Des moyens pour sauver les dauphins
Lors de sa venue le 22 mars, le ministre de l’écologie François de Rugy a annoncé une enveloppe supplémentaire de cent mille euros au fonctionnement de l’observatoire Pélagis de La Rochelle. Et la mise en place d’un plan d’actions de protection des cétacés pour la fin de l’année.
Pour l’équipe de l’Observatoire Pélagis, c’est un soulagement. « C’est une prise en charge par l’Etat à un niveau qui n’avait encore jamais eu lieu », se réjouit Jérôme Spitz, directeur adjoint du laboratoire Pélagis à La Rochelle. Le Ministre de l’Ecologie François de Rugy leur a non seulement promis une enveloppe de cent mille euros en plus des subventions annuelles de l’Etat, mais il a annoncé la mise en place d’un plan de protection des cétacés d’ici la fin de l’année (lire ci-dessous). Les associations environnementales comme Nature Environnement, la Ligue de la protection des oiseaux, l’Observatoire Pélagis et la filière pêche seront notamment consultés pour l’élaboration de ce plan durant ces prochains mois, a promis François de Rugy.
Car il y a urgence à agir. Mille-cent dauphins ont été retrouvés morts sur le littoral atlantique depuis le début de l’année (lire le dossier de Ré Nature Environnement sur realahune. fr et broché dans Ré à la Hune 185 et RMO à la Hune 34). Un chiffre record en constante augmentation depuis dix ans. « Avant cette année, 2017 avait été l’année où l’on avait observé le plus grand nombre d’échouages depuis quarante-cinq ans », explique Jérôme Spitz, avec près de huit-cents cétacés trouvés échoués, dont 85% de dauphins. Un chiffre qu’il faudrait multiplier par quatre ou cinq pour être au plus prêt de la réalité. « De nombreux cétacés morts en mer coulent au fond de l’eau ou sont dérivés au large par les courant et n’arrivent jamais sur nos plages », explique le chercheur. S’inspirant des études et des calculs sur la dérive en mer des conteneurs perdus par la marine marchande, l’observatoire a calculé que les huit cents dauphins morts retrouvés en 2017 ne représenteraient que la partie visible de quatre mille cinq cents dauphins morts au large. Suivant ces mêmes modes de calcul, le laboratoire a ainsi pu localiser deux zones « noires » pour la survie des dauphins : les côtes vendéennes et charentaises, puis dans le golf de Gascogne, au centre et au talus du plateau continental.
Lésions mortelles et asphyxie
Les blessures mortelles observées sur les dauphins échoués sont sans équivoque : « Les animaux retrouvés sont en bonne santé, ne présentent aucune maladie, mais ont des fractures, des amputations ou des marques cutanées correspondant à des instruments de pêche. Les autopsies des animaux montrent aussi qu’ils sont morts l’estomac plein, au moment où ils étaient train de s’alimenter. On trouve également des lésions pulmonaires qui sont manifestes de mort par asphyxie ». Selon l’Observatoire, bars, merlus et dauphins se retrouvent au même endroit au même moment dans le golfe de Gascogne pour se nourrir, en pleine saison de pêche. La répétition d’échouages massifs survenus systématiquement entre janvier et mars corrobore cette théorie.
Pour l’observatoire, ces captures accidentelles entraînant la mort seraient liées notamment aux filets maillants, à la pêche lente à grande ouverture verticale que pratiquent en particulier les Danois, à la pratique des chaluts de fonds espagnols et des grands chaluts-congélateur européens. Pour les chercheurs, la difficulté reste aujourd’hui d’évaluer la part de responsabilité de chaque technique et de chaque pêcherie. Car même en Europe chaque pays à des navires et des pratiques différentes. Et le laboratoire n’entend montrer personne du doigt en particulier, du moins pour le moment. « Il y a urgence à agir pour sauver les cétacés mais il ne faut pas que la précipitation amène la mise en place d’actions entraînant le même phénomène tout en ayant entre-temps pénalisé un secteur d’activité ou une pêcherie en particulier. Ce serait contre-productif pour tout le monde », analyse Jérôme Spitz.
Un besoin d’innovation
L’observatoire Pélagis a profité de la venue du Ministre pour lui demander plus de moyens pour ses recherches. « Pour connaître la contribution de chaque pays, nous avons besoin de renforcer les équipes de recherches embarquées », précise Jérôme Spitz, qui insiste également sur la nécessité de développer des innovations, notamment pour aider les pêcheurs à ne pas entrer en interaction avec les cétacés. Comme étendre les dispositifs de répulsions acoustiques sur les chaluts (qui ont été déployés cet hiver sur certaines embarcations françaises) et des réflecteurs sur les filets, pour éloigner les cétacés à leur approche. L’observatoire aimerait également pouvoir assurer des suivis en temps réel des populations de dauphins, ce qui permettrait de mettre en place des stratégies d’évitements des bateaux, des suspensions ponctuelles de pêche, voire la sanctuarisation de certaines zones sensibles. « Ce serait l’occasion de montrer l’excellence des compétences de la France en matière de recherche, de protection de l’environnement et de gestion du milieu marin », a conclu Jérôme Spitz à l’intention du Ministre.
