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Jacqueline Dervieux, une femme résistante et engagée
Nous avons rencontré Jacqueline Dervieux, 99 ans en juillet prochain, une Flottaise qui a connu un parcours de vie très singulier. Elle évoque avec nous comment elle est entrée en résistance à l’âge de 16 ans et comment son existence fût marquée par son combat pour la liberté.
Fille du célèbre résistant Maxime Dervieux, natif de La Flotte, cette dame souriante, qui peine quelque peu à se déplacer, n’a pour autant rien perdu de son allant et de son caractère bien trempé. Jacqueline est issue d’une famille de résistants de la première heure. Son père, comme beaucoup de jeunes de l’époque, s’est engagé pendant la guerre de 1914- 1918. C’est pendant cette période qu’il rencontre celle qui allait devenir son épouse, Mathilde qui était sa marraine de guerre. A cette époque, les jeunes filles étaient invitées à correspondre avec les soldats pour les soutenir dans les combats. A son retour, Maxime s’installe comme garagiste alors que son épouse restée au foyer éleve leurs quatre filles : Hélène, Jacqueline Colette et Micheline. Et comme une provocation du destin, lorsque ses parents rejoignent La Roche-sur-Yon, après avoir vécu à Bar sur Aube, Nogent sur Seine…, ils habitent rue Pétain ! En parallèle de ses activités de garagiste, Maxime Dervieux entre en résistance en France en 1940, devient responsable départemental du Mouvement « Résistance », travaille pour les services de renseignement gaullistes et est nommé commandant FFI. Il participe à la libération de la Vendée et combat la poche de La Rochelle. Il est revenu s’installer à La Flotte lors de sa retraite en 1968.
1939 : engagée dès ses 16 ans dans la résistance pour gagner sa liberté
Jacqueline a toujours baigné dans une ambiance de résistance et entendu ses parents, grands-parents évoquer la haine des Allemands/”les Allemands comme des ennemis à combattre coûte que coûte.” Elle apprend très tôt à taire son adresse, à ne pas parler et à ne pas courber l’échine. « A la maison aucun mot, aucune allusion sur quoi que ce soit des activités de mon père. Nous savions mais la discrétion et le silence étaient de mise. C’est cette extrême prudence qui a permis à toute notre famille de résister et de rester en vie. Nous faisions tous un. » nous explique Jacqueline.
Dotée d’un fort caractère, sa manière à elle de refuser l’occupation allemande au tout début était, dès son plus jeune âge, de s’amuser à tirer la langue ou de bousculer les Allemands en pleine rue. Fascinée par le bâtiment de la Préfecture de la Roche-sur-Yon qu’elle trouvait très beau et impressionnant elle rêvait d’y travailler. Son voeu a été exaucé grâce à son père qui connaissait bien le secrétaire général. En 1939, à 16 ans, elle quitte l’école pour rejoindre un service de la Préfecture. « Je mettais des circulaires sous enveloppe avec d’autres fonctionnaires et je dépouillais le courrier ». C’est là que commencent ses premiers actes de résistance. A l’arrivée du courrier, le matin, elle repère des lettres écrites en caractères d’imprimerie. Elle comprend très vite qu’il s’agit de lettres de dénonciation anonymes et cela provoque chez elle un effet déclencheur : en faisant très attention elle subtilise ce type ce missives, qu’elle glisse dans les grandes poches de sa blouse et après les avoir découpées en morceaux, les jette dans les toilettes.
Elle nous raconte aussi qu’un jour ne tenant pas en place, plutôt de nature volubile, alors qu’elle sortait en courant de son bureau, un officier allemand vint s’encadrer dans la porte, elle le bouscula pour passer. Il lui demanda de s’excuser en prononçant dans un français approximatif, « pas poli en France ». Elle avait une règle à la main et là sans hésiter elle fit voler sa casquette dans le couloir. Indigné il lui répéta plusieurs fois de la ramasser. « Sûrement pas » pensait- elle au fond d’elle. Jamais. C’est alors que le Directeur de Cabinet de la Préfecture sortit de son bureau attiré par les voix qui s’élevaient. Il ordonna à Jacqueline sur un ton sec de rejoindre son bureau et l’incident fut clos. Puis en tête à tête il l’invita à faire attention car il ne serait pas toujours là pour la protéger.
