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Que nous disent « les changements d’usages » et d’occupations du foncier dans l’île de Ré ?
L’Île de Ré a vécu depuis 40 ans des évolutions considérables avec une accélération depuis Xynthia en 2010. Jusqu’à un été 2018 qualifié par certains de « Grand Bazar », tant la qualité de vie a paru altérée et ceci pour la première fois, pour un grand nombre de résidents permanents, secondaires ou touristes habitués de l’île. Si les perceptions d’une dégradation de la qualité de vie doivent être examinées avec précaution tant les appréciations sont personnelles et diverses, elles doivent néanmoins faire l’objet d’une vraie attention sur l’évolution d’un territoire insulaire qui concentre des attractions très fortes.
Des mutations réelles ont transformé l’île de Ré. Point n’est besoin d’être fin observateur pour le constater. L’artificialisation des terres par les constructions est visible, ainsi que la densification des symboliques 20 % constructibles (ne les avons-nous pas déjà dépassés d’ailleurs ?), comme la croissance très forte de l’artificialisation hors des 20 % constructibles, sous la forme de carrefours, de parkings, d’aménagements de services tels que les « gares routières » type Sablanceaux ou Saint-Martin, etc. Les débats sur ce sujet sont nombreux. Il existe pourtant une mutation plus pernicieuse, celle des changements d’usages. Signaux faibles aujourd’hui, ils marqueront fortement le territoire si rien n’est fait pour les maitriser ou les empêcher. Avec pour conséquence, d’inévitables conflits d’usages entre les acteurs insulaires et une dégradation des espaces naturels et des paysages protégés efficacement (?) par le classement de la loi de 1930.
Qu’appelle t’on changement d’usage ou d’occupation du foncier ?
Sans rentrer dans les arcanes du code de la construction et de l’habitation qui différencie changement de destination (lié au local) et changement d’usage (lié à l’usager), considérons, pour faire simple, qu’il s’agit d’évolutions fortes de certaines activités économiques (changement de métier), ou de nouveaux usages auxquels ne sont pas destinés des lieux comme les espaces naturels ou les aménagements routiers par exemple. Les deux pouvant être liés d’ailleurs.
Des exemples de changements d’usage et d’occupation du foncier dans l’île de Ré et leurs conséquences
La transformation des campings temporaires en parcs résidentiels de loisir (PRL) permanents
Les mobil-home permanents à usage de location temporaire ou de résidence secondaire ou même principale ont remplacé les tentes temporaires qui occupaient les campings. Ces parcs résidentiels sont devenus des petites villes avec leur population supérieure à la plupart des communes de l’île. Tous ces résidents ou parc résidentiels paient-ils des taxes et services au même niveau que les résidents de l’île ? Pas sûr ! Toute l’année donc sont apparents extérieurement les mobil-home dont l’esthétique et les contraintes sont très éloignées de celles imposées aux maisons de nos villages. Alors qu’ils sont en site classé pour la plupart d’entre eux. A ceci s’ajoutent le stationnement des très nombreux véhicules qui sont parqués à l’extérieur des parcs résidentiels, en violation là aussi du classement des paysages, rentabilité oblige. Quand les arbres des dits paysages n’ont pas été coupés pour le stationnement des voitures (Le Bois, Saint-Martin, Sainte-Marie, La Couarde, Rivedoux etc.).
En bordure des parcs ou dans des espaces naturels par 30° et une sécheresse durable propices à l’incendie. On peut donc estimer que ces nouveaux acteurs, grand groupes internationaux, sont aujourd’hui dans une situation indiscutablement anormale au regard des contraintes imposées aux autres acteurs du territoire. La dégradation des paysages est flagrante : voir l’alignement des camping-cars du parc résidentiel Le Platin de Rivedoux, vu du pont quand on arrive. Dommage pour la magnifique baie de Rivedoux et pour la commune qui a réalisé une rénovation remarquable de son village ! Ne peut-on pas attendre d’eux une contribution conforme à la beauté de l’île qui nourrit leur business ?
