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Edmond, une vie à explorer les richesses de son territoire
90 ans qu’Edmond explore notre territoire. 90 années pour écrire le récit d’une vie bien ancrée dans le local.
« Quand on a débuté, qu’on n’avait rien, on était loin de penser qu’un jour il y aurait des bateaux pour aller se promener… l’évolution de la vie a été tellement rapide… et puis j’ai fait onze croisières », explique le Casseron.
Né en 1932 à Arsen- Ré, dans la maison familiale, Edmond a réussi à parcourir son arbre généalogique sur sept générations, à partir du XVIIe siècle, pour constater ses origines locales.
Un père bourrelier à Ars-en-Ré mais aussi au Havre pendant la guerre 14/18, métier oublié qui consistait à réparer les harnais des chevaux. Sa mère travaillait la terre avec sa soeur sur les propriétés de la famille. « Mon père allait jusqu’au Portes en bicyclette pour se faire payer le dimanche alors qu’il avait une jambe plus courte que l’autre. Souvent ils n’avaient même pas assez de foin pour nourrir le cheval l’hiver, ils allaient sur les digues de bon heure couper du foin… le canton d’Ars, c’était miséreux, c’était vraiment quelque chose d’incomparable avec l’autre bout de l’île, là-bas ils avaient de grandes maisons, ils faisaient de l’argent avec les vignes grâce au Phylloxera. Il y avait juste quelques grandes maisons à Ars qui dataient d’avant la guerre 14/18 et de la grande époque ou les marais salants rapportaient de l’argent ».
La guerre 39/45
« Quand les Allemands sont arrivés en 40 j’avais 8 ans, ils chantaient dans les rues d’Ars, ils avaient installé la kommandantur à côté du clocher. Avec mes copains on regardait la relève… un jour est venu une troupe de musiciens allemands, ils avaient mis des grands lauriers de chaque côté de la scène avec des grands panneaux « L’Allemagne victorieuse sur tous les fronts », on venait regarder, nous les drôles… les adultes ils venaient pas. Les Allemands avaient choisi dix otages dans le village pour s’assurer de la docilité locale, parmi eux, Mr Moinet, le maire de l’époque. »
Quand les Allemands ont commencé à construire Karola, tous les hommes valides ont été réquisitionnés pour aller construire les blockhaus, ils étaient payés par l’entreprise Todt qui s’occupait du chantier. Le frère d’Edmond était spécialiste pour sceller les canons, le beau-père devait aller avec son cheval emmener de l’eau « mais le cheval pouvait pas sentir un boche, il sautait dessus alors les boches ont dit « vous plus venir avec votre cheval » ». Pour construire il fallait « rouler » du gravier et « tout le fourbi », les bateaux arrivaient à Saint Martin, de là les petits camions acheminaient vers Ars. Les gars du pays en ont bien profité, « contre une touque de vin », il était facile de se faire vider un peu de ciment dans la cour, « le pinard manquait pas sur l’île, les Boches, ils étaient bourrés tous les jours ». « Les Français sont des gratteurs, des demerdards, pas réguliers comme des Allemands » … Quand les Allemands s’en sont aperçus, ils ont fait une route spéciale avec les pierres des clos qu’il y avait dans les communes. Edmond rigole de ce jour où les boches n’ont pas pu tourner à l’angle du Sénéchal avec leur canon de 12/15 M, ils n’avaient pas de rues pour passer !
Ils avaient aussi fait une ligne spéciale de train qui longeait jusqu’à Karola, avec tout ça il y avait moins de fuites forcément.
Edmond se souvient de ce jour d’été où pendant un repas dehors avec ses parents, il voit passer quatre cents ou cinq cents forteresses volantes (bombardiers américains) au-dessus de leurs têtes. Vers le Phare des Baleines, l’un des avions en train de brûler lâche des parachutistes sur le nord de l’île jusqu’au Fier et tombe vers La Passe où il est encore possible de trouver des parties du moteur. Le sardinier (à l’époque la sardinerie était à côté des Frères de la côte) avait sauvé un Anglais dans le Fier mais les Allemands attendaient sur le port pour récupérer le prisonnier « nous les drôles on était derrière en train de courir pour voir l’Anglais ».
En 1944, les Allemands évacuent les enfants du jour au lendemain hors de l’île de Ré pour avoir moins de bouche inutiles à nourrir. Edmond, à 12 ans, se retrouve à travailler dans une ferme à côté de Jonzac chez une connaissance de la famille. Finies les privations car il n’y avait pas grandchose à manger, les Allemands empêchaient même les gens d’aller sur la côte. Il peut de nouveau manger à sa faim et c’est une forme de réconfort dans le chaos ambiant.
L’Amour
« Même quand on l’a perdu, l’amour qu’on a connu vous laisse un goût de miel. L’amour c’est éternel ! » disait Edith Piaf.
A la fin de la guerre, Edmond retrouve son amour de jeunesse, Suzanne, et du haut de ses 14 ans il l’emmène danser à la salle des fêtes de Karola. « On a été amoureux toute notre vie, dès la primaire… ». A cette époque, Edmond cultive les champs de son père et pêche à la main des poissons que sa mère revend.
Suzanne tombe enceinte à 16 ans, « à force de se frotter, il fallait bien que ça arrive », nous livre Edmond avec son rire communicatif. C’était un scandale à Ars car le beau-père était adjoint de la commune, il a fallu vite les marier.
18 mois de régiment !
