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Il y a 50 ans, l’opération de la dernière chance pour l’ostréiculture
Victime d’une épizootie qui ravagea près de 90% de la production, l’huître portugaise avait quasiment disparu en 1970. Les ostréiculteurs charentais-maritime s’organisèrent, au printemps 1971, afin de monter l’incroyable opération « Résur », qui permit le sauvetage de la profession grâce à l’huître japonaise. Récit
Il est 16h, ce 16 mai 1971, lorsqu’un avion cargo DC 8 d’Air Canada s’apprête à atterrir sur le tarmac de l’aéroport de Mérignac. Une foule de 300 personnes s’est réunie aux abords de la piste d’atterrissage pour assister à ce débarquement hors du commun. Sur le parking voyageurs de l’aéro- port, des dizaines de voitures et de camions immatriculés « 17 » ! Non, il ne sont pas venus pour attendre une star du ballon rond ou un célèbre acteur d’Hollywood, mais pour une cargaison… de 38 tonnes d’huîtres ! Pour l’ostréiculture cha- rentaise-maritime, et en particulier pour le bassin Marennes-Oléron, ce vol d’Air Canada est l’ultime espoir de sauver une filière au bord de la faillite. L’huître portu- gaise, espèce cultivée sur nos côtes depuis l’échouage accidentel d’un bateau (voir encadré), est victime depuis l’été 1967 d’un étrange mal. La maladie des branchies, une infection virale, entraîne une nécrose des branchies et la mort de l’huître. En quatre ans Crassostrea Angulata (son nom scientifique) fut quasiment éradiquée des côtes françaises : on dénombra même jusqu’à 90 % de mortalité dans les parcs dès novembre 1970 suite à une nouvelle épizootie, la maladie hémocytaire.
Naissain japonais
Quand on connaît l’importance de la filière ostréicole en Charente- Maritime, se profile une véritable catastrophe économique et sociale. Dès 1955, alors que la productivité commençait à décliner, Paul Jarno, ostréiculteur à la Tremblade, s’était rendu sur la côte Ouest américaine pour étudier les huîtres japonaises. « Les ostréiculteurs américains connaissaient déjà une forte mortalité sur leurs huîtres et avaient importé cette espèce, jugée plus résistante », explique Aline Pauwels, directrice de la cité de l’huître (à Marennes), qui consacre actuelle- ment une petite exposition à cet épisode. Paul Jarno rapporte dans ses valises un échantillon de six kilos afin d’effectuer des essais, suivis par l’Office des pêches, dans les eaux charentaises. Devant l’innocuité de cette espèce, Paul Jarno fait ensuite importer une tonne de naissain de la baie de Sendaï, au Japon. Suite à cette expérience concluante, des ostréiculteurs novateurs, proprié- taires de grosses exploitations, se mettent à importer massivement du naissain japonais.
Lorsque survient la maladie de l’huître portugaise en 1967, la colère commence à monter dans la profession : on accuse l’huître japonaise d’être à l’origine de la contamination de l’espèce locale ! La rumeur ne sera jamais étayée, mais l’importation de naissain japo- nais n’est de toute façon pas viable à long terme : son coût grève les trésoreries et seules les plus grosses exploitations peuvent s’en sortir. Par ailleurs, les Japonais refusent de vendre des huîtres « mères » – celles qui permettraient d’ense- mencer définitivement l’huître japo- naise dans le milieu naturel- afin de faire prospérer le marché juteux de l’export de naissain…« L’énorme mortalité de l’année 1970 pousse alors la filière à s’organiser collec- tivement pour trouver une solu- tion et être indépendante vis-à-vis des Japonais », commente Aline Pauwels. C’est le début de l’opé- ration « Résur » de 1971, dont l’intitulé fait davantage penser au nom de code d’une opération mili- taire qu’au sauvetage de l’ostréi- culture1. En avril 1971, le syndicat professionnel et son président Pierre Grolleau prennent une lourde décision : l’introduction dans le milieu naturel d’une cinquantaine de tonnes d’huîtres génitrices japonaises (Crassostrea gigas). La mission de la dernière chance est confiée à Henry Blanchard, ostréi- culteur à Arvert, qui doit résoudre une équation à plusieurs incon- nues : trouver les fonds néces- saires, des huîtres « pondeuses » puis assurer leur rapatriement en France. Jean Noël de Lipkowski, député-maire de Royan et secré- taire d’Etat aux Affaires étrangères, joue un rôle important dans cette opération.
