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Eolien marin : un exercice de haute voltige
Contrairement à la réunion-débat orchestrée par la CNDP* à Sainte-Marie, qui avait été délibérément boudée par tous les Maires de l’île de Ré, la plupart d’entre eux (8/10) se sont déplacés à celle organisée par Lionel Quillet, mercredi 13 octobre. Invité, l’Etat a brillé par son absence. Le Conseiller départemental, Patrice Raffarin, présent au premier rang, n’a toutefois pas souhaité s’asseoir sur l’estrade, ni intervenir. Les Rétais sont, eux, venus en nombre (plus de 300 personnes), écouter les intervenants, poser leurs questions ou encore exprimer le plus souvent leur opposition au projet d’éolien marin.
Animée par l’ancien journaliste de C dans l’Air, Thierry Guerrier, cette réunion publique avait pour objectif affiché en préambule par Lionel Quillet de donner « une vision multiple d’un projet important pour le présent et l’avenir. » Dans les faits, elle a exactement abouti à ce qu’il souhaitait démontrer, et contre toute attente c’est Ré Avenir, la seule association rétaise à défendre ce projet éolien, qui a en fin de réunion livré sur un plateau d’argent un argument boomerang : « Les études environnementales, vous les aurez après », propos également tenus par Luc Picot (CNDP). La salle n’a pas manqué de s’indigner et s’exclamer, montrant bien qu’elle n’était pas dupe quant à la façon dont ce projet éolien offshore est piloté par l’Etat.
Une salve de questions révélatrices du malaise ambiant
La réunion avait commencé par une intervention de Luc Picot, secrétaire général de la Commission particulière du débat public (CPDP), qui a remercié Lionel Quillet de l’avoir organisée, bien qu’elle soit en dehors du débat public officiel et rappelé le cadre et les modalités du débat public. Sylvie Dubois, directrice Environnement de la Communauté de Communes de l’île de Ré, a ensuite présenté de façon factuelle ce que l’on sait du projet. Thierry Guerrier a donné une première fois la parole au public et les interventions ont fusé : « Quid de l’intermittence de l’énergie éolienne ? Qu’est-ce qu’un corridor de raccordement ? L’opportunité de ce projet est-elle étudiée au plan local ou national ? Pourquoi remplacer une énergie très efficiente par une énergie qui coûtera plusieurs centaines de milliards d’€ ? Comment faire remonter efficacement les positions des citoyens et seront-elles prises en compte ? Des solutions alternatives à ce projet ontelles été étudiées par l’Etat ? Quelle est la duré d’exploitation et quid du remplacement des éoliennes ? Pour quelles raisons l’Etat souhaite-t-il implanter ce champ d’éoliennes au milieu d’un Parc Naturel Marin qu’on a eu beaucoup de mal à créer ? Quels sont les impacts environnementaux d’un tel projet ? Les matériaux nécessaires à la construction des éoliennes sont-ils recyclables ? On a l’impression que les choses sont déjà pliées, qu’est-ce qui pourrait faire que du fait de l’avis négatif du public le projet ne se fasse pas ? »
Interventions des « pro-éoliens »
Ces questions étant enregistrées et Thierry Guerrier ayant incité les tribuns à y apporter des réponses dans leurs interventions, la parole fut donnée en premier à Emmanuelle Carpentier, représentante de Ré Avenir. Qui fit un cours quelque peu « académique » sur la nécessité impérieuse de changer les comportements et de développer massivement les énergies renouvelables, afin d’inverser la part du fossile dans notre mix énergétique. Les éoliennes ayant, selon elle, la capacité de fournir une grosse quantité d’électricité. La biodiversité, la pêche, la migration des oiseaux et l’impact visuel devant être pris en compte dans « un parc qui ne nuira pas à ces éléments. On ne peut ses passer de ce potentiel, il faut juste prendre des précautions. »
Antoine Monteiller, délégué régional offshore de France éolienne, a confirmé l’opportunité, à ses yeux, de ce projet, « qui permettra de tendre vers la neutralité carbone à horizon 2050. Celle-ci vise un objectif de 650 TWh de consommation électrique par an (contre 470 actuellement), il faut mettre des moyens de production en face. Le projet éolien off-shore d’Oléron représente 1,8 TWh. » « Il faut relativiser la taille du projet, initialement prévu pour 500 GW (25 à 30 éoliennes), qui passerait à 1000 GW (80 à 100 éoliennes) et pourrait être complété par un autre champ de 1000 GW, ce qui représenterait 4 fois le projet initial, et resterait un projet à taille humaine. Et la distance entre les éoliennes sera calculée pour permettre la navigation. L’éolien n’est pas une énergie parfaite, mais elle est réversible. Le démantèlement de parcs éoliens datant de 1991 a été réalisé, fondations incluses. »
