- Environnement & Patrimoine
- Jugement du Conseil Constitutionnel
Le péage des ponts reliant les îles au continent validé par le Conseil Constitutionnel
Les élus de l’île de Ré retenaient leur souffle. Le Conseil Constitutionnel a rendu ce mercredi 24 mai 2017 son jugement et a confirmé la constitutionnalité du droit départemental de passage perçu sur le pont de Ré, et envisagé par certains pour le Pont d’Oléron.
Le Président du Département de Charente-Maritime, Dominique Bussereau, et le Président de la Communauté de Communes de l’île de Ré, Lionel Quillet, ont fait part dès mercredi soir de leur grande satisfaction quant à ce jugement sur un dispositif de péage concernant potentiellement et uniquement les trois ponts des îles de Noirmoutier, Ré et Oléron.
Le Conseil Constitutionnel avait été saisi le 6 mars 2017 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité, posée par l’Association pour la gratuité du pont de l’île d’Oléron (AGPIO). En effet cette loi de 1995, ensuite complétée par l’amendement de 2009 sur le déplafonnement de l’écotaxe à compter du 1er janvier 2012, n’avait jamais été soumise au Conseil Constitutionnel.
Les deux principaux motifs invoqués par l’AGPIO, la modulation des tarifs selon le lieu de résidence et de travail, et une « atteinte disproportionnée de la liberté d’aller et de venir » ont été rejetés par l’ensemble du Conseil*.
Sur le premier point, ses membres ont analysé ainsi la modulation des tarifs : « En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires qu’en instituant l’imposition prévue à l’article L. 321-11 le législateur a entendu limiter le trafic routier dans les îles maritimes reliées au continent par un ouvrage d’art et préserver l’environnement. En second lieu, d’une part, en prévoyant la modulation du montant du droit départemental de passage en fonction de la « silhouette » des véhicules, les dispositions contestées permettent de prendre en compte, au regard de l’emprise au sol et du gabarit des véhicules, leur impact sur le trafic routier et sur l’environnement. D’autre part, en permettant d’accorder des tarifs différents ou la gratuité aux usagers domiciliés ou travaillant dans l’île et à ceux ayant leur domicile dans le département, le législateur a entendu tenir compte de la fréquence particulière à laquelle ces usagers sont susceptibles d’emprunter l’ouvrage d’art, qui les place dans une situation différente de celle des autres usagers… Par conséquent, pour déterminer les conditions de modulation du montant du droit départemental de passage, le législateur s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques doit ainsi être écarté ».
Sur le second grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’aller et de venir le Conseil estime : « La liberté d’aller et de venir est protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté par l’institution d’une imposition doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. En premier lieu, en instituant le droit départemental de passage afin de limiter le trafic routier et de préserver l’environnement, le législateur a poursuivi un but d’intérêt général. En second lieu, d’une part, en vertu du premier alinéa de l’article L. 321-11 du code de l’environnement, seuls les passagers des véhicules terrestres à moteur sont redevables de l’imposition. Ceux utilisant d’autres moyens de transport pour se rendre sur l’île n’y sont pas soumis. D’autre part, le montant maximum du droit départemental de passage (NDLR : 60 €) ne peut être regardé comme excessif. Dès lors, le législateur n’a pas porté à la liberté d’aller et de venir une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté ».
Le Conseil a donc conclu que « les quatrième et huitième alinéas de l’article L. 321-11 du code de l’environnement, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution ».
L’île de Ré conserve donc son écotaxe, essentielle pour financer sa politique de protection et de gestion environnementale. Quant à l’île d’Oléron, elle va pouvoir remettre sur le tapis sa consultation publique, une fois que le Tribunal Administratif aura déterminé le périmètre de consultation retenu, le président de la CdC de l’île d’Oléron et un certain nombre d’élus Oléronais appelant de leurs voeux l’instauration d’un droit départemental de passage sur le Pont d’Oléron, tandis que le président de la CdC de Marennes, Michael Vallet, différents maires et l’association pour la gratuité du pont d’Oléron y étant fermement opposés. Ce sera ensuite au Conseil départemental de Charente-Maritime de délibérer, d’ici la fin de l’année probablement, en s’appuyant ou non sur la consultation locale.
*Siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT
Voici in extenso le jugement rendu.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article L. 321-11 du code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la loi du 17 mai 2013 mentionnée ci-dessus, prévoit :« À la demande de la majorité des communes ou des groupements de communes compétents en matière d’aménagement, d’urbanisme ou d’environnement d’une île maritime reliée au continent par un ouvrage d’art, le conseil départemental peut instituer un droit départemental de passage dû par les passagers de chaque véhicule terrestre à moteur empruntant cet ouvrage entre le continent et l’île.
« Le droit mentionné au premier alinéa est établi et recouvré au profit du département. Il peut être perçu par l’exploitant de l’ouvrage en vue du reversement au département.
« Le montant de ce droit est fixé par le conseil départemental après accord avec la majorité des communes et groupements de communes mentionnés au premier alinéa.
« Le montant du droit de passage est au plus égal au produit d’un montant forfaitaire de 20 € par un coefficient, compris entre 0,2 et 3, en fonction de la classe du véhicule déterminée d’après sa silhouette, appréciée en tenant compte, s’il y a lieu, de la présence d’une remorque tractée et de ses caractéristiques techniques.
« Lorsqu’est perçu le droit départemental mentionné au premier alinéa, l’usage de l’ouvrage d’art entre le continent et l’île peut en outre donner lieu à la perception d’une redevance pour services rendus par le maître de l’ouvrage en vue d’assurer le coût de son entretien et de son exploitation. Ces dispositions sont exclusives de l’application de l’article 56 de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier.
« Lorsqu’il y a versement d’une redevance pour services rendus, le montant du droit départemental de passage mentionné au premier alinéa du présent article est calculé de telle sorte que le montant total perçu, lors du passage d’un véhicule, ne puisse excéder trois fois le montant forfaitaire mentionné au quatrième alinéa.
« Le cas échéant, les frais de perception du droit départemental de passage et de la redevance pour services rendus s’imputent à due concurrence sur les produits de ceux-ci.
« La délibération du conseil départemental sur le droit de passage peut prévoir des tarifs différents ou la gratuité, sans préjudice de la modulation éventuelle de la redevance d’usage, selon les diverses catégories d’usagers pour tenir compte soit d’une nécessité d’intérêt général en rapport avec les espaces naturels protégés, soit de la situation particulière de certains usagers et, notamment, de ceux qui ont leur domicile ou leur lieu de travail dans l’île concernée, ou leur domicile dans le département concerné, soit de l’accomplissement d’une mission de service public.
« Le produit du droit départemental de passage est inscrit au budget du département après déduction des coûts liés à sa perception ainsi que des coûts liés aux opérations de gestion et de protection des espaces naturels insulaires dont le département est le maître d’ouvrage ; les sommes correspondantes sont destinées au financement de mesures de protection et de gestion des espaces naturels insulaires ainsi que du développement de transports en commun fonctionnant avec des véhicules propres, dans le cadre d’une convention conclue entre le préfet, le conseil départemental et les communes et les groupements de communes. La fraction du produit revenant aux communes et groupements concernés en application de cette convention leur est reversée par le département. Les collectivités peuvent rétrocéder tout ou partie de ces sommes aux gestionnaires des espaces naturels protégés mentionnés au huitième alinéa, dans le cadre d’une convention conclue à cet effet.
« Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent article ».