Après de nombreuses recherches, Henry Blanchard découvre une note de l’ambassade du Canada en France indiquant la présence de l’espèce Crassostrea gigas sur la côte pacifique. Sans les moyens de communication actuels, ce voyage est complètement épique, digne des aventures des trappeurs de fourrures au Canada au expédier vers la France 115 tonnes d’huîtres génitrices ! Il faut faire vite, car un autre problème se pose : les huîtres doivent impéra- tivement être introduites avant leur cycle de reproduction (lorsqu’elles deviennent laiteuses), en juin. Dès le 14 mai, des centaines de camions sont affrétés pour transporter les 38 tonnes d’huîtres, correspondant à la première livraison, vers l’aéro- port de Vancouver. « Une telle opé- ration est totalement inédite pour l’époque, c’est vraiment exception- nel », souligne Aline Pauwels. De l’autre côté de l’Atlantique, c’est le jour J : le 16 mai, les ostréicul- teurs du bassin Marennes-Oléron se regroupent sur le port de Ribérou, à Saujon avant de prendre la route de Bordeaux. Le convoi est impres- sionnant, et les camions Renault arborent des banderoles « opéra- tion Résur ». Des contrôleurs de l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes (ISTPM, ancêtre d’Ifremer) font également 18e siècle. Dans cet immense pays, il faut non seulement trouver le gisement d’huîtres, mais également un ostréicul- teur prêt à vendre une cen- taine de tonnes d’huîtres mères ! Dans sa quête du Graal, Henry Blanchard, après des semaines de recherche infructueuses, jette son dévolu sur l’estuaire de la Campbell River, située dans la baie de Pendrell Sound, à 200 kilomètres au nord de Vancouver !
Attente interminable
C’est ici qu’il fait la connais- sance de Westley Parry, un gros ostréiculteur prêt à expédier vers la France 115 tonnes d’huîtres génitrices ! Il faut faire vite, car un autre problème se pose : les huîtres doivent impéra- tivement être introduites avant leur cycle de reproduction (lorsqu’elles deviennent laiteuses), en juin. Dès le 14 mai, des centaines de camions sont affrétés pour transporter les 38 tonnes d’huîtres, correspondant à la première livraison, vers l’aéro- port de Vancouver. « Une telle opé- ration est totalement inédite pour l’époque, c’est vraiment exception- nel », souligne Aline Pauwels. De l’autre côté de l’Atlantique, c’est le jour J : le 16 mai, les ostréicul- teurs du bassin Marennes-Oléron se regroupent sur le port de Ribérou, à Saujon avant de prendre la route de Bordeaux. Le convoi est impres- sionnant, et les camions Renault arborent des banderoles « opéra- tion Résur ». Des contrôleurs de l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes (ISTPM, ancêtre d’Ifremer) font également partie du voyage, de même que Jean Noël de Lipkowski. L’attente est longue, d’autant que le vol à du retard. Mais à 16h10, les hauts parleurs de l’aéroport apportent enfin la délivrance : « Vol Air Canada en provenance de Vancouver, atter- rissage 16h12 ». Le soir même, sous une pluie battante, les camions du « 17 » prennent la route avec le précieux chargement. Dès le 17 mai, les huîtres sont implantées dans le milieu naturel, sur quatre sites au large de Marennes : mal- gré une mortalité importante le 9 juin, les huîtres pondent Dans les 15 jours suivants, deux autres avions cargos livreront deux autres cargaisons, pour un total de 115 tonnes d’huîtres. Cette opération Resur sera renouvelée en 1973 puis 1975 afin de pérenniser l’ensemen- cement de l’huître japonaise sur nos côtes. Cinquante ans plus tard, on peut dire que le pari est gagné…
(1) Le nom Résur vient du mot résurrection car l’opération s’est déroulée à la Pentecôte.
Sources : exposition sur l’opération Résur, cité de l’huître à Marennes, visible jusqu’aux vacances de la Toussaint. Renseignements au 05 46 36 78 98.
Les camions de transport, immatriculés “17”, attendent sur le parking voyageurs le précieux chargement ©citedelhuitre
La légende de l’huître portugaise Abondante sur les côtes euro- péennes, l’huître plate, Ostrea Edulis, est l’huître indigène de la France. Sa surexploitation au milieu du 19e siècle entraîne un tarissement des bancs naturels et le recours à l’élevage de l’huître (l’ostréiculture). Pour remédier à l’épuisement de la ressource, les ostréiculteurs d’Arca- chon décidèrent d’importer des huîtres du Portugal. Le 14 mai 1968, le Morlaisien, un bateau pris dans une tempête, fut contraint de s’abri- ter en Gironde. Selon la légende, le capitaine décida de jeter par-dessus bord sa cargaison d’huîtres creuses portugaises, qui survécurent avant de coloniser le littoral charentais…
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