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- 30 ans du Pont de l'île de Ré
Une île, un pont, trente ans de vie commune
J’ai tracé une ligne indélébile entre passé et futur, entre un continent métropole et une île devenue presqu’île sans vouloir pleinement l’admettre. Je suis le Pont de Ré, j’ai trente ans, et à défaut d’avoir un prénom je mérite bien un dossier.
Avant de laisser la parole à ceux qui vont me relater, j’aimerais vous dire ma façon de penser. Dès ma conception, j’ai été le personnage central de débats passionnés. Plébiscité par les uns, honni par les autres, questionnant sans relâche le politique et l’économique, le culturel et le sociologique, l’urbanisme et l’environnement, je n’ai laissé personne indifférent et j’ai fait couler beaucoup d’encre. La vie sans moi ou avant moi ? Ce ne sont plus que théories et souvenirs dignes d’un livre d’Histoire. Je le dis en toute modestie : mon avènement eut un retentissement national. Il faut dire que mon créateur s’était surpassé. D’ailleurs je l’en remercie : fine, élégante, intemporelle, ma silhouette n’a pas pris une ride. Seul le flot des voitures qui m’emprunte a grossi au fil des années. Devenu emblématique, je suis finalement bien plus qu’un ruban de béton. Car j’ai une vie moi aussi ! Mais il est temps justement que je retourne à ma fonction qui n’est autre que de relier les hommes. Charge à eux de faire de moi ce qu’ils jugeront, pour le meilleur ou pour le pire. Comme me le murmure souvent l’océan mon complice, dont les flots incessants coulent sous mes piliers, autant en emporte le vent !
PLR
Des écrits sur le pont
Sous le pont Mirabeau coule la Seine, murmurait Apollinaire… Et sur le pont de l’île de Ré, a coulé un peu d’encre…
En dehors des comptes rendus de différentes assemblées ou réunions, de procès-verbaux de conseils municipaux, le pont a fait l’objet de plusieurs traces écrites, avant même sa réalisation.
Pour référence, dans un premier temps, une série de brochures publiées par Léon Gendre, maire de La Flotte et seul élu actuel à avoir été en fonction avant la construction de l’édifice. Dès 1974, date à laquelle le Conseil général de la Charente-Maritime prend position pour la construction du pont, Léon Gendre (il n’est pas encore maire et le sera en 1977), rédige une brochure intitulée : « Ré, peut-on encore te sauver ? ». Deux ans plus tard, il récidive en publiant une plaquette, sous le titre : « Ré-an 2000 ? ». Jusqu’alors fervent « pontiste », il dénonce notamment les insuffisances et les inconvénients du service des passages d’eau. Mais dès lors qu’il prend la mairie de La Flotte, il devient « pontiste conditionnel », sa position étant subordonnée à la protection de l’île. En 1979, il rédige « Mise à mort d’une île » (59 pages) puis publiera pour le vingtième anniversaire du pont, « L’île de Ré, 20 ans après… ».
Nous avons repéré une autre trace écrite sur le sujet. L’été 1985, le « Groupe d’Etudes Rétaises » publie le numéro 20 des « Cahiers de la mémoire » sous le titre : « Un pont pour Ré ». Ce dossier d’étude d’impact, réalisé par Pierre-Philippe Robert, Thérèse Babaud, Eric Babaud et Jean-Claude Baniée, présente l’intérêt d’améliorer la liaison Ré – continent , en insistant sur une prise de conscience de l’environnement insulaire et une réflexion sur les implications et la crédibilité des choix économiques à venir.
Côté « productions littéraires »
Pich, alias Michel Thévenot, publie en 2012 : « Avant de passer l e pont »(1), un récit où il évoque son enfance sur le continent. Venu s’installer définitivement à Ré, l’artiste-peintre nous fait explorer son « île à trésors ». Il dresse avec passion une galerie de portraits, n’oubliant jamais d’attiser les souvenirs relatés par les Anciens… Pour l’auteur, le pont fait figure de symbole, une rupture, une page qui se tourne. Il représente, pour lui, un témoin vivant, une partie de sa vie.
