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Indispensable à l’économie, le tourisme tuera-t-il l’âme de l’île ?
L’activité touristique commence à se manifester dans l’île vers 1830, mais ne devient une réalité qu’à partir des années 1860-1865. À la fin du XXe siècle, elle est devenue la première ressource économique non sans risques pour son authenticité.
Les premiers frémissements
Le mouvement touristique débute une quarantaine d’années plus tard que le tourisme balnéaire développé dans la région des Sables-d’Olonne. Différents facteurs justifient ce retard. À l’époque, la liaison avec le continent n’est ni facile, ni agréable et en rebute plus d’un. Elle peut même être dangereuse ; la yole effectuant la traversée entre Rivedoux et le port de la Repentie au nord de la Pallice a fait naufrage à plusieurs reprises. La construction d’un embarcadère à Sablanceaux à la fin du siècle, puis la mise en circulation, en 1914, d’un petit vapeur qui ne mettra qu’un quart d’heure pour relier l’île au continent amélioreront la situation.
Ré n’offrait pas, alors, les attraits que l’on y découvre de nos jours et ses paysages étaient qualifiés de monotones et d’austères par ceux qui s’aventuraient sur notre territoire, ce qui peut s’expliquer par le fait que la partie arborée était répartie de manière différente et surtout présente dans les lieux urbanisés. Certains voyageurs regrettaient l’omniprésence de la vigne.
Côté patrimoine, en 1890, seuls le phare des Baleines et le clocher d’Ars semblent trouver grâce aux yeux des visiteurs qui commencent tout juste à s’intéresser aux fortifications de Vauban. Les infrastructures sont quasiment inexistantes. À l’aube du XXe siècle, le parc hôtelier, essentiellement utilisé par des voyageurs de commerce, se compose d’une douzaine d’hôtels, dont trois à Saint- Martin : l’Hôtel de France, l’Hôtel le Pacha et l’Hôtel Continental, deux à La Couarde, deux à Sainte-Marie, deux à La Flotte et un seul dans chacune des autres communes. Les restaurants sont au nombre de neuf et les cafés de vingt-quatre.
Des siècles durant, il n’y a pas eu d’engouement pour la mer à laquelle on n’attribuait que des vertus thérapeutiques contre la rage ! C’est pourtant cet aspect thérapeutique, avant celui du plaisir de la baignade, qui est à l’origine du développement des « établissements de bains de mer ». Le Vert clos à Saint-Martin et La Couarde sont les premiers à être dotés d’installations sommaires. Des projets d’aménagements voient le jour, mais les investisseurs locaux se montrent frileux et les élus n’ont pas encore bien réalisé ce que le tourisme pourrait apporter à l’île, en particulier qu’il pourrait être une alternative économique à la crise qu’elle connaît. Cependant, celle-ci s’ouvre progressivement aux estivants et la Couarde, probablement grâce à Mistinguette qui y possède un chalet, prend la tête du mouvement.
Les années 30
Le train, acteur essentiel du tourisme dans la seconde partie du XIXe siècle transportera, à partir de 1898, les citadins depuis la capitale et les départements environnants jusqu’aux plages rétaises. Le nombre d’« étrangers » augmentant, les édiles de Saint-Martin créent une « commission balnéaire » qui se préoccupe, entre autres, de l’aménagement en sable des plages et de l’installation de « cabines mobiles de baigneurs ». Il devient de bon ton dans la bourgeoisie rétaise de posséder « sa » cabine.
Le désenclavement de l’île se fera progressivement, la fréquentation s’accroît et surtout on passe de la simple journée d’excursion aux séjours de plus longue durée pour le plus grand bonheur des hôteliers. Les transports s’améliorent grâce à plus de régularité dans les liaisons maritimes et avec la construction, en 1909 à Sablanceaux, d’un nouvel embarcadère en béton.
Un syndicat d’initiative, fondé la même année, s’efforce de faire connaître Ré aux touristes potentiels et La Revue Rhétaise vante le calme reposant et revigorant de l’île ainsi que le coût raisonnable de ses prestations et, déjà, les balades à bicyclette !
