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Etat ? D’urgence !
C’est inévitablement par le vecteur de la dérision (le déni ?) que d’aucuns lisent les critiques des juristes sur cet état d’urgence que la quasi intégralité de nos parlementaires vient de voter, dans un bel élan d’unanimité, confondant unité nationale et panurgisme, quand ce n’est pas de très vilaines considérations électorales qui – in fine – emportèrent le reste, le reliquat devrais-je écrire de leurs convictions.
Est-il utile de rappeler que la loi du 3 avril 1955 a été votée à l’occasion des évènements d’Algérie et qu’elle est encore applicable… ce qui démontre que les lois d’exception restent et demeurent dans le caryotype législatif de nos démocraties bien après que le fait générateur de leur création ait disparu.
Devons-nous rappeler que cette loi (outre pour les faits algériens) n’a été réveillée que deux fois avant ce jour : une fois en décembre 1984 en Nouvelle Calédonie, et on ne peut pas dire que la grotte d’Ouvéa laisse le souvenir d’un grand moment de la démocratie parlementaire… une autre fois en novembre 2005, dans 25 départements et pour parer aux émeutes dans les « quartiers » (déjà, ces mêmes « quartiers » que ceux dont sont pour grande partie issus les jeunes « radicalisés » dont nous déplorons les dérives sanglantes…).
On voit mieux, avec ce court rappel, que la prolongation de cet état d’urgence, sur tout le territoire national, pendant trois mois, n’a rien de banal en termes de libertés individuelles et collectives.
Je ne peux pas résister à l’observation qu’une démocratie parlementaire, comme première réaction – paradoxale – à l’agression par un groupe de barbares (je ne vois pas qu’il s’agisse d’un Etat au sens propre du terme malgré le nom dont ils s’affublent) est de réduire, voire de mettre par parenthèses les libertés individuelles et collectives qui la fondent et caractérisent…
Et que l’on ne vienne pas m’agonir d’un sondage – un de plus – qui ferait état de 85% d’opinions favorables à ce corset liberticide : je renverrais sans délai au traité de la Servitude volontaire de Mr. Etienne de La Boétie : C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être soumis ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug ; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche… 85%, donc…
On ne voit pas plus loin que le bout des inlassables communiqués de presse, délayés ad nauseam par une presse unanime, univoque et des vérités révélées colportées par des savants en tout : en syndromes traumatiques post-attentats, en islamisme, en islamophobie, en relations internationales, etc… que sais-je encore ! Ainsi, nous n’échappâmes pas à l’inévitable expert, successivement psycho-sociologue, déliant sa sauce radiophonique sur la résilience comme à chaque occasion, (de l’accident de car au drame du 13 novembre en passant par le viol, le meurtre et le licenciement abusif : résilience à tous les étages, résilience pour tous et toutes), ni au général d’armée en retraite, spécialiste de tout ce qui fait peur, ni à celui de la CCI de Paris, exposant que l’urgence était de convaincre le ministre du drame du commerce, de la restauration, du tourisme, de l’économie. A rien, nous n’avons échappé à rien.
Pas même aux mots d’ordre idiots. On avait eu « nous sommes tous Charlie » on a eu « Allons tous en terrasse ».
Bel exemple de la réaction d’une société qui prend l’eau de partout
A cet acte fondamentalement hostile, et plus que de s’interroger sur ce « fondamentalement » ; nous répondrions donc avec un triple aveuglement :
– par ‘la guerre à la guerre’, en affrétant notre porte-avions,
– par le gel de nos libertés individuelles et collectives,
– par la volonté affirmée de manière incantatoire de ne rien changer à nos comportements, alors qu’en fait tout donne à penser que tout a changé le 13 novembre 2015.
Triple aveuglement puisque c’est bien à la guerre que DAESH veut nous obliger : avec succès désormais ; que c’est bien notre démocratie et ses attributs que ce groupe combat : ce à quoi il parvient avec cette loi liberticide ; que c’est bien à nous faire passer pour une société sans âme ni avenir autre que celui d’un consumérisme frénétique qu’il tend : confirmation que nos réseaux sociaux lui livrent comme une offrande avec des mots d’ordre puérils et un journalisme abscons. Et pourtant des voix s’élèvent qui devraient être écoutées.
Je pense à celle de Mr. E. Macron qui n’hésite pas à dire qu’il est temps de se regarder en face. Temps, de faire un bilan de notre société. Temps de dire comme lui que ces djihadistes issus de nos « quartiers » (Dieu, que je n’aime pas ce mot qui en soit contient tout un back office d’ostracisme…) sont aussi et souvent les enfants d’une politique abandonnique, voire raciste. Temps de dire et d’écrire comme lui que quelqu’un sous prétexte qu’il a une barbe ou un nom à consonance qu’on pourrait croire musulmane, a quatre fois moins de chances d’avoir un entretien d’embauche qu’un autre. Temps de dire que notre société offre le spectacle désolant d’un affaissement dramatique de nos valeurs et principes de droit et de morale (je ne vous fais pas l’affront de la liste incroyable de nos élus et dirigeants, y inclus de la société civile, qui font les joies des chroniques judiciaires pour des délits tous orientés vers un enrichissement frénétique et obscène). Temps de dire que la représentation nationale et locale sont bancales et exclusives de tout un pan de notre population appelée à regarder silencieuse et frustrée (en fait de moins en moins silencieuse et de plus en plus frustrée) le bal des puissants à la porte de la salle du banquet.
Je n’entends pas d’intellectuels dans ce silence. Je n’entends personne dans ce silence assourdissant.
Alors, le risque est grand de voir encore et encore notre société se fracturer. Et je ne parle pas de la fracture chiraquienne qui ressemble à vingt ans de distance – une génération – à une aimable entorse. Non, je vous parle d’une fracture ouverte, saignante. Une fracture que l’on ne réduira pas avec des mots, avec des slogans, avec des états d’urgence décrétés. Il y a bien une urgence, mais elle est celle d’un Etat, démocratique qui assume et règle cette fracture – au risque que des élus y laissent leurs mandats, leurs indemnités, leurs avantages et laissez-passer de toutes sortes.
Le risque est grand aussi – et je le lis quotidiennement sur les réseaux sociaux – nouveau vecteur d’une catharsis débridée et sans pudeur – de l’avènement de nouveaux prêches d’amalgames et d’exclusion.
Le risque ? Je ne sais si l’honnêteté n’est pas d’écrire que le risque n’est plus et que nous sommes désormais dans la réalité ! A ceux qui cèdent à ces discours de stigmatisation et d’exclusion, je ne peux que livrer ces quelques mots d’Etty Hillesum, jeune hollandaise, juive, assassinée le 30 novembre 1943 à Auschwitz par d’autres barbares : « N’y aurait-il plus qu’un seul Allemand respectable, qu’il serait digne d’être défendu contre toute la horde des barbares, et que son existence vous enlèverait le droit de déverser votre haine sur un peuple entier. (…) Rien n’est pire que cette haine globale, indifférenciée. C’est une maladie de l’âme. (…) Je me fais une mission de préserver l’union de cette petite communauté, pour faire mentir toutes les théories racistes, nationalistes, etc. »
Novembre 1943…
Novembre 2015.
Voir notre article Vie, bonheur et liberté
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