2. L’association requérante soutient, en premier lieu, que ces dispositions méconnaîtraient le principe d’égalité devant les charges publiques, au motif que les critères retenus pour moduler le montant du droit départemental de passage sur un pont reliant une île maritime au continent ne seraient ni objectifs ni rationnels au regard de la finalité de diminution de l’impact environnemental du transport routier poursuivie par le législateur. D’une part, le critère de la « silhouette » des véhicules ne permettrait pas de prendre en compte leur caractère plus ou moins polluant. D’autre part, la possibilité d’accorder des tarifs différents ou la gratuité aux usagers ayant leur domicile ou leur lieu de travail dans l’île, à ceux ayant leur domicile dans le département ou à ceux accomplissant une mission de service public, serait dénuée de lien avec l’objectif poursuivi. L’association requérante soutient, en second lieu, que le montant du droit départemental de passage porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et de venir.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les quatrième et huitième alinéas de l’article L. 321-11 du code de l’environnement.
– Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques :
4. Selon l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
5. En application du premier alinéa de l’article L. 321-11 du code de l’environnement, le conseil départemental peut, à la demande de la majorité des communes ou des groupements de communes compétents en matière d’aménagement, d’urbanisme ou d’environnement d’une île maritime reliée au continent par un ouvrage d’art, instituer un droit départemental de passage dû par les passagers de chaque véhicule terrestre à moteur empruntant cet ouvrage d’art entre le continent et l’île. En vertu du quatrième alinéa de l’article L. 321-11, le montant de ce droit est déterminé, sans pouvoir excéder soixante euros, en fonction de la silhouette du véhicule, appréciée en tenant compte, s’il y a lieu, de la présence d’une remorque tractée et de ses caractéristiques techniques. Le huitième alinéa permet d’établir des tarifs différents ou la gratuité au profit de certaines catégories d’usagers, afin de tenir compte notamment de l’accomplissement d’une mission de service public ou de la situation particulière de certains usagers, tels que ceux ayant leur domicile ou leur lieu de travail dans l’île et ceux ayant leur domicile dans le département.
6. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires qu’en instituant l’imposition prévue à l’article L. 321-11 le législateur a entendu limiter le trafic routier dans les îles maritimes reliées au continent par un ouvrage d’art et préserver l’environnement.
7. En second lieu, d’une part, en prévoyant la modulation du montant du droit départemental de passage en fonction de la « silhouette » des véhicules, les dispositions contestées permettent de prendre en compte, au regard de l’emprise au sol et du gabarit des véhicules, leur impact sur le trafic routier et sur l’environnement.
8. D’autre part, en permettant d’accorder des tarifs différents ou la gratuité aux usagers domiciliés ou travaillant dans l’île et à ceux ayant leur domicile dans le département, le législateur a entendu tenir compte de la fréquence particulière à laquelle ces usagers sont susceptibles d’emprunter l’ouvrage d’art, qui les place dans une situation différente de celle des autres usagers. En procédant de même s’agissant des usagers accomplissant une mission de service public, il a souhaité ne pas entraver l’exercice d’une telle mission.
9. Par conséquent, pour déterminer les conditions de modulation du montant du droit départemental de passage, le législateur s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques doit ainsi être écarté.
– Sur le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’aller et de venir :
10. La liberté d’aller et de venir est protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté par l’institution d’une imposition doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.
11. En premier lieu, en instituant le droit départemental de passage afin de limiter le trafic routier et de préserver l’environnement, le législateur a poursuivi un but d’intérêt général.
12. En second lieu, d’une part, en vertu du premier alinéa de l’article L. 321-11 du code de l’environnement, seuls les passagers des véhicules terrestres à moteur sont redevables de l’imposition. Ceux utilisant d’autres moyens de transport pour se rendre sur l’île n’y sont pas soumis. D’autre part, le montant maximum du droit départemental de passage ne peut être regardé comme excessif.
13. Dès lors, le législateur n’a pas porté à la liberté d’aller et de venir une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté.
14. Par conséquent, les quatrième et huitième alinéas de l’article L. 321-11 du code de l’environnement, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Les quatrième et huitième alinéas de l’article L. 321-11 du code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, sont conformes à la Constitution.
Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 mai 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 24 mai 2017.
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