- Environnement & Patrimoine
- Projet éolien marin de Nouvelle Aquitaine
Eolien marin : un projet ayant « hérité du cumul des erreurs passées », selon le rapport de la CNDP
Dans son rapport rendu public jeudi 28 avril au soir, la Commission particulière du débat public témoigne de la forte défiance à l’égard de ce projet, « alimentée par les atermoiements de l’Etat ». A ses yeux, « l’insularité est une clé de compréhension de la conflictualité », qui devrait être prise en considération par la maîtrise d’ouvrage. Elle formule quinze attentes et recommandations « dans l’hypothèse où celle-ci poursuivra le projet. » L’Etat a maintenant trois mois pour décider.
Dans son bilan synthétique de trois pages, Chantal Jouanno, Présidente de la Commission Nationale du Débat Public rappelle d’emblée : « Si les responsables du projet faisaient valoir le consensus suite à la concertation par l’Etat en 2015 autour du projet de parc et de la zone identifiée, l’instruction du dossier et plus encore le débat public ont prouvé qu’il n’en était rien. »
« Le choix de la zone préférentielle est vécu comme un casus belli »
Elle poursuit : « Une difficulté fut le contenu de la saisine portant sur un projet qui pouvait aller de 500 MW à 2 GW, donc potentiellement et caricaturalement de 35 éoliennes sur 60 km2 à 140 éoliennes sur 240 km2, alors que la zone d’étude proposée par l’Etat n’était que de 300 km2. »
Parmi les « enseignements clés de la commission », elle retient que « le débat public a fortement questionné l’opportunité du projet dans la zone envisagée… quant au choix de la zone mais également quant à sa capacité à atteindre les objectifs « zéro carbone » en 2050. » Ces objectifs même sont qualifiés d’irréalistes par certains. La Présidente relève des termes forts du rapport de la CPDP : « Il ne restait rien de l’héritage prétendument consensuel » ; « Les publics ont lu la saisine comme un imbroglio » ; « Le choix de la zone préférentielle est vécu comme un casus belli » ;« La commission a acquis la conviction que l’espoir d’un « consentement sous conditions » rassemblant les publics ne peut s’imaginer sans le glissement plus loin en mer du projet actuel. »
Nouveau débat après les études d’impact et réversibilité de la zone envisagée
Ainsi la CNDP a-t-elle fait expertiser à ses frais le scénario d’un parc posé à plus grande profondeur permettant d’éloigner le parc des côtes (lire encadré p.7). Chantal Jouanno souligne aussi que si les arguments évoqués pendant ce débat public sont identiques à ceux observés dans les autres débats (il s’agissait de la 16è saisine de la CNDP sur un parc éolien en mer), ils le sont « de manière exacerbée ».
« L’argument de la sobriété énergétique émerge avec force dans les débats publics récents »… Comme en Méditerranée, « la transparence des intentions de l’Etat est questionnée : « quel est le coup d’après ? » »
La présidente met en exergue « la faiblesse des études environnementales disponibles… d’autant plus critiquée que cette zone est identifiée depuis 2015. Le choix de la zone proposée est donc le noeud critique du projet. » Ainsi elle appelle à une planification spatiale à 20 ou 30 ans des projets envisagés, suffisamment précise pour offrir de la visibilité aux acteurs locaux sur les différents usages de la mer. Et à ce que le public puisse débattre à nouveau de l’opportunité des projets au regard des conclusions des études d’impact qui doivent pouvoir conduire à la réversibilité de la zone envisagée. »
Le projet de l’Etat
Il s’agit d’un projet de construction d’un parc éolien posé au large des îles d’Oléron et de Ré de 500 mégawatts à 1 GW, soit environ 70 éoliennes de 260 mètres sur une superficie de 120 km2, et son raccordement. Le projet, porté par les ministères en charge de la Transition écologique et de la Mer ainsi que par Réseau de Transport d’Électricité (RTE), pourrait intégrer
un deuxième parc portant la puissance totale à 2 GW. La 1ère zone d’étude soumise au débat de 300 km2, a été élargie à 743 km2 sur proposition du ministère en charge de la Transition écologique en novembre 2021.