En réponse à la question de l’intermittence de cette énergie, Luc Monteiller a estimé que l’éolien tourne entre 92 à 97 % du temps, avec un taux de charge de 40 à 50 %. Quant à l’installation du corridor de raccordement – celui qui sera retenu entre les deux options envisagées au sud de Royan ou au Nord de La Rochelle, entre les deux îles – elle se fera dans le cadre d’une concertation très encadrée par l’Etat. « RTE tracera un câble ou deux câbles depuis le poste électrique en mer jusqu’à terre, soit 50 à 60 km de câble, qui traversera des endroits pas protégés, voire déjà urbanisés », a-t-il expliqué. « A l’issue du débat public, l’Etat décidera d’engager ou pas une procédure d’appel d’offres pour retenir un consortium d’entreprises qui mènera le projet et réalisera les études d’impact sur l’environnement, puis aura lieu l’enquête publique. Le refus du projet sera encore possible. S’il est accepté, il se fera via une concession de 40 ans, avec une durée d’exploitation de 30 ans. » « Il ne s’agit pas d’un projet hors sol, mais qui s’inscrit dans un projet de territoire », a-t-il conclu.
Les opposants au projet entrent en scène
Dominique Chevillon, l’une des têtes de proue du très actif collectif NEMO (Non à l’éolien marin et son extension) relève d’entrée de jeu que « les nombreuses questions de la salle illustrent la complexité de ce projet ». « Ce collectif, pluridisciplinaire, a été créé pour en savoir un peu plus, face au silence assourdissant de l’Etat et face aux mensonges. Nous avons informé les élus et les citoyens depuis plusieurs mois au travers de huit lettres (à lire sur realahune.fr et la lettre N° 9 en pages 30 et 31 de cette édition de Ré à la Hune – NDLR) très documentées, nous avons organisé des débats publics autour de la projection du film de Mathilde Jounot « Océans 3 », toute cette information a été faite très en avance sur celle de la CNDP », a-t-il tenu à rappeler. « La présentation de l’Etat lors des réunions du débat public organisé sous l’égide de la CNDP est catastrophique, son représentant ne répond pas aux questions et renvoie à des ateliers. Il y a une absence d’information, voire une désinformation de la part de l’Etat, c’est-à-dire un ensemble d’informations qui induisent en erreur et travestissent la réalité. Nous reprochons à l’Etat de ne pas avoir présenté une seule carte sur les enjeux environnementaux du projet. »
Cédric Marteau, directeur du pôle de la protection de la Nature à la LPO, a rappelé qu’« on est confrontés à deux politiques, la politique énergétique en faveur du climat et la politique en faveur de la biodiversité. La France a une responsabilité certaine dans cette politique. Oui, il faut décarboner, mais pas au détriment de la biodiversité. » « Or le projet est prévu dans deux zones à forts enjeux de biodiversité, concernées par deux directives européennes sur les oiseaux et les habitats. Le Parc naturel marin est né dans la douleur, un plan de gestion a été signé, il y a des réserves naturelles depuis 1974, et au milieu de tout cela l’Etat veut mettre un parc éolien industriel. Il existe quelques pays européens où de l’éolien a été implanté en zone Natura 2000, comme le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, le retour d’expérience montre que c’est là où il y a le plus d’impact sur la biodiversité. Comment est-ce possible que l’Etat présente ce projet sans étude d’impact environnemental ? Quand ces études d’impact se feront, le maître d’oeuvre aura déjà été sélectionné et le projet se fera. » Il a aussi évoqué « la position de l’Agence des Aires marines protégées qui a estimé que ce projet était une très mauvaise idée, deux préfets qui ont renoncé au projet, et aujourd’hui un Gouvernement qui présente à nouveau ce projet ». « Cette politique publique éolienne va écraser la politique européenne et française en faveur de la biodiversité, on va balayer cette dernière et cela ne fera pas de différence dans le mix énergétique. Réfléchissons au photovoltaïque, à d’autres zones » a-t-il conclu.