Toujours habitée par cet esprit de résistance, Jacqueline se faufilait la nuit malgré le couvre-feu, avec l’une de ses soeurs ou une amie, pour retirer des panneaux de signalisation en bois et les brûler, coller des papillons de papier bleus, blancs, rouges sur les volets ou les murs de la Kommandantur ! « Il fallait être actif et faire quelque chose pour qu’ils partent. Nous avions un espoir que les alliés avec le Général (de Gaulle) agissent pour nous sauver. » nous explique Jacqueline Dervieux.
En mars 1941, interrogatoire par les Allemands : un souvenir inoubliable
La Gestapo locale débarque un jour à la Préfecture pour l’interroger, un moment qu’elle n’oubliera jamais. Ils étaient trois dont un avec un nez et des mains de boxeur. Pendant une heure, assise sur le rebord de son bureau face à ces hommes assis sur des chaises, elle fait très attention à ses réponses. Ils lui demandent tout d’abord ce qu’elle fait à la Préfecture, elle leur répond en se moquant « je raccommode des chaussettes… » Puis très vite ils lui énoncent des noms en prenant soin de les écorcher un peu pour qu’elle réagisse mais Jacqueline tient bon et ne perd pas son sang-froid. Tous ces noms elle les connaissait. Tout au long de cet interrogatoire, elle aurait tellement aimé pouvoir les prévenir mais malheureusement le téléphone était placé sur écoute, donc impossible. En partant ils lui lancent un « au revoir au plaisir de vous revoir. » Ce à quoi elle rétorque « au plaisir de ne jamais vous revoir ! »
Quelques épisodes douloureux… qui ont marqué sa mémoire à jamais
« J’ai eu beaucoup de chance dans mon malheur mais il y a une image qui a hanté mes nuits pendant de longues années et encore aujourd’hui je ne peux pas écouter la Marseillaise sans penser à ces pauvres jeunes »…
En effet, Jacqueline est en stage de droit à Poitiers lorsqu’elle voit trois camions bâchés entourés de sentinelles allemandes armées, emporter une trentaine de jeunes maquisards qui venaient d’être jugés et condamnés à mort. « Ils descendaient les marches du Palais de Justice sous les coups de bottes et de crosse des Allemands en chantant la Marseillaise pour montrer la fierté qu’ils avaient de défendre leur patrie. J’étais collée contre un mur avec un Allemand devant moi qui m’empêchait de bouger et je voyais ces jeunes hommes disparaître dans les camions tout en chantant. J’ai été très longtemps à ne pas pouvoir entendre la Marseillaise sans pleurer. L’impuissance est quelque chose d’horrible. Je les voyais qui nous regardaient, ces images m’ont hantée des nuits et des nuits. C’est pourquoi pour moi ce chant est sacré. »
En 1945, Jacqueline Dervieux part en Allemagne comme militaire avec son mari. Plus tard elle revint à La Roche-sur-Yon pour exercer toute sa carrière professionnelle au sein de la Préfecture. Maman de deux filles, elle est aujourd’hui grand-mère et arrière-grand-mère et coule une vie paisible bien méritée à La Flotte depuis qu’elle y est revenue définitivement pour sa retraite en 1984. Son témoignage force le respect et l’admiration et permet de laisser une trace auprès des futures générations. Avant de clore notre entretien nous lui avons demandé ce qu’elle pensait du monde dans lequel nous vivons : « Je me pose beaucoup de questions. S’il nous arrivait une chose pareille, que feraient tous ces « contre tout » ? Je suis effarée. J’ai vu détruire et saccager le monument de l’Arc de Triomphe et les policiers ne pas riposter, j’en ai pleuré. J’ai connu une autre vie où le respect de notre pays et le drapeau bleu, blanc, rouge voulait dire quelque chose. » nous a-t-elle confié.
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