La clientèle touristique, encore restreinte à la veille de la Première Guerre mondiale, retrouve sans problème le chemin des côtes rétaises après les hostilités et le tourisme prend son essor à compter de 1920. Les bains de mer deviennent un véritable plaisir reconnu et une économie touristique se met en place. On découvre de nouveaux bienfaits thérapeutiques aux séjours sur place, en particulier pour les enfants après avoir constaté que les petits réfugiés se sont rapidement refait une santé grâce au climat de l’île, et des maisons d’enfants et des établissements de cure hélio-marine apparaissent, le premier en 1918, d’autres suivent en 1925 et 1927 ainsi qu’une douzaine de colonies de vacances.
De 1925 à 1935 les achats de maisons par des propriétaires domiciliés sur le continent connaissent une accélération. Des artistes et des écrivains séjournent dans l’île. L’installation à Saint-Clément-des-Baleines, en 1926, d’Henri Béraud, journaliste et romancier qui obtint le Goncourt en 1922, fit beaucoup pour Ré dans les milieux artistiques et littéraires parisiens. Ses amis Roland Dorgelès, Horace de Carbuccia, Henry Torrès et Pierre Brisson lui rendaient régulièrement visite et une fois rentrés à Paris semaient la bonne parole. Un phénomène de mode est initié, timide au départ, mais qui prend de l’ampleur et voit le développement d’Ars, de Saint-Clément et des Portes. « L’insularité qui constituait jusqu’ici un handicap devient désormais facteur d’attractivité… et une nouvelle image de l’île est en train de se forger : celle d’une île de lumière par son taux d’ensoleillement exceptionnel (1). »
Le boom des années cinquante
Une forte accélération du mouvement s’opère à partir des années cinquante et les touristes s’installent désormais aussi dans la partie Est de l’île, encore peu touchée jusque-là : La Flotte et Rivedoux connaissent une rapide expansion. Après-guerre les hébergements pratiqués sont peu onéreux : on dort chez l’habitant ou l’on fait du camping sur des terrains qui ne sont pas forcément prévus pour ! Les touristes louent aussi chez l’habitant. Ces habitudes vont évoluer en fonction de ce que le marché proposera en matière de locations saisonnières, du nombre de campings (1950 : 2 campings et 245 places, 1966 : 30 campings et 6 865 places) (2) et de la qualité de l’hôtellerie. En effet, la plupart des hôtels datent d’avant-guerre et les créations sont rares ce qui s’explique par la concentration de la saison sur la période estivale. Dans la décade qui suit la guerre, les maisons de vacances prennent de l’importance. En 1963, 43,7% des maisons (2) de l’île sont propriété d’estivants. Les achats, plus nombreux que les constructions nouvelles, sont rendus possibles par la dépopulation de l’île à l’époque. En quinze ans, le trafic de passagers est multiplié par 3,5 : nombre de passagers en 1951 : 553 623 et en 1965 : 1 643 077 !
Le tourisme offre du travail à tous, même aux Rétais n’ayant aucune formation, durant la saison. De plus les locations saisonnières et la vente des produits de l’agriculture leur procurent un revenu. En revanche, le tourisme attire dans les années 70 des projets grandioses (golf, aérodrome, ou port de plaisance), sensés parfaire l’accueil des touristes, mais dont la dimension n’a plus rien à voir avec l’île et qui sont une menace pour les terres agricoles.
Parmi les élus, seul Léon Gendre, maire de La Flotte et Conseiller général, réalise l’ampleur des risques si aucune réglementation n’est mise en place pour protéger Ré. Il obtient de Michel d’Ornano, alors ministre de l’Environnement et du Cadre de vie, l’inscription de la totalité du territoire rétais au titre de la loi 1930 sur la protection du patrimoine naturel, le 23 octobre 1979. Dix ans plus tard, les « espaces naturels » sont classés au titre de la même loi, mais entre-temps, le 19 mai 1988, le pont de l’île de Ré est ouvert à la circulation et tout change de dimension !
Le dossier d’étude d’impact redoute, si aucune mesure n’est prise, que la fréquentation estivale ne passe de 130 000 à 195 000 personnes. Sans les fortes mesures prises dans la foulée, l’île serait aujourd’hui méconnaissable. La question qui se pose désormais est comment accueillir un tourisme de masse tout en respectant la qualité de vie de chacun dans une île qui ne soit pas un décor ?
(1) Histoire de l’île de Ré, Michaël Augeron, Jacques Boucard et Pascal Even – Ed Le Croît Vif – GER
(2) Tourisme dans l’île de Ré, Mme Bordarier, « Norois » N°51, juillet-septembre 1966
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