« L’opportunité du projet ne prend vraiment sens qu’à l’échelle locale »
Dans son rapport aux maîtres d’ouvrage, le président de la Commission particulière du débat public, Francis Beaucire, évoque longuement tous ces points. Il met le doigt sur les controverses concernant la compatibilité d’un équipement industriel éolien avec la préservation de l’écosystème assurée par les zones Natura 2000 et l’existence d’un Parc Naturel Marin. Eviter celui-ci étant une question de droit et de principe. L’absence d’étude d’impact est centrale au refus de débattre de nombre de publics, d’autant qu’aucune réversibilité du choix de la zone proposée par l’Etat a posteriori n’est offerte. Les pêcheurs ont joué un rôle clé, ils se sont opposés dès l’origine du projet et fermement durant tout le débat public. Ils sont très dubitatifs sur la possibilité qui serait donnée par l’Etat de pêcher dans les parcs éoliens marins, du fait de l’appauvrissement prévisible de la ressource halieutique mais aussi pour de raisons de sécurité.
L’insularité, clé de compréhension de la conflictualité
Les membres de la CPDP ont bien perçu que l’insularité est une clé de compréhension de la conflictualité autour de ce projet. « La Commission a bien saisi la place qu’occupe l’Océan au coeur des représentations culturelles des îliens ; la colère qui s’est exprimée sans filtre auprès des représentants de la maîtrise d’ouvrage au cours des réunions locales a opposé des représentations culturelles fortement ancrées et une intime connaissance des territoires et des milieux à une approche fondée sur la nécessité, la science et la technique, dont les fondements rationnels sont sujets à controverse pour une part des publics. A l’évidence, l’insularité à Oléron comme à Ré est une clé de compréhension de la réception hostile du projet et devrait être prise en considération par la maîtrise d’ouvrage… »
Avant de faire ses quinze recommandations, la Commission dit avoir « acquis la conviction que l’espoir d’un « consentement sous conditions » rassemblant les publics ne peut s’imaginer sans le glissement plus loin en mer du projet actuel. Il n’en demeure pas moins que de multiples questions soulevées par les contributeurs au débat public sont encore aujourd’hui sans réponses. »
15 attentes et recommandations à l’Etat
La commission recommande que la zone d’étude qui sera soumise aux candidats soit suffisamment grande, et étendue plus au large. Ceci pour ne pas compromettre la prise en considération des évolutions technologiques, notamment le posé grande profondeur ou le flottant, mais aussi afin de ménager des marges de manoeuvre à la conception de parcs et de leurs raccordements.
Elle demande à l’Etat de se prononcer sur l’intangibilité géographique des zones d’exclusion (les zones écologiquement les plus sensibles) ou sur leur aptitude à pouvoir être adaptées à des projets éoliens. La commission alerte les maîtres d’ouvrage sur le fait que l’implantation précise du parc éolien devra être concertée avec les publics au regard des études environnementales acquises et des nouvelles possibilités techniques offertes.
Elle interroge, aussi : « Comment l’État envisage-t-il la mise en cohérence entre le projet et la future planification énergétique et son éventuel impact sur le déjà vieux projet d’Oléron pouvant remettre en cause sa puissance, sa localisation, son raccordement ? »
L’État doit éclairer les publics sur le nombre de parcs ou la puissance maximale que la zone d’étude sera susceptible d’accueillir et sur ce qui est envisagé pour le déploiement de nouveaux projets dans les eaux territoriales de la façade Atlantique. La pratique de la pêche et sa pérennisation devrait être une obligation du cahier des charges avec des engagements fermes de l’Etat.
Dans l’hypothèse où le parc éolien serait localisé au-delà de la limite de la mer territoriale, c’est-à-dire au-delà de 12 milles nautiques (22 km), se pose la question de la fiscalité qui sera appliquée en zone économique exclusive. Notamment, à quels usages sera destiné le produit de la taxe, à quel destinataire et selon quelles procédures ? Une présentation comparative des dispositions qui s’appliquent à la mer territoriale et celles qui s’appliqueront en ZEE est rendue nécessaire, en raison du rôle que l’éolien flottant est probablement amené à jouer dans le futur.
La situation est « absurde », dans la mesure où les études d’impact spécifiques seront lancées après la décision de réaliser l’ouvrage. Pour lever les suspicions, la commission demande à l’État de prendre position sur les garanties pour que les autorisations environnementales puissent le cas échéant aboutir au réexamen de sa localisation.