En 2017, Olivier Ginestet, directeur des éditions Amok, publie un roman intitulé « Le pont »(2). L’’histoire est celle de Lucas, homme désabusé qui quitte la capitale pour La Rochelle. Il n’a qu’une obsession : sauter du pont de l’île de Ré. Une rencontre accidentelle avec Clarisse va bouleverser sa perception du monde et l’aider à se reconstruire. Elle lui murmure, un jour, « êtes-vous, déjà allé sur l’île de Ré ? ». Après une réponse négative, ils prennent le bus pour y passer la journée. Au moment du retour, Lucas décide de faire le trajet, à pied, sur le pont :
« A mi-parcours, je me suis arrêté et j’ai regardé dans le vide. Je n’ai pas eu peur. A ma gauche, il y avait le port de La Pallice et ses immenses grues, à ma droite, l’île de Ré, ses plages et ses forêts, face à moi, l’océan… J’avais franchi l’étape dont me parlait Clarisse. J’avais franchi le pont, sans passer par-dessus… ».
Cette route de près de trois kilomètres qui enjambe la mer fait aujourd’hui partie du paysage. Mise en valeur par plusieurs photographes de talent, elle sera, sans aucun doute, une source d’inspirations et, peut-être même d’interprétations poétiques… « Il suffit de passer le pont » chantait Brassens…
Certes, si ce monstre de béton a affecté ou transformé certains aspects de la vie insulaire, n’oublions pas que les coutumes ont la vie dure. Pour les Rétais, permanents ou résidents secondaires qui ont connu « l’avant pont » (et ils sont encore nombreux), traditions et clichés du passé appartiennent à leur patrimoine matériel ou culturel. Ils sont toujours présents. Rassurons-nous, l’île de demain ne pourra jamais effacer les traces de son passé. L’image de la quichenotte, celle de l’âne en culotte restent gravées dans la mémoire collective rétaise.
Jacques Buisson
(1) « Avant de passer le pont », 2012 ; Editions Persée
(2) « Le pont », 2017 ; Editions « Amok »
Un tunnel ou un pont, quelle différence ?
Les habitants de l’île de Ré ont de tout temps traversé le bras de mer qui les sépare de La Rochelle.
Des documents du XVème siècle, procès verbaux ou autres enregistrements, témoignent déjà des coûts et des droits de passage qui profitaient au seigneur local. Les chaloupes partaient de La Repentie pour rejoindre le Fort de la Prée, la périlleuse traversée était soumise à l’état de la mer et aux horaires des marées.
Les toutes premières liaisons régulières avec le continent ont été mises en place en 1834. Les bateaux à vapeur arrivaient à Rivedoux, La Flotte ou Saint- Martin. Ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale que la flotte des bacs a pris le relais. L’idée du pont reliant la Rochelle à Ré date de 1974 mais douze ans d’âpres réflexions ont été nécessaires pour qu’il voie le jour.
Les nombreuses polémiques liées à la conception du pont n’ont généré que peu d’alternatives.
Certains résidents prônaient l’avantage d’une liaison unique par jour, aller le matin et retour le soir, afin de limiter le nombre de voitures et l’affluence touristique, déjà préoccupante avant le pont. Cela se fait à Ouessant, à Sein et dans bien d’autres îles au monde mais à Ré, cela aurait été un retour en arrière.
On dit que dès 1860, les Rétais envisageaient de creuser un tunnel pour faciliter les échanges avec le monde extérieur, ce fut aussi une possibilité émise par le commandant Cousteau. Mais un tunnel ou un pont, quelle différence ? Cela n’aurait rien changé à la densité du trafic.
Certains regrettent aujourd’hui que l’alternative un temps envisagé d’un Pont reliant La Pallice au Fort de la Prée ou à l’Abbaye des Châteliers n’ait pas abouti. Elle aurait certes préservé Rivedoux-Plage, mais sans impact a priori sur le trafic global.
