Des surveillants pénitentiaires confrontés à la dangerosité croissante du métier et au « manque de volonté politique »
A la suite des mouvements des surveillants pénitentiaires (filtrage au Pont mercredi 6 mars et blocage d’accès à La Caserne et à la Citadelle le 19 mars, entre autres) nous avons rencontré Ludovic Lillo, secrétaire local de Force Ouvrière (Syndicat devenu majoritaire lors des élections du 6 décembre 2018), représentant du personnel de la Maison Centrale de Saint-Martin, ainsi que Ronan Mazé, secrétaire local de l’UFAP, afin de mieux comprendre leurs revendications et états d’esprit.
Ludovic Lillo (FO) : « Que ce Gouvernement nous donne enfin les moyens de travailler en sécurité avant de parler de rapatrier et incarcérer des djihadistes.. »
Ré à la Hune : A la suite des évènements de Condé sur Sarthe, vous avez organisé plusieurs mouvements, quelles sont vos principales revendications aujourd’hui ?
Ludovic Lillo : Elles concernent de nombreux domaines, depuis l’orientation ciblée des détenus jusqu’au renforcement de notre sécurité, en passant par une plus grande attractivité de notre métier qui rencontre des difficultés à recruter, sans oublier des modifications statutaires.
La mobilisation de vos collègues surveillants n’est pas toujours facile, semble-t-il ?
A la suite du mouvement passé ayant duré trois semaines et des arrêts maladie en bloc, nous avons eu deux types de sanctions : disciplinaires et administratives pour « absence irrégulière » sans contrôle ni contre-visite médicale, ayant un impact financier important pour les surveillants concernés et en plus plusieurs journées d’exclusion temporaire ferme, sans être passés devant une commission disciplinaire. Notre Syndicat accompagne les collègues qui ont souhaité mener un recours devant le Tribunal Administratif de Poitiers, quand le recours hiérarchique gracieux n’a pas fonctionné (quatre agents en ont bénéficié). Tout cela dissuade certains de se mobiliser, c’est le but de ces sanctions…
Concernant l’aspect sécuritaire, vous dénoncez le défaut d’orientation ciblée des détenus, qu’entendez-vous par là ?
On nous demande des compétences dans de nombreux domaines : nous jouons les pompiers lors des feux de cellules (sans équipement adapté) et sauvons des vies, les psychologues (sans formation à la clé), les éducateurs… Nous demandons une classification des établissements permettant l’orientation ciblée des détenus, en fonction de leur profil de dangerosité. FO pénitentiaire revendique depuis toujours la construction d’établissements spécialisés et davantage adaptés au profil de dangerosité de certains détenus. Aux Etats-Unis il existe des établissements ultra-sécurisés à l’étanchéité totale. Bien sûr le respect des conditions humaines est à conserver, mais on pourrait dupliquer ce qui marche là-bas, en l’adaptant à nos obligations légales françaises. Il faut réfléchir à un niveau de sécurité graduée sur une échelle du risque d’évasion et d’agression. Il est aussi nécessaire de construire des établissements adaptés aux besoins croissants concernant les détenus souffrant de problèmes psychiques ou psychiatriques. Beaucoup d’entre eux n’ont pas leur place dans un établissement carcéral « classique », le personnel de surveillance n’est pas formé ni n’a vocation à traiter et gérer des détenus relevant du domaine de la psychiatrie. Les places en détention classique n’ont pas vocation à pallier le manque de places dans les établissements psychiatriques, lié à la politique (budgétaire) de suppression de lits. Et le milieu carcéral classique n’est pas adapté à une prise en charge médicale spécialisée efficace de ces individus. Nous avons de plus en plus de détenus atteints de troubles psychiatriques, et de plus en plus d’addictions aux drogues, sans qu’une prise de conscience ne s’opère en haut lieu…
L’orientation des détenus au niveau national se base sur le rapprochement familial, en laissant de côté les aspects sécuritaires et psychiatriques. Il faudrait expertiser la dangerosité des individus et les orienter d’abord en fonction de ce critère. Saint-Martin est la moins sécuritaire de toutes les Maisons Centrales, même si nous n’avons pas de problème de sureffectif avec 370 détenus pour environ 450 cellules individuelles, contrairement aux Maisons d’Arrêt.