Anne-Lise Durif
François de Rugy renvoie l’Europe à ses responsabilités
« C’est un enjeu éthique et écologique », a déclaré le Ministre de l’Ecologie à la suite du compterendu des recherches menées par l’observatoire Pélagis. « Au vu du nombre d’échouages, on ne peut pas rester sans action ». Il a demandé officiellement aux chercheurs de « travailler à l’amélioration de la connaissance de l’origine des phénomènes », c’est dire à l’identification des techniques et pêcheries responsables : « Il nous faudra mener une action avec nos voisins européens », a-t-il fait savoir. « Pour mettre en place de bonnes actions, il faut avoir de bonnes connaissances. Même si vous avez évoqué d’autres causes potentielles de la mortalité des dauphins comme il y en a sur d’autres espèces animales, il ne faut pas faire comme s’il y avait d’autres causes ayant un effet massif, il faut regarder cela très en face ». Il n’a pas manqué de souligner que le milieu de la pêche française a « reconnu sa part de responsabilité » et s’est engagée à mettre en place des solutions, dont les dispositifs de répulsion acoustique déployés cet hiver sur les bateaux France filière pêche. Mais « après deux moi et demi de mise en place, nous n’avons pas assez de recul pour savoir si c’est assez efficace ni si assez de bateaux sont équipés. » Pour élaborer son plan d’action pour la protection des cétacés et mammifères marins, François de Rugy a assuré que son équipe « regardait ce qui se fait dans les autres pays et certaines régions de France », y compris sur les « avantages et les inconvénients » de la sanctuarisation de zones. « Si à un moment donné il faut prendre des mesures restrictives, nous le ferons ». Propos recueillis par Anne-Lise Durif
Entendu par le Ministre, le Rétais Dominique Chevillon a été nommé en commission nationale de capture des petits cétacés
Nous avons interrogé Dominique Chevillon, président de Ré Nature Environnement à l’origine du dossier sur le massacre des dauphins (Broché dans Ré à la Hune 185 et RMO à la Hune 34 et largement publié et partagé sur nos supports numériques). Il faisait partie de la délégation officielle et participera, à la demande de l’Etat, à la Commission nationale de capture des petits cétacés. Nous lui avons demandé si la venue du Ministre de Rugy à La Rochelle lui semblait importante et de nature à faire bouger les lignes. Voici en substance ses réponses. « Ce déplacement à La Rochelle constitue tout d’abord une marque d’intérêt du Ministre pour le combat contre le massacre des dauphins. Il s’agit de la première réaction avec déplacement d’un Ministre sur le terrain depuis quatre ans. Tout le monde au niveau départemental a aussi pris conscience de la situation. Avant sa venue, François de Rugy semblait douter de l’origine de ces massacres de dauphins, il a pu découvrir que 85 % des 1100 dauphins échoués entre le 28 janvier et le 22 mars 2019 avaient des marques de pêche. Dans la salle d’autopsie de Pélagis, les scientifiques lui ont montré les marques de pêche sur des dauphins par ailleurs en parfait été de santé. Il a salué le travail de Pélagis sous délégation de l’Etat en France et qui représente aussi notre pays à l’international par exemple au sein de la Commission baleinière. Et leur a annoncé une subvention supplémentaire de cent mille euros. Il les a encouragés à travailler aussi avec les autres pays européens et a demandé, de concert avec le Ministre de l’Agriculture, à leurs homologues espagnols, de travailler avec eux, afin de trouver des solutions communes, les pêcheurs français n’étant pas les seuls responsables, loin s’en faut. De même il a demandé à Pélagis d’étudier les pratiques de dissuasion dans le monde entier, telles que les techniques d’effarouchement et utilisations de filets spécifiques. En Amérique du Nord, la pêche est suspendue sur certaines périodes et à certains endroits, pour préserver la population des cétacés. Cette piste de réserves temporaires semble intéressante, tout comme la pose de caméras sur les enrouleurs de filets comme aux Etats-Unis ou en Australie. Les filets maillants, les chaluts pélagiques, la senne danoise française, les bateaux-congélateur, les filets de fond à grande ouverture sont autant d’origines de ces blessures et mutilations des dauphins… Le Ministre a aussi annoncé qu’une seconde ONG était nommée à la Commission nationale de capture des petits cétacés, la LPO, en plus de France Nature Environnement qui y est depuis le 1er janvier 2019. Et j’ai été nommé pour tenir ce poste afin de contribuer à la réflexion sur les différentes mesures à prendre, au côté de l’Etat, du ministère de la pêche et de l’agriculture, du ministère de l’Ecologie, des pêcheurs, des scientifiques de Pélagis et Ifremer. J’ai déjà participé à cette commission en tant que représentant de FNE, désormais j’y serai au titre de la LPO France dont je suis vice-président. Le Ministre souhaite que de nouveaux moyens soient mis en oeuvre avant la prochaine campagne de pêche de janvier 2020. Pour ma part, j’ai eu lors de cette visite la possibilité d’exprimer mes arguments sur la responsabilité de la pêche, dans ces captures de dauphins non accidentelles mais structurelles et j’ai le sentiment d’avoir été entendu ». Propos recueillis par Nathalie Vauchez
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