En bateau, en avion, sur un pont ou sous un tunnel… voire à la nage (!), rien n’empêchera le Rétais d’aller et surtout de revenir sur l’île.
Véronique Hugerot
Prouesse technique et ouvrage d’art, en 30 ans le pont n’a jamais failli
« Sa courbe, la variation de hauteur des travées de bonnes proportions ajoutent à l’esthétique de l’ouvrage. Sa réussite est sa qualité technique »*.
Ainsi s’exprime Michel Virlogeux, ingénieur du pont, concepteur entre autres du viaduc de Millau, du pont de Normandie ou encore du « Yavuz Sultan Selim » inauguré en août 2016, troisième pont qui permet de franchir le Bosphore en Turquie. L’homme qui a vu son talent participer à la déclinaison d’une centaine d’édifices confesse volontiers que le pont de l’île de Ré reste l’un de ses projets majeurs.
Élégance et modernité, sa cambrure alanguie signe une invitation à enlacer l’île, sa ligne épurée appelle à la sérénité, hissée par ces piles en réalité massives qui semblent effilées et aériennes. L’art est bien présent dans cet ouvrage venu épouser le paysage sans le détériorer, mais plus encore conjuguer avec ses contraintes, grâce à une infrastructure conçue pour tenir en toute circonstance, subir les assauts des rafales et des processions de poids lourds. Certes les travaux des cabinets d’étude et d’architectes ont pu s’appuyer sur l‘expérience et les vingt-ans de recul à l’époque de nos voisins d’Oléron. Ré s’illustre toutefois comme une innovation décisive qui voit « La première application en France de la précontrainte extérieure à une si grande échelle », prolongement aujourd’hui éprouvé de la technique du béton précontraint, développée par Eugène Freyssinet.
La mécanique des efforts
Oui le pont danse ! Plutôt il trémousse son « S »… Un peu du chêne, un peu du roseau ; tantôt il s’appuie sur ses fondations (4 pieux inclinés de 2 mètres par pile, forés, encastrés et fichés dans le substratum calcaire à 12 mètres), tantôt il s’incline, se dandine et joue des 7 joints qui le composent, sortes de fermetures éclair en acier qui rassemblent les tronçons de béton.
Soumis à la contrainte permanente par des câbles d’acier tendus, les voussoirs compensent naturellement avec les forces de tractions pour former des monoblocs rigides et souples à la fois. Par mauvais temps ou sous la pression des migrations touristiques, le tablier du pont est donc libre de se mouvoir. Le matériau est utilisé au mieux de ses possibilités (les joints se dilatent parfois jusqu’à 25 cm de côté soit 3 mètres de jeu possibles sur les 6 viaducs) au point que les inspections mandatées tous les 6 à 9 ans (les piles sont vérifiées par des alpinistes) n’ont jamais donné lieu à réfection.
Facilitées par la mise en place d’un rail à l’intérieur, les opérations de maintenance sont toujours un succès et l’acheminement en eau et électricité dans ses entrailles un progrès notable.
Devenu le cordon ombilical de l’île de Ré, le pont est en pleine santé et s’inscrit sans doute au palmarès de l’imagination architecturale au service de l’efficacité.
Majesté de l’édifice, rapidité de construction
Bouygues avait promis de le construire en vingt mois, grattant ainsi un délai significatif sur son plus proche concurrent qui lui a donné l’avantage. Pari remporté !
Tout commence avec l’arrivée de l’énorme plateforme de forage venue du Golfe de Guinée et ses quatre barges satellites qui s’activent au printemps 1986 pour creuser les fondations sous-marines des vingt-huit piles espacées de cent dix mètres. À La Repentie, l’ancienne zone militaire voit une véritable usine s’élever pour la construction des 796 voussoirs de béton qui formeront le tablier du pont. Le chantier occupe près de 500 ouvriers dont une grande partie est affairée à couler la centaine de tonnes de béton nécessaire à la fabrication de chacune des pièces.