Enfin elle recommande l’instauration d’un « comité de gouvernance de projet » articulé avec les instances existantes et que la France se dote d’un « observatoire national » sur ces questions, comme annoncé par le Premier ministre.
Mobilisation des publics
La très forte mobilisation des habitants, élus, associations, collectifs et acteurs professionnels, qui se traduit dans les chiffres, donne d’autant plus de poids au rapport de la CPDP :
– 15 900 personnes ont assisté aux réunions publiques, ateliers, débats, Festival Energies & Océan.
– 3822 commentaires sur les vidéos des youtubeurs
– 60 cahiers d’acteurs et avis des collectivités locales
– 524 questions et avis sur la plateforme numérique du débat
– 1050 commentaires sur la plateforme…
Réactions de la LPO et de NEMO
La LPO, par la voix de son vice-président Dominique Chevillon, a réagi dès le lendemain de la publication du rapport, saluant l’impartialité de la CPDP et de son président et rappelant que si « elle est favorable à la transition énergétique, elle considère que celle-ci ne doit pas se faire au détriment de la biodiversité car le maintien des écosystèmes dans un bon état de conservation reste un levier fondamental de la lutte contre le changement climatique. »
Interrogé également par Ré et RMO à la Hune, le collectif NEMO a dit sa satisfaction quant au rapport et sa détermination à continuer, si nécessaire, le combat : « La CPDP, sans prendre position, conteste le choix du secteur, posant une pierre dans le jardin de l’Etat. On ne voit pas bien comment, avec un tel front uni et la reprise des arguments l’Etat ne pourrait pas revoir sa copie. On est extrêmement déterminés pour la suite, car nous sommes renforcés par ce rapport, et l’Etat prendrait des risques forts à maintenir sa position. Tous les membres du collectif ont la conscience tranquille, nous avons fait avancer nos arguments, qui ont été largement repris. »
Expertise du scénario d’un parc posé à plus grande profondeur
Pour interroger la plausibilité d’un premier parc hors zone préférentielle, en eau plus profonde, la commission n’a pas sollicité la maîtrise d’ouvrage mais des experts autonomes, conviés dans le cadre d’une « expertise complémentaire » financée par la CNDP.
Les experts consultés par la commission tiennent à rappeler qu’en matière d’éolien en mer, on parle d’une technologie qui n’aura cessé d’évoluer durant les six à huit années qui séparent le projet de sa réalisation. Il apparaît dès aujourd’hui que l’on ne peut repousser l’idée de réaliser un parc posé par des profondeurs de 60, 65 voire 70 mètres, ni pour les fondations des éoliennes ni pour la station de raccordement en mer, tout en restant dans des prix de production de l’électricité comparables à l’objectif issu de la PPE de 2019 (60 € le MWh fixé dans le PPE de 2019).
Si, dans le contexte géographique de Charente-Maritime, le gain de vent procuré par l’éloignement de la côte ne semble pas suffisant pour compenser un surcoût par rapport à l’objectif de l’actuelle PPE, ce surcoût pourrait être admis, comme le prix à payer pour éviter une zone fortement controversée à tout point de vue et, comme telle, devant être épargnée.
Les industriels plaident pour le retour au parc « historique »
Après cinq mois de débat public, faisant fi des argumentations développées sous toutes les formes par tous les publics pour démontrer à l’État maître d’ouvrage l’inopportunité de la zone géographique mise en débat, le Syndicat des énergies renouvelables (SER) et la Fédération des énergies éoliennes (FEE), entre autres, proposent dans leurs propres cahiers d’acteur de revenir au projet de 2015 : le premier parc dans la zone d’étude initiale (300 km2) avec un raccordement en courant alternatif « répondant à une nécessité de mise en service à plus brève échéance, et un second projet principalement ou en totalité au sein de la nouvelle zone d’étude (743 km2) » pouvant atteindre deux gigawatts. La commission s’étonne que les syndicats professionnels, en fin de débat, justifient cette position en « s’appuyant sur le soutien réitéré au projet historique des élus locaux et des collectivités territoriales » (Cahier d’acteur FEE).
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