Quid des détenus « radicalisés » ? Combien y-en-a-t-il à la Maison Centrale de Saint-Martin et la suppression des casinos a-t-elle permis de diminuer le prosélytisme ?
A Saint-Martin de Ré, il y a un détenu condamné pour acte de terrorisme (directement ou indirectement) et une vingtaine de détenus radicalisés, dont un certain nombre très influençables et/ou présentant des troubles de la personnalité et qui constituent donc des cibles faciles. On a mis plusieurs millions d’euros dans la destruction des casinos et la création d’un gymnase, ce qui n’empêche pas le prosélytisme de s’exercer aux ateliers, dans les cours de promenade, lors des leçons de sports, etc. « On » ferme les yeux pour acheter la paix carcérale, c’est très hypocrite. Il faudrait que certains quartiers soient réservés aux détenus radicalisés, voire des établissements spécifiques créés, mais cela coûterait des milliards d’euros et il faut une volonté politique forte avec un calendrier ferme…
Quelles sont vos demandes pour améliorer la sécurité des surveillants pénitentiaires ?
Nous demandons l’abrogation de l’article 57 de la loi pénitentiaire, dite Loi Taubira, qui interdit les fouilles à corps des détenus, tout comme nous revendiquons une modification de la procédure disciplinaire et précisément l’échelle des sanctions dans le cadre des agressions physiques sur les personnels. De plus en plus d’exactions sont commises à l’égard des personnels en détention, il faut adapter nos pratiques professionnelles. C’est pourquoi, dans un contexte légal et réglementaire bien défini, FO pénitentiaire revendique l’usage du Pistolet à Impulsion Électrique (PIE), qui pourrait, dans un premier temps, être affecté aux chefs d’équipe sur des secteurs reconnus sensibles avec une formation et une procédure d’intervention très clairement affichée. Ces PIE auraient à notre sens un caractère particulièrement dissuasif, dans 85% des cas. Les politiques nous les refusent au prétexte que nous pourrions nous les faire piquer par les détenus. Cet argument ne tient pas la route, ou alors il faut désarmer tous les policiers et gendarmes de France!
Nous souhaitons que soient rétablies les fouilles à corps systématiques, qu’elles soient obligatoires lors des parloirs : il s’agit aussi de protéger les familles des détenus qui subissent parfois de fortes pressions de la part d’autres familles… Aujourd’hui il n’y a que des fouilles aléatoires et toute demande de fouille doit être justifiée par des soupçons qui doivent être étayés… De même, nous avons de temps en temps l’équipe cynotechnique des douanes qui intervient avec efficacité, nous réclamons le développement de brigades cynotechniques…
Après des années de demande, nous allons être enfin être équipés de gilets pare-lames, mais qui pèsent quatre kilos et au travers desquels les parties du corps protégées se voient, quel en est l’intérêt ?
Les vacances de postes et prochains départs à la retraite vous inquiètent, pour quelle raison ?
Nous sommes déjà en sous-effectif, les postes vacants ne sont pas pourvus et de nombreux départs à la retraite se profilent à compter de cette année. Il est urgent de recruter pour faire face aux besoins déjà existants et couvrir les missions futures. Cela permettrait de garantir un niveau de sécurité satisfaisant en détention et sur les missions extérieures. Or le manque d’attractivité de notre métier se traduit par de fortes difficultés de recrutement. Sans compter que l’administration pénitentiaire se trouve en concurrence directe avec d’autres institutions telles les douanes, la police nationale, la gendarmerie nationale, le service des armées, la police municipale… Ces entités proposent aux candidats potentiels des conditions de travail, de rémunération, de promotion interne et de lisibilité de carrière bien plus favorables à celles proposées par l’administration pénitentiaire. Et bien sûr le manque de moyens de sécurité des surveillants ne plaide pas en faveur de la profession. La multiplication d’évènements très négatifs (122 agressions sur 70 jours du 1er janvier au 21 mars 2019) et le manque de dialogue social sont dissuasifs.
Vos revendications sont aussi d’ordre statutaire ?