En juillet 1987, la poutre de lancement et ses 285 mètres de long entre dans la danse pour coordonner l’assemblage des travées.
La cadence est telle que le pont progresse de plus de 20 mètres par jour. L’édifice est fin prêt avec la pose du dernier voussoir en février 1988, trois mois plus tard le maître d’ouvrage prenait officiellement réception des travaux pour une mise en service le 19 mai de la même année.
Deuxième plus grand pont de France derrière celui de Saint-Nazaire, le chantier de l’île de Ré détient le record de rapidité d’exécution, un exploit encore inégalé !
Marie-Victoire Vergnaud
* Extrait de l’interview de Michel Virlogeux, reproduite dans « 30 ans du pont de l’île de Ré ». David Canard éd° La Geste.
Long de 2 926,5 km et large de 15,50 mètres, le pont est constitué de 28 piles de 5,50 mètres de diamètre et de 24 travées de 110 mètres de long auxquelles s’ajoutent 3 travées de rive.
Les travées forment quant à elles six viaducs distincts reliés entre eux par des joints de chaussée.
Sa partie la plus haute culmine à 42 mètres.
Sa construction a nécessité 50 000 m3 de béton, 6 000 tonnes d’acier et 796 voussoirs pesant de 80 à 130 tonnes.
Anecdotes et événements du pont de Ré depuis 30 ans…
De nombreuses anecdotes et événements insolites ponctuent le quotidien et la vie du pont de l’Ile de Ré.
Le livre de David Canard « 30 ans du pont de l’île de Ré »* qui vient de paraître, résultat d’un travail approfondi et de recherche de 3 années pour retracer l’histoire de cet extraordinaire édifice, en propose un certain nombre. En voici quelques extraits enrichis de « perles » recueillies auprès de Destination île de Ré, d’archives diverses et des habitants de l’île qui ont vécu de près ou de loin la construction du Pont.
Les agents receveurs en première ligne avec les usagers et notamment les touristes, ont quantité d’anecdotes incroyables à partager. « Peut-on passer le pont à marée haute ? », « Le pont est-il fermé la nuit ? », « Est-ce qu’il y a un pont pour sortir à l’autre bout de l’île ? », « Faut-il à nouveau payer pour ressortir ? » « A quelle heure ferme le pont le soir ? » « Nous n’avons pas trouvé le péage en retour alors nous sommes sortis sans payer » « Le pont est-il fermé l’hiver ? » « Il est où le passage pour rejoindre le continent à marée basse ? »…
Concernant les faits marquants notons : une demande de rançon sinon le pont sautera… Lors du passage d’un cirque, un cheval s’échappe… Le 7 février 1996, première interruption de service du pont suite à une tempête avec des vents dont les rafales atteignent 140 kms/h… Dans le cadre du Téléthon de 2001, les rétais forment une chaîne humaine dans une nuit glacée de décembre, en portant des torches pour éclairage… Le sauvetage d’une jeune femme assise sur la rambarde du pont qui s’apprêtait à mettre fin à ses jours… La fermeture du pont toute la nuit du 28 février 2010 lors de la tempête Xynthia et 1553 passages gratuits accordés aux organismes de secours (pompiers, EDF, sécurité civile…) ainsi que 139 tickets délivrés gratuitement à des continentaux pour se rendre sur l’île afin d’aller aider leurs proches… Un nouveau sauvetage d’une femme au pied des piles du pont in extremis par hélicoptère le 11 novembre 2011… Lors de la coupe Euro de foot en juin 2016, le bus de l’équipe de foot espagnole « La Roja » venant s’entraîner et hébergée sur l’île passe le pont escortée de motards de la Police Nationale, la circulation est fermée dans un sens… En 30 ans, 40 tournages de films et prises de vues publicitaires se sont déroulés sur le pont… 41 manifestations ont eu lieu entre 1999 et 2016 comme les motards en colère, les marins-pêcheurs, les infirmiers, agriculteurs, taxis rochelais, chasseurs… mais aussi le collectif des associations de défense des sinistrés de Xynthia, 450 manifestants vêtus de blanc le 24 avril 2010…