La transformation des cabanes ostréicoles en restaurants
Nous avons défendu l’idée, dans les temps récents de très fortes mortalités des huîtres, que les ostréiculteurs puissent écouler leur production en dégustation saisonnière directe à leur cabane. Nous avions participé à soutenir le Comité Conchylicole auprès des services de l’Etat, comme cela se passe d’ailleurs pour les agriculteurs qui améliorent ainsi légitimement et accessoirement leurs revenus. Normal ! Pas la mise en place de véritables restaurations complètes très éloignées des produits issus de leurs exploitations ! Avec deux voire trois services, en faisant ici une activité principale et non plus accessoire. Et évidemment la cohorte des dizaines de voitures des clients parquées dans les espaces naturels, classés, sur le trait de côte de surcroît. Cette dérive ayant suscité l’appétit de « maisons oléronaises » réputées, prêtes à investir des grands projets de restauration au Vert Clos ou dans les marais du nord de l’île, à l’occasion de cession d’exploitations ostréicoles rétaises. Confirmant ici une transformation totale de la destination initiale des lieux. Mettant évidemment les restaurateurs de métier dans une situation concurrentielle intenable, et surtout très inégalitaire quant aux contraintes et règlementations qui leur sont imposées. Autre transformation, l’apparition de « paillotes » de dégustation permanente sous la forme de structures métalliques qui défigurent les lieux, de l’autre côté de la route où se situe la cabane ostréicole… Pour bientôt une terrasse chauffée toute l’année ?
La transformation d’école de voile en activités nautiques (évolution normale), complétées par une buvette de plage, « usage moins normal », devenu restaurant de plage, « usage pas normal » Changement d’usage assez surprenant avec une temporalité en 2018 dépassant la saison d’une activité saisonnière de plage et force panneaux publicitaires le long de la départementale vantant les mérites de l’établissement et même des voyages touristiques à l’étranger ! Et une myriade de véhicules tracteurs professionnels occupant les places d’un parking public ! Demain un ouvrage permanent en dur, toute l’année? Plage sud de Rivedoux, sur un terrain public du Département ! Un exemple visible de tous et que l’on peut donc citer. Changement d’usage et d’occupation du foncier là aussi !
La transformation de buvette de plage saisonnière donc démontable en restaurant permanent construit en dur, pour partie sur le Domaine Public Maritime, dans le nord de l’île. En site classé bien sûr et sur le trait de côte ! Un contentieux est en cours… Dégradation du paysage et changement complet d’usage. L’envahissement d’espaces naturels privés n’appartenant pas aux utilisateurs ou des espaces naturels publics par des fêtes familiales, mariages, communions, anniversaires réunissant des dizaines de personnes, jusqu’à plus de 150 personnes avec les véhicules dans les espaces naturels, par 30° et une sécheresse durable, propices aux incendies ? Cette transformation d’usage et même cette appropriation a été le fait d’une cinquantaine de manifestations à notre connaissance, au coeur de l’été… Pour une généralisation de cet usage dans tous les espaces naturels ? Changement d’usage et d’occupations du foncier, là aussi !
L’occupation des espaces naturels par les cirques, avec leurs centaines de voitures de clients parquées où ils peuvent, avec les tracteurs et camions et caravanes, avec même des animaux sur le terre-plein du carrefour giratoire (Saint-Martin), en zone classée bien sûr. Bravo les paysages et la vue sur les remparts et glacis d’un site UNESCO qui nécessite le respect d’un « cahier des charges ». Cette présence des cirques tout l’été, les 3 mois complets maintenant, occulte complètement les sites et paysages de l’île de Ré, en faisant un gigantesque Barnum sur la plupart des communes. Avec leur lots de nuisances diverses concernant l’affichage sauvage sur les panneaux de signalisation, poteaux électriques, abribus, arbres, et autres panneaux publicitaires de 4X4 m2 dans les vignes à Sainte-Marie pendant trois semaines ! Les clous de ces occupations étant : le chapiteau du spectacle équestre au Moulin Moreau à La Flotte, sur un terrain du Conservatoire, en site classé bien sûr pendant plus de trois mois (avec un record de 70 affichages sauvages sur les ronds-points de l’ île) et le spectacle Java de Saint-Clément dont les installations et véhicules ont détruit tout l’été les paysages de ce site, occultant complètement la vue sur le joli village et son église. Cet envahissement des paysages des espaces naturels et leurs nuisances d’occupations est-elle conforme à l’image d’excellence environnementale que souhaite l’île de Ré ? A un tourisme qualitatif organisé vanté par les communications officielles ? Aux soins accordés par ceux qui ont porté et obtenu le classement des sites et paysages de Ré ? Comme sujet et objet même de sa beauté ? Changement d’usage et d’occupations du foncier, là aussi !