FO pénitentiaire réclame depuis des années une meilleure promotion interne, avec la révision des modalités de passage d’un grade vers l’autre. Le passage au grade de brigadier doit se faire automatiquement en fonction d’une ancienneté acquise ce qui permettrait à tous les surveillants une linéarité du déroulement de leur carrière et idem pour le grade de major pénitentiaire, en fonction de l’ancienneté acquise dans le grade de 1er surveillant. Le contingentement est le plus faible de notre administration…
Ronan Mazé (UFAP) : « Nous avons un bon dialogue avec la Direction locale mais nous devons faire face à une recrudescence de la violence »
Ré à la Hune : Quelles sont vos principales revendications ?
Ronan Mazé : Recruter du personnel. On est en sous-effectif d’au moins vingt personnes et priorité a été donnée au niveau national aux petites Maisons d’Arrêt dans lesquelles les équipes de nuit ont été renforcées, au détriment des Maisons Centrales. Mais l’Administration pénitentiaire recrute et crée de nouvelles brigades, les PREJ, pour l’extraction judiciaire. Les agressions font peur aux candidats, et la rémunération est souvent insuffisante pour se loger sur l’île de Ré. Il y a vingt ans, 60 à 70 % des personnels pénitentiaires habitaient sur l’île, désormais ce sont à peine 30%. On a de moins en moins de gens du coin et cela se traduit par un turn-over bien plus important qu’avant.
Qu’en est-il de la population carcérale, a-t-elle évolué ?
On a une population dangereuse, atteinte de troubles psychiatriques, condamnée pour des faits graves de type braquages, trafics de stupéfiants, incestes et viols… Le radicalisme est aussi à surveiller. Il faut créer des structures plus adaptées, pour regrouper les détenus violents ou radicalisés. A Uzerche une unité est dédiée aux détenus violents, à Saint-Martin on va avoir un secteur spécifique pour les détenus radicalisés, a priori au sein de l’ancien quartier disciplinaire de la Caserne. Les couloirs de promenade de la Caserne sont déjà isolés et il n’existe plus de lieu de non droit.
Avez-vous des revendications d’ordre sécuritaire ?
Notre syndicat a signé le relevé de conclusions en janvier 2018. Nous avons obtenu au dernier trimestre 2018 d’avoir des trappes passe-menottes dans les quartiers disciplinaire et d’isolement, afin de sortir des détenus déjà menottés. Nous allons être dotés de gilets parelames, qui font 4 kilos au lieu des 2 kilos espérés et qui doivent être portés par-dessus notre polo. Sur Saint-Martin un essai va être fait sur les équipes des quartiers disciplinaire et d’isolement. Nous réclamons le rétablissement des fouilles systématiques : il y a déjà une amélioration, on peut reprendre les fouilles à condition qu’elles soient programmées par un membre de la direction et il existe les fouilles inopinées. On a obtenu des bombes de poivre, chaque agent va en être équipé, ce qui peut permettre de calmer certaines situations.
La mise à disposition de Taser (pistolets à impulsion électrique) pour les officiers gradés à titre d’essai nous paraît bien, il vaut mieux éviter que les surveillants en permanence en contact avec les détenus en aient.
Nous réclamons aussi que les surveillants soient équipés de caméras lors des fouilles et des transferts, car les détenus portent de plus en plus souvent plainte. En outre, quand sera instaurée la fouille des visiteurs de prison, on se demande qui va fouiller les enfants, c’est une tâche très délicate. L’établissement de Condé sur Sarthe a obtenu de faire un essai en matière de fouille des visiteurs, à la suite des récents évènements.
L’UFAP n’appelle pas à continuer les mouvements de grève, nous estimons avoir un bon dialogue avec la Direction locale. Mais notre syndicat soutient localement les surveillants qui ont été sanctionnés à la suite des mouvements passés et nous pouvons obtenir gain de cause auprès du Tribunal Administratif : un surveillant en France a obtenu récemment gain de cause à la suite de son recours, reste à connaître précisément son dossier…
Sur les aspects statutaires, les avis sont assez partagés, mais les indemnités demeurent un cheval de bataille.
Propos recueillis par Nathalie Vauchez
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