Quelques situations dramatiques ont marqué l’ensemble de l’équipe du pont : un insulaire menace de venir avec un fusil suite à un refus d’attribution d’une dérogation, le personnel prenant ou quittant son service est alors escorté par des gendarmes jusqu’à leur véhicule ou jusqu’à l’entrée du bâtiment durant une journée, les tentatives de suicide qui se terminent de manière tragique affectent aussi beaucoup le personnel…
Des événements marquants : lors de la tempête de 1999, le pont a dû être fermé et l’ensemble du personnel comme les usagers se sont retrouvés bloqués dans la gare de péage. Une nuit durant, le bureau du Directeur s’est transformé en pouponnière et 2 personnes âgées bloquées dans leur véhicule ont été sauvées des rafales de vent qui faisaient osciller l’auvent de 2 m…
Au quotidien
Il faut s’adapter à toutes les situations et également gérer les humeurs des clients. Les agents sont forcément confrontés à des râleurs mais dans l’ensemble tout se termine bien. Lors de la défaite de l’équipe de France à l’Euro, un agent confie que travaillant de nuit, un jeune homme s’est présenté et avait oublié sa carte de Pont. Il pleurait suite à la défaite des français… Une écoute est nécessaire tout en faisant son métier. Le Directeur du pont, Monsieur Marcelo, doit parfois intervenir pour calmer les tensions entre manifestants et usagers et a dû s’interposer plusieurs fois pour calmer des clients un peu énervés. Un métier à risque !
Parmi les rumeurs persistantes…
L’une des rumeurs les plus folles et qui fait encore frissonner aujourd’hui, légende colportée par les détracteurs du pont ? Nul ne sait… Le cadavre d’un ouvrier tombé pendant la construction aurait été muré dans l’un des piliers !
Ce pont qui a tant fait parler et qui continue à défrayer la chronique a vu s’affronter 2 camps : les pros-pont qui mettaient en avant les avantages de la construction de l’ouvrage accélérateur de développement économique et touristique pour l’île et les antis-pont dont le chef de file était le célèbre Commandant Cousteau. Ce débat a été relayé dans les medias et notamment lors d’une émission spéciale de « Droit de réponse » présentée par Michel Polac sur TF1 … Ce sera le pont l’heureux gagnant et Michel Polac suite à cette émission sera licencié 3 jours plus tard par son patron Francis Bouygues, propriétaire de la chaine de télévision TF1… L’une des questions subsiste toujours aujourd’hui : le pont a-t-il été construit sans autorisation ? Aucune réponse sur le sujet…
Florence Sabourin
* Edition La Geste, 30 du pont de l’île de Ré par David Canard – 15 euros.
Un grand merci à l’auteur pour ses précieux conseils et son écoute.
L’Ile de Ré d’une nouvelle ère
Dire que la construction du Pont fut un changement pour l’Ile de Ré est un peu faible. C’est bien d’un bouleversement qu’il s’agit, pour ne pas dire d’une révolution, dont les effets ont été considérables.
De tous temps, les moyens de communication ont été des ressources à enjeux. Economiques mais aussi environnementaux et sociologiques. Sur Ré, la présence du pont, cette possibilité surgie des eaux de rejoindre en quelques kilomètres aisément parcourus le continent a changé, du jour au lendemain, la vie des habitants. Il y a un avant le 19 mai 1988 et un après.
En cette fin des années 80, le développement du tourisme va déjà bon train, et même s’il n’est pas encore ce que l’on appelle aujourd’hui le tourisme de masse, les estivants sont toujours plus nombreux à rejoindre l’Ile de Ré. Certes, la traversée en bac fait partie de l’aventure. Il n’empêche, les files d’attente ne cessent de s’allonger. La liaison maritime avec le continent impose d’autres contraintes, pour les secours et la vie quotidienne. A l’heure où la société tend à repousser les limites, Ré est quelque peu empêtrée dans les siennes. La tentation du monde souffle un vent fort venant de terre.