En plus de ses boulots habituels, Edmond travaille aussi dans le marais familial. Marais qui appartenait au grand père de Suzanne depuis 1914 et ce jour où il ramène l’argent de la vente de sept années de récolte à la propriétaire de La Rochelle qui décide de le payer en lui offrant le marais, tout une fierté à l’époque d’être propriétaire !
Un jour de pêche à l’anguille dans un vasais, un vieux du pays qui passait l’interpelle « Tiens qui me dit je vends ma vigne de la brie, 50 ares, il me dit ça à moi, 19 ans ! il en voulait 200 000 anciens francs, j’avais les jambes qui tremblaient. En rentrant à la maison, je dis à ma femme que le père Chretien veux nous vendre de la vigne. Le père de Suzanne propose alors à Edmond « tu as fait 40 tonnes de sel, à 50 francs la tonne, ça fait la valeur du terrain. Tu vas partir au régiment, Suzanne va rester chez nous avec le gosse, je t’avance l’argent ».
Edmond taille la vigne et à 20 ans, en 1952 c’est le régiment, pendant 18 mois. Après neuf mois de service, il est nommé sous-officier et affecté au ministère de l’intérieur pendant les grèves de 53. Il revient pour sa permission agricole et récolte 100 hectolitres de vin. Bienheureusement, c’est l’année de création de la coopérative vinicole, pas besoin de chai, ni de revendre son vin.
Le terroir
« La terre multiplie ses dons selon le nombre de ses enfants qui méritent ses fruits par leur travail. » Fenelon.
Edmond et Suzanne exploiteront tout au long de leur vie les nombreuses ressources de leur territoire qui n’a plus de secrets pour eux.
Avec sept enfants à la maison, c’est une vie bien chargée en émotions qui s’offre à eux. Exploitant agricole, viticulteur, saunier, aquaculteur, ostréiculteur, producteur de framboises… la liste est longue et compte même deux mandats de conseiller municipal. A une période difficile pour le vin et le sel, il se lance avec Alain dans l’aquaculture avec l’élevage de truites de mer. Pour cela, il remembre ses marais, fait dix-huit ouvrages en béton avec ses fils pour la circulation de l’eau, creuse un puit pour faire un bassin d’eau douce… mais ce projet sera un échec pour plusieurs raisons : la chaleur pose un problème d’oxygénation de l’eau et fait mourir une partie de l’élevage, il achète une moto pompe diesel car il n’y a pas d’électricité sur le marais, c’est alors le froid qui gèle les truites.
Il achète alors des parcs à huîtres et se lance dans l’ostréiculture, à cette époque beaucoup de gens ont des petits parcs, tout le monde n’est pas professionnel et cela fait grincer des dents, la Marine commence à parler de retirer certains parcs qui ne font pas de commercialisation. A Ars, Edmond est président du comité de garde des parcs à huîtres, ils ont un gardien commun. C’est ainsi qu’il décide de créer la coopérative ostréicole entre Ars et le Martray à la fin des années 60 et ce sont 600 petits parqueurs qui adhèrent alors à la coopérative pour sauver leurs parcs. Cette coopérative vivra neuf ans seulement, selon Edmond à cause de dettes avec le Crédit Maritime, de mauvais payeurs, de vols à répétition et d’une direction qui gérait mal les finances et les commandes. Quand Edmond décide de lâcher la présidence, personne ne prend le relais et il met les bâtiments de la coopérative en vente, ce qui lui permet d’éponger toutes les dettes et de sortir « les mains propres ».
Vient alors la période des framboises sur 50 ares à Ars, une histoire qui fonctionne bien. A 50 ans, ils marient leur dernier enfant et lui offrent les 50 ares. « Si vous allez au café du Commerce, ils vous font des crêpes tagada, c ’est autrefois quand mon fils faisait des framboises qu’ils ont mis en place ce dessert ».
Pendant toutes ces années de travail, Suzanne a toujours été là, pour tenir la maison, la comptabilité de leurs projets et bien sûr, soutenir Edmond dans toutes ses entreprises.
Un air de fête
Edmond se souvient avec nostalgie des fêtes de mardi gras, pendant une semaine, par équipe de copains. Ils prenaient une cuisinière, répétaient des pièces de théâtre en amont pour les veillées, faisaient la noce aux masques en défilant avec des costumes d’époque, dansaient au bal masqué dans la salle des fêtes, regardaient brûler le « monsieur carnaval » …toutes générations confondues.
Le reste de l’année, à chaque mariage « les gens invitaient la jeunesse à leur bal de mariage, tous les jeunes du village dansaient, et le dimanche suivant on rendait le bal aux mariés… avec ma femme on était toujours en train de danser ! ».
“Profiter de ma retraite”
« Je n’ai pas profité de ma jeunesse, je n’avais pas les moyens, alors je profite de ma retraite ! ».
Retraité officiel en 1992, il arrête la vigne mais continue les légumes, les huîtres, la pêche, aide son fils à ramasser quelques pommes de terre… Max Penaud lui fait les plans de leur nouvelle maison avec pour consigne d’imaginer la maison autour du billard. Suzanne et Edmond y vivent des jours heureux, fiers d’une descendance de sept enfants, dix-sept petits-enfants, vingt-et-un arrière-petits-enfants… « et c’est pas fini ! ». Il y a quelques mois, ils fêtaient leurs noces de platine, soixante-dix ans de mariage ! Orchestre et danse pour soixante-dix personnes, toujours dans la salle des fêtes d’Ars en Ré.
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