Entretien de fond avec la préfète Béatrice Abollivier pour un vrai éclairage sur sa position
Ré à la Hune a rencontré pour un long entretien inédit Madame le Préfet Béatrice Abollivier le lundi 23 juillet, pour – au-delà de la polémique – aller au fond des choses et de son appréhension du territoire rétais.
Ré à la Hune : concernant le SCoT vous avez émis un avis favorable avec réserve expresse, les élus de l’île de ré ont fait savoir publiquement qu’ils ne pourraient et ne souhaitaient pas que le résiduel constructible soit chiffré commune par commune, ni qu’il soit prescriptif. Que pouvez-vous faire et que souhaitez-vous faire en l’état vis à vis du SCoT ?
Béatrice Abollivier : Il s’agit d’un document d’aménagement de l’espace, les élus sont les porteurs des projets, ils en maîtrisent le calendrier et ce qu’ils écrivent. Garder 80 % des espaces naturels et stabiliser la capacité d’accueil sont des bonnes choses. Je m’inscris dans la continuité du Préfet Henri Masse qui avait validé le PADD (Plan d’aménagement et de développement durable), mais souhaitait jouer sur la capacité d’accueil de l’île de Ré, en régulant ce qu’il reste à construire ; d’ailleurs certaines observations des Services de l’État ont été reprises dans le SCoT. Il n’en reste pas moins que la maîtrise de l’urbanisation et des surfaces constructibles n’est pas gagnée, il faut dans les 20 % restant contrôler les excès pour ne pas augmenter la capacité d’accueil.
Nous avons travaillé en partenariat avec la CdC et les élus rétais, nous étions d’accord sur un document et il y a eu un tour de passe-passe, un changement d’avis des élus rétais sur le résiduel constructible qui de prescriptif, commune par commune, est devenu une simple préconisation, globale pour l’île de Ré.
Je ne demande pas que le résiduel constructible soit décliné commune par commune, mais juste qu’il redevienne une prescription, car sinon les PLU ne le déclineront pas dans les communes. Mon avis favorable au SCoT l’est donc sous cette réserve expresse.
Ré à la Hune : Lionel Quillet attend l’avis des commissaires enquêteurs (NDLr : l’interview ayant eu lieu le 23 juillet, l’avis des commissaires enquêteurs n’était pas encore connu, puisqu’il l’a été le 30 juillet voir ci-après), il estime que ce sont les « juges de paix » et qu’en fonction de cet avis, s’il est favorable, il n’y aura plus de contestation possible. vous rangerez-vous à cet avis ?
Béatrice Abollivier : Il y a des procédures à respecter, l’enquête publique en fait partie, la procédure suivra ensuite son cours. J’attends de voir ce que les élus feront de l’avis des commissaires enquêteurs, j’attends de voir quelle position les élus adopteront. Toujours suivant la procédure, il y a le contrôle de la légalité, il peut y avoir des recours… Je n’ai pas à me ranger au seul avis des commissaires enquêteurs.
Ré à la Hune : pourquoi donner une telle importance aux environnementalistes en prenant en compte leur principale revendication, alors qu’ils ne représentent qu’une minorité des habitants de l’île de Ré ?
Béatrice Abollivier : Je ne les ai reçus qu’une seule fois et je ne leur accorde pas plus d’importance qu’à d’autres.
Ré à la Hune : Les élus et habitants de l’île de ré sont très inquiets au regard de votre porter à connaissance complémentaire du 28 mars dernier dans le cadre du scOT et des PLU : une instruction des permis de construire et certificats d’urbanisme à Xynthia + 60 cm, comme c’est le cas actuellement, aurait un impact selon les élus sur 88 % des zones urbanisées du nord de l’île de ré et 21 % de celles du sud alors que ce sont « seulement » 1400 habitations qui ont été impactées par Xynthia. Que comptez-vous faire ?
Béatrice Abollivier : Tout d’abord contrairement à ce que disent les élus rétais, les instructions de permis de construire se font à Xynthia + 20 cm (et non pas + 60 cm), ce sont des mesures conservatoires. Si le SCoT est un instrument porté par les élus, le Plan de prévention des risques littoraux (PPRL) qui fait partie des PPRN (risques naturels) au même titre que le PPRIF (incendies et feux de forêts ) est un travail entièrement réalisé par l’État. Ces outils de l’État reposent sur une étude des aléas, des faits objectifs, qui font l’objet de modélisations pour aboutir à une carte des risques et aux contraintes qui en découlent. Il faut savoir qu’en Charente-Maritime il y a 84 PPRN, certaines communes n’en avaient pas. Aussi la Préfecture a commencé à lancer les procédures des cartes des aléas là où il n’y avait rien, il a fallu prioriser les bassins de risque. Dans d’autres communes, par exemple Fouras ou Yves où l’élaboration était en cours, nous n’attendons pas dans ce cas la fin de la procédure, les PPRN sont mis en application anticipée.