Opportunité naturelle
Elle est immense. Ré, territoire insulaire baigné dans un patrimoine naturel intact d’une beauté indéniable, béni des dieux par un climat favorable presque aussi ensoleillé que le sud-est de la France, riche aussi de savoirs faire ancestraux, a un destin tout tracé. Si le pont n’est finalement qu’un mince filet de béton, il ouvre devant l’île une véritable autoroute. Celle du développement de l’industrie touristique sur 35 kilomètres résolument préservés. Près de 900 000 voitures prirent le pont en 1988 pour passer à 1,52 millions en 1989. En 2000, la barre des 2 millions étaient franchie. En 2017, le péage du pont a enregistré 3 347 000 de passages. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Vu du continent, Ré a le parfum rare et subtil des paradis déjà perdus.
Pour essor économique
Le tourisme est une manne a priori inépuisable qui booste l’économie intérieure. Les activités primaires entrent dans un nouvel âge, commerces, lieux de villégiature et activités de loisirs s’adaptent aux exigences de ce nouvel essor économique.
Quant au pont, il devient à partir de 2012 une économie à lui tout seul, en produisant à chaque passage payant une redevance pour service rendus allant à son entretien, gestion et fonctionnement (50 employés), et la fameuse écotaxe dont le montant, réparti entre Département et CdC – cette dernière en reversant une partie aux communes de l’île – sert exclusivement à la gestion et à la protection de l’environnement insulaire ainsi qu’au développement de projets de développement durable comme les véhicules propres.
En trente ans, Ré, autrefois plus intimiste, est entrée dans le cercle des destinations prisées et désirables, survolant les frontières pour séduire les clientèles les plus éloignées.
Et maintien de la vie permanente
C’est une lapalissade : là où fleurit l’économie peut s’épanouir la vie. Des résidents secondaires venus couler des jours tranquilles à l’heure de la retraite à tous ceux qui, tombés amoureux du territoire, y ont trouvé une seconde vie, en passant par les emplois créés pour répondre aux nouveaux besoins, Ré a regagné de nouveaux habitants avec le pont, dont des Rochelais pour lesquels l’île est une sorte de banlieue privilégiée. En 1982, l’île comptait 11 360 habitants. Nous sommes aujourd’hui 18 000. Là encore les chiffres sont significatifs, rendant possible et pour exemple, l’existence de l’intercommunalité et protégeant le territoire de la désertification.
Les effets pervers
Flux et reflux… Trente ans après l’inauguration du pont, les files de voitures n’attendent plus devant le bac mais à l’entrée du péage, voire sur la rocade rochelaise transformée en périphérique parisien, comme ce jeudi d’Ascension 2011 et ses quatre kilomètres de bouchons. Quant à sortir de l’île, on peut y passer autant de temps que pour aller jusqu’à Poitiers ! Bref, la problématique est quasi la même sauf qu’aujourd’hui en haute saison, la saturation se poursuit bien au-delà de Sablanceaux, détériorant peu à peu l’image de l’île et les relations entre Rhétais et touristes.
L’ouverture au monde a aussi signé l’explosion d’un foncier par nature restreint. Des excès aux convoitises en tous genres, c’est sa jeunesse que Ré voit partir depuis des années, faute de pouvoir se loger. La menace plane de nouveau sur la vie permanente, imposant aux élus des stratégies en matière de logement, dont les projets éclosent petit à petit.
Quant à la vie de village si chère aux anciens Rhétais, elle s’est réduite comme peau de chagrin, les volets fermés étant si nombreux l’hiver que certaines rues en deviennent fantomatiques.