Programmation pluriannuelle de l’énergie Luc Picot a souhaité à ce stade répondre à l’une des questions du public, sur l’opportunité globale ou locale du projet. « Ce projet s’inscrit dans la PPE, qui a fait l’objet d’un débat public. Mais on peut se réinterroger sur le lien entre la PPE et ce projet. », explique-t-il avant d’inviter les Rétais à s’exprimer sur la plateforme participative de la CNDP. « Nous ne sommes pas des Commissaires-Enquêteurs, mais sur des questions précises, l’Etat est obligé d’y répondre. »
Christian Leyrit et Johnny Wahl, très écoutés
Thierry Guerrier invite les Rétais à poser d’autres questions. Sylvain Berjon intervient comme il l’avait déjà fait à Sainte-Marie sur le mythe de l’éolien, comme énergie inépuisable (lire notre article en page 27 de cette édition).
Puis l’ancien préfet Christian Leyrit, qui fut président de la CNDP de 2013 à 2018, prend la parole pour rappeler que celle-ci est indépendante du Gouvernement. « Votre parole a du poids, elle peut compter. Entre 2002 et 2018, sur les projets soumis à débat public, un tiers ont été abandonnés ou modifiés de façon substantielle, un tiers ont fait l’objet de modifications limitées et un tiers ont été menés tels que prévus. S’il salue certains débats publics qui interviennent bien en amont des décisions, il reconnaît aussi qu’« en matière de projets éoliens, les débats que nous avons pu mener dans le passé étaient souvent des faux débats, qui étaient organisés alors que tout était déjà décidé par le consortium déjà retenu. Je suis intervenu auprès des Gouvernements successifs pour dénoncer ces faux débats et les informer que la CNDP n’en organiserait plus dans ces conditions ». « Mais il est possible de demander des contre-expertises auprès d’experts indépendants de l’Etat », conclue-t-il.
C’est à ce moment que décide de s’exprimer Johnny Wahl, patron pêcheur de l’Oiseau bleu à Oléron, premier vice-président du Comité régional des pêches et président du Syndicat national pour la défense des pêcheurs artisans (Synadepa). Il rappelle que tous les comités de pêche ont voté contre ce projet, ne voyant aucun intérêt pertinent à l’éolien. « Comment arrive-t-on à décarboner avec de l’éolien qui tourne à 23 % ? Quant à l’emprise spatiale, elle ne rend aucune coexistence possible, les pêcheurs n’ont pas le droit de pêcher dans les parcs, cela a été décidé au niveau européen. Quant à l’effet récif, il ne fonctionne pas, selon des études menées sur dix ans. Les espèces endémiques disparaissent. Il existe des parcs éoliens off-shore abandonnés en Allemagne. »
« La Convention Aarhus donne aux peuples le pouvoir de dire non, elle n’est pas respectée en France. Partout les avis de la population sont hostiles entre 60 à 86 % à ces projets éoliens, l’Etat s’assoit joyeusement dessus. Et comment peut-on donner son avis favorable ou défavorable sans avoir d’études d’impact. Il faut se projeter dans 40 ans, la sécurité énergétique ne sera pas acquise avec l’éolien, intermittent. 82 % des bateaux de pêche en Charente-Maritime font moins de 12 mètres et sortent à moins de 20 milles des côtes. On risque de remettre en cause 9 000 emplois non délocalisables pour de l’éolien où tout est importé, et payé par la France, on fout tout en l’air. »
Un peu plus tard, il ajoutera : « L’Etat a des retours d ’expérience , des études d’impact, c’est classé secret affaires, s’ils étaient bons on nous les aurait communiqués. Et on n’est pas à l’abri d’un nouveau Rokia Delmas. » Une longue intervention, aux accents de sincérité, très applaudie.