Les occupations sauvages et perturbantes des pubs, affiches, promotions de manifestations ou activités privées ou publiques, laissés parfois sur place après la manifestation, déchirés et jaunis par la pluie et le soleil. Elles cannibalisent les carrefours et bords de route de notre réseau routier. Force est de constater qu’à de rares exceptions près, cette anarchie qui perturbe et occulte même les signalisations routières, a atteint cet été 2018 tous les records ! Elle est à l’image de ce que devient l’île, un gigantesque supermarché surpeuplé où tout semble autorisé. Là encore au mépris de la beauté de ses paysages et des touristes cherchant leur route. Auquel s’ajoutent maintenant sur les jolies bermes enherbées de nos routes, des remorques de plus en plus nombreuses d’exploitants qui y laissent leur stock, quand ce ne sont pas des voitures stationnées, annoncées « En vente » qui arrêtent des « clients ». Changement d’usage et d’occupations du foncier là aussi ! Autres changements d’usage ou d’occupations du foncier, les dépôts temporaires devenus définitifs de matériaux, gravats, déchets de toutes sortes constituent, je me permets de le poser comme tel, une honte pour notre Ile. Quelques lieux bien connus, y compris des terrains publics du Département sont symboliques du laisser-faire et du laisser-aller qui s’installent. Au vu et au su de tous, visibles des routes que nous fréquentons ils s’enkystent dans nos paysages, désolant ceux qui aiment leur territoire. Que ceux qui sont à l’origine de ces déchèteries sauvages soient des acteurs insulaires du bâtiment ou des travaux publics en dit long sur leur respect du territoire qui permet leur activité ! Des acteurs insulaires bien connus, la plupart du temps se sont appropriés ces usages honteux. Jusqu’à quand ?
Que nous disent ces changements d’usages et d’occupations du foncier ?
Ils attestent d’abord que l’île de de grandes libertés des années 80/90, avec ses espaces naturels, ses petits villages, devenue en 25 ans un territoire très attractif, ne peut pas avec des activités économiques multipliées par 15 ou 20 (entreprises insulaires et continentales qui travaillent sur l’île), une population estivale de 160 000 habitants voire plus, vivre sans appliquer des règles de préservation de son territoire. Des règles de bon sens certes mais aussi d’application normale des textes sur le classement des sites et paysages, des déchets et dépôts sauvages, des usages compatibles ou non avec le territoire. Sauf à considérer qu’on laisse tomber, qu’on abandonne ce qui a fait l’attractivité de l’île, et détruire en quelques années ce qui a rendu attractif et fait apprécier notre territoire insulaire. Ils doivent en tout cas nous faire réagir. On n’échappera pas à une prise de conscience et surtout à des actions collectives pour maîtriser et éviter ces dérives destructrices de la qualité de vie et de la beauté de l’île de Ré. L’exercice de la police des maires, l’aide de l’ensemble des collectivités (CdC, Département) et de l’Etat, sans oublier la participation des habitants et touristes, quel que soit leur statut, devrait réussir à préserver l’île de Ré, que l’on aime tant. Au vu des embellissements réalisés dans les villages, de la qualité des services et animations mis en place pour la population, faisant de l’île de Ré un territoire si privilégié quand on le compare à des territoires continentaux de la Région Nouvelle-Aquitaine, tout cela tissé patiemment par l’ensemble de nos élus rétais, on ne comprendrait pas que l’on y arrive pas ! Et de grâce qu’on n’oppose pas l’économique à l’environnement comme la bêtise le fait trop souvent…
J’écrivais en 2005, dans le tome 1 des « O iseaux de l’île de Ré » : « Ré, fragile terre insulaire, Ta beauté sera t’elle éphémère ? Tes espaces naturels résisteront ils longtemps aux laideurs qui menacent, Décharges, dépôts sauvages, murs de parpaings, camping-cars tenaces… Hier, l’île par le bac se gagnait, Aujourd’hui par le pont est consommée. » Cette inquiétude naissanteil y a treize ans, prémonitoire (?) alors, ne peut pas être notre réalité de demain. Ce serait tellement dommage, ne gâchons pas ces lieux uniques !
Dominique Chevillon
Dominique Chevillon est président de Ré Nature Environnement, vice-président de la LPO France, Président du CESER de la Nouvelle Aquitaine et acteur engagé depuis 40 ans dans la préservation de l’île de Ré
Un dossier photos élaboré par Ré Nature Environnement sur ce sujet et ses incidences paysagères sera remis en décembre aux communes et à la CdC de l’île de Ré… pour concrétiser la réalité 2018 des faits énoncés.
Vous voulez réagir à cette tribune, donner votre point de vue, débattre ? Faites-le en nous écrivant par mail sur realahune@rheamarketing.fr ou en commentaires en bas de cet article publié sur notre Site : www.realahune.fr
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