Ceux qui redoutaient hier l’invasion de la horde touristique ont vu leurs craintes se confirmer. Mais ceux qui aujourd’hui s’en plaignent devraient peut-être parler moins fort puisqu’ils ne cessent d’en profiter. Tel est le paradoxe rhétais.
Demain ?
22 ans après le pont, Xynthia entre en scène. Par les mesures de préventions que l’évènement impose, voilà réintroduit des déséquilibres entre Nord et Sud avec le risque, même contrôlé, d’une sur-urbanisation du sud de l’île. Quant à la voiture, l’urgence se fait sentir. Le Président de la CdC travaille actuellement sur un projet Mobilité dont on imagine qu’il sera d’envergure, assez du moins pour entamer cette mutation. Déjà annoncée, la création, en partenariat avec le Département, d’une voie dédiée aux bus et véhicules de secours, qui irait dans un premier temps de Rivedoux à Sainte-Marie. Mais on imagine mal celle-ci s’arrêter au chevet d’un pont saturé. Revient donc la question d’une autre troisième voie « propre », sur un pont redevenant héros d’une nouvelle étape.
Première des richesses du territoire, l’environnement et sa protection ont toujours été ici affaires sérieuses. Et pour cause, c’est un élément d’attractivité majeur auprès de touristes toujours plus nombreux en quête d’une nature épargnée. Cette troisième voie est une avancée qui ne saurait se suffire à elle-même. Il faudra aussi un changement des mentalités. Trente ans après, le pont questionne de nouveau le territoire qu’il a rapproché du continent.
Pauline Leriche Rouard
Une expo pour les 30 ans du Pont de Ré
À l’occasion des 30 ans du Pont de Ré, le Département de la Charente-Maritime et la Communauté de Communes de l’île de Ré ont souhaité marquer l’événement sobrement en réalisant une exposition itinérante retraçant l’histoire des liaisons maritimes jusqu’à la construction du pont.
Cette exposition est composée de quinze panneaux déclinés en cinq grandes thématiques : Les liaisons maritimes jusque dans les années 30, la période des bacs, les débats, la construction du pont et l’écotaxe.
Elle s’attache à présenter les liaisons maritimes depuis l’Ancien Régime. Elle décrit les types de bateaux, leur évolution technique, les aménagements portuaires, les raisons des traversées et les nombreuses difficultés rencontrées à chaque période de l’Histoire. Elle évoque le défi technique de la construction du pont et sa réussite jusqu’à la protection des sites et des paysages rétais. L’exposition s’est appuyée sur les fonds d’archives et de cartes postales conservés aux Archives départementales et à la Communauté de Communes de l’île de Ré. L’exposition sera présentée à partir du 11 juin 2018 jusqu’au 30 août 2018 dans le hall de la Communauté de Communes de l’île de Ré à Saint-Martin-de-Ré avant de cheminer dans l’île.
Dominique Bussereau, Président du Département de la Charente-Maritime et de l’Assemblée des Départements de France, ancien Ministre et Lionel Quillet, 1er Vice-Président du Département de la Charente-Maritime, Président de la Communauté de Communes de l’île de Ré, en présence de Fabrice Rigoulet-Roze, Préfet de la Charente- Maritime, de Jean-François Fountaine, Maire de La Rochelle, Président de la Communauté d’Agglomération de La Rochelle et de Patrice Raffarin, Maire de Rivedoux-Plage, 1er Vice-Président de la Communauté de Communes de l’île de Réconvient les Rétais et Rochelais à l’inauguration de l’exposition « Tout un pont de l’histoire de Ré », samedi 9 juin 2018 à 14h30, salle des fêtes de Rivedoux.
CP
Le tablier, composé de 796 voussoirs, repose sur 28 piles de 5,50 m de diamètre, distantes de 110 mètres, s’appuyant chacune sur 4 pieux de fondations représentant en tout 1 100 mètres linéaires de forage.
La réalisation a nécessité 55 000 m3 de béton et plus de 6 000 tonnes d’acier au total.
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