Le ton monte
Ce qui ne sera pas le cas pour celle d’Isabelle Vétois, présidente de Ré Avenir, qui apostrophera les opposants au projet : « Il ne faut pas raconter n’importe quoi, il faut demander des choses réalistes, ces parcs il faut bien les poser quelque part, il y a 2200 sites Natura 2000 en France. Certains parcs off-shore en Europe du Nord sont implantés en zones Natura 2000. On y fait des observations bénéfiques sur la faune marine grâce à un effet récif des éoliennes. Vous ne fournissez pas vos études ». Le public réagit vivement à ces affirmations.
Dominique Chevillon la corrige vertement : « Il n’y a que trois parcs en zones Natura 2000. Nous sommes avec NEMO depuis des mois dans le partage des connaissances, nos lettres sont sourcées et documentées, envoyez-nous donc vos études, vous travestissez la réalité. »
Emmanuelle Carpentier (Ré Avenir) explique que les études environnementales arriveront, « mais après, quand le projet sera défini. » « Ah ! », s’écrit la salle.
Dernière intervention du public, celle de Patrick Salez, alors que le président Quillet, très silencieux jusque-là, jouant le jeu de la libre expression de tous, commence à bouillir sur sa chaise. En substance, selon l’élu flottais, le nucléaire ne suffira pas, il faudra de l’éolien en mer. Et l’île de Ré doit contribuer à cette lutte contre le réchauffement climatique. Il dit donc oui à l’éolien, à condition d’en limiter les impacts. La participation citoyenne doit, selon lui, aller plus loin que le débat public. « L’éolien marin d’Oléron se fera, plutôt que de s’opposer à l’Etat, je préfère proposer un scénario autour d’un projet le plus possible éloigné des côtes, limité à 120-130 km2 avec un bon accord de compensation pour les pêcheurs. »
Lionel Quillet : « Ce n’est pas un projet de territoire »
Il est enfin temps pour Lionel Quillet de donner sa position (lire aussi notre interview en page 9 de cette édition). « Dans ce dossier, on n’a jamais demandé leur avis aux élus, au territoire. On n’avait jamais vu des procédures telles celles émanant de la loi ASAP, faites pour ne pas autoriser les recours. On débat d’un projet dont on ne connaît pas le contenu, il n’y a pas d’enquête publique. On est sur une raison d’Etat dictée par l’Europe, l’éolien terrestre est en grande difficulté, pour y pallier on choisit Oléron et Ré, les deux sites les plus protégés de France… On a fait de gros efforts, tous les élus rétais se sont battus pour préserver notre territoire, on a la seule écotaxe de France et on nous amène le plus gros projet éolien de France. Vous pensez pouvoir corriger le tir ? Bien sûr que non. Je suis rétais, président de la CdC je dis Non à l’éolien, donnez-moi des études environnementales… Tant que je suis là ce sera Non ! On n’est pas pour ou contre, on demande une étude d’impact environnementale. Le Comité National de Protection de la Nature vient d’éclairer le Gouvernement, il s’est positionné contre. Il n’a pas été saisi sur ce dossier, il s’est autosaisi et a livré un rapport d’experts de 60 pages. » Le président de la CdC est largement applaudi par une salle très majoritairement opposée à ce projet et qui n’est pas dupe sur ses maigres chances d’influer sur le cours des choses.
Luc Picot intervient pour rappeler le cadre du débat et de la procédure : « L’étude d’impact est prévue par le Code de l’environnement et arrivera quand le projet sera ficelé. » CQFD.
*Commission Nationale du Débat Public
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