa révérence, il va se produire une dernière fois, en guise de tournée d’adieu, à Tokyo le 14 septembre puis à Lausanne. Restera un regret : celui de ne s’être jamais produit, avec son ballet, à La Rochelle, ville de ses débuts. « Un retour trente ans après, la boucle serait vraiment bouclée ». Julien parle au présent, comme s’il n’y avait pas définitivement renoncé. Alors… Un dernier rappel avant le clap de fin ?
1) Le fils de Colette Milner, Michel Gascard, a fait une carrière de danseur au Ballet Maurice Béjart avant d’en prendre la direction.
2) Créé par Maurice Béjart en 1961, « Boléro » est dansé par le soliste sur une table, alors que les autres danseurs se produisent autour.
3) Julien Favreau a été nommé directeur artistique par intérim avant d’être définitivement confirmé dans ce nouveau poste pour la rentrée de septembre.
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