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« Dauphins sous surveillance » : récit filmé d’une inacceptable hécatombe
Cela fait trente ans que ça dure : les cadavres de dauphins communs échouent sur nos plages en hiver. Ici, sur l’Île de Ré, mais aussi ailleurs. Une tragédie silencieuse, sujet du dernier film du réalisateur rétais Jean-Roch Meslin
« C’est un sujet difficile », assène Gisèle Vergnon en guise d’introduction. « On voit souvent les dauphins morts sur nos plages. Il y a des choses à revoir dans les méthodes de pêche ». La Maire de Sainte-Marie donne le ton d’un film présenté en avant (avant)-première dans le cadre des Journées Eco-citoyennes de la commune.
« Merci d’être là », poursuit Delphine Pervilhac, productrice. Très important pour elle, ce film est « un vrai discours et montre un intérêt véritable pour l’environnement. Un film particulièrement réussi qu’elle est très contente d’avoir fait avec Jean-Roch Meslin ».
En quelques mots, le réalisateur résume son parcours : trente ans de documentaires animaliers, dix passés à suivre l’Observatoire Pélagis. Le sujet, il le connaît par coeur et des images de dauphins échoués il en a de toutes les plages de France. Pour lui, l’empreinte humaine est indéniable et « heureusement que les ONG sont là ». « C’est un film avec parti-pris », reconnaît-il, « mais il est juste ».
Place aux images
Certaines sont très difficiles, d’autres révoltantes, d’autres encore magnifiques de beauté et d’harmonie. Estelle (voix off du film présente