Sur l’île de Ré le PPRN date de 2002, j’ai lancé la procédure de révision de ce PPRN en mars 2012 mais au moment de l’élaboration du SCoT les élus avaient déjà été informés, d’ailleurs ils mentionnent qu’il faut en tenir compte dans le diagnostic et le DOO (document d’orientations et objectifs) en ces termes : « se protéger durablement du risque d’érosion et de submersion marine :
– rappel du PPRN de 2002 et des enseignements tirés de la tempête Xynthia
– mettre en oeuvre le PAPI
– engagement du respect par les PLU du futur PPRL
– ouverture des extensions urbaines en zones submersibles conditionnées par l’étude du PPR »
Et nous avons dans notre avis transmis aux élus rétais mentionné : « Transmission par les services de l’État en mars 2012 d’un porter à connaissance sur les risques de submersion marine, dans l’attente des résultats du PPRL ».
Ré à la Hune : Pourquoi dans ce cas les élus n’ontils pas attendu que ces études d’aléas sortent pour finaliser le scoT ? car le futur pprL ne risque-t-il pas de totalement remettre en cause le SCoT ?
Béatrice Abollivier : Je n’en sais rien, pourtant Lionel Quillet a effectivement posé la question en mars 2012. Ce sont les élus locaux qui maîtrisent et décident de leur calendrier. Ils peuvent encore décider de repousser l’adoption définitive du SCoT pour attendre les résultats du PPRL, ils sont au milieu de la procédure. Il y a deux éléments dans le PPRL, d’une part la révision du PPRL prend en compte le changement des aléas de référence, soit désormais Xynthia + 20 cm a minima, d’autre part il intègre la circulaire nationale de l’État du 11 juillet 2011 qui suite à Xynthia a vocation à donner un cadre national à la stratégie de prévention des inondations et des territoires soumis à des risques particuliers. Cette circulaire donne une référence sur deux niveaux d’aléas calés sur 20 cm et 60 cm, chacun jouant son rôle.
Dans la continuité de cette circulaire nous avons donné mandat à un cabinet d’études pour réaliser un travail de modélisation dynamique, très complexe, qui doit tenir compte de beaucoup de facteurs tels les courants, la vitesse du vent, la protection des côtes… Cette modélisation n’aura rien à voir avec les cartes purement statiques produites par la Communauté de Communes de l’île de Ré.
En attendant que les résultats soient produits par notre cabinet d’études, au 1er semestre 2013, il s’agit pour la Préfecture de Charente-Maritime d’appliquer le principe de précaution, à titre conservatoire, et d’éviter l’urbanisation dans des secteurs qui pourraient se révéler significativement submersibles. Même si la Charente-Maritime est moins visée que la Vendée dans le rapport de la Cour des Comptes, comme vous l’avez écrit dans votre précédent numéro de Ré à la Hune ce rapport nous conduit à une grande fermeté dans les zones à risque. Le PPRN s’impose à l’urbanisme.
Ré à la Hune : Les Maires disent être dans une situation intenable : s’ils délivrent les permis de construire contre votre avis, vous attaquez au Tribunal et ils sont responsables au plan pénal en cas de mise en danger de vies, s’ils ne délivrent pas ils ont des recours des administrés, sans aucun élément de justification de refus de délivrance des permis de construire. comprenez-vous qu’ils vous réclament des réponses urgentes et élèvent le ton ?
Béatrice Abollivier : J’ai écrit à tous les Maires du littoral de Charente-Maritime dès janvier 2012 et aux Maires rétais en ces termes : « Lors du passage de la tempête Xynthia, certaines parties les plus basses de votre commune ont été submergées. L’étude Sogreah réalisée dans le cadre du retour d’expérience vous a été notifiée… Les cotes observées sur le territoire de l’île de Ré sont pour certaines très significativement supérieures à celles prises en compte dans le PPRN approuvé en 2002. Ces constats m’amènent à lancer prochainement la révision des PPRN de l’île de Ré… afin de définir et prendre en compte un aléa actualisé et d’affecter aux différents territoires les prescriptions réglementaires qui en découleront.
D’ici là, les autorisations d’occupation du sol ne sauraient être délivrées sur la seule application du document d’urbanisme et du PPRN en vigueur, en méconnaissant le niveau de risque supérieur qui affecte certains secteurs de votre commune et qui peut juridiquement justifi er l’application de l’article R 111-2 du code de l’urbanisme.
Dans ce contexte, j’attire votre attention sur les permis de construire et autres autorisations que vous pourriez être amenés à délivrer dans l’intervalle de cette présente information jusqu’à l’approbation du PPRL, décisions susceptibles d’engager votre responsabilité en tant que maire, mais également votre responsabilité pénale personnelle, du fait même que le risque est connu ».
L’article R 111-2 et le porter à connaissance en sont les fondements juridiques.
Par ailleurs, je prévois une réunion avec l’ensemble des maires en septembre pour leur présenter les hypothèses de modélisation par bassin de risque. Et à la fin du 1er semestre 2013, nous leur présenterons les résultats des études, pour un PPRL qui devrait entrer en vigueur au mieux début 2014.
Ré à la Hune : Le PAPIde l’île de rR a été labellisé à hauteur de 45 millions d’€, la reprise intégrale de la Digue du Boutillon validée dans le cadre du psr pour 10 millions d’€, le budget total de protection du littoral rétais avoisine les 130 millions d’€ : quel est l’intérêt d’engager de telles sommes, de protéger une île située à 50 % sous le niveau de la mer, si vous ne tenez pas compte de ces travaux de protection dans le cadre de l’instruction des permis ? Quel intérêt des analyses bénéfices coûts ?
Béatrice Abollivier : La Commission Mixte Inondation du 12 juillet dernier a certes donné un avis favorable au PAPI de l’île de Ré, mais avec des réserves notamment celle de « compléter le programme par une action garantissant la prise en compte des risques littoraux dans les documents de planifi cation d’urbanisme en cours de révision (PLU et SCOT) » et des recommandations parmi lesquelles, « dans l’attente de l’approbation du PPRL, de veiller à la maîtrise de l’urbanisation et la non augmentation de la vulnérabilité des personnes et des biens dans les secteurs submersibles ».
On voit bien qu’il y a une imbrication forte entre PAPI, SCOT et PPRL, chacun a sa propre utilité, son propre pilote (NDLR : SCOT et PAPI sont élaborés par la CdC de l’île de Ré, le PPRL par l’État « en intégrant un dialogue avec les élus »), les calendriers sont différents.
Pour le PAPI la commission rappelle qu’ « avant l’attribution de la subvention pour chacune des opérations la CdC devra présenter au Préfet qui rendra compte à la commission une note complémentaire relative à l’analyse coût bénéfice permettant de confirmer les résultats » sur la base d’études techniques (modélisations hydrauliques après travaux).
Les études de modélisations conduites dans le cadre du PPRL prendront en compte l’ensemble des protections prévues dans le cadre du PAPI.
Ré à la Hune : regarderez-vous chaque commune au cas par cas, chaque site à l’intérieur des communes au cas par cas, ou appliquerez-vous un principe de précaution global à l’île de Ré sans différenciation ?
Béatrice Abollivier : Nous sommes à l’opposé d’un principe de précaution global, les études de modélisation tiendront compte des effets dynamiques (hauteur d’eau, vitesse, dynamique de submersion) et nous zonerons en fonction d’études très concrètes concernant chaque commune et chaque site.
Même en aléa fort les règlements n’interdisent jamais des travaux d’entretien et d’extension (NDLR : pas audelà de 30 m2 d’extension toutefois), on ne touche pas aux maisons existantes, on gèle l’existant, par contre on regarde les nouvelles constructions.
On fait le distinguo entre aléa fort, modéré ou faible et entre zone urbanisée et zone plus naturelle. Mais on ne peut pas créer de nouveaux logements qui augmentent la capacité d’habitation dans les zones à risque. Aujourd’hui on ne connaît pas précisément les zones concernées par les aléas qui découleront bien des études de modélisation du PPRL courant 2013.
Les élus rétais affolent donc les populations pour rien, car ce n’est pas la majorité des personnes qui est concernée.
Et je m’inscris dans la ligne du rapport de la Cour des Comptes, on ne badine pas avec la sécurité, aucun intérêt ne vaut la mise en jeu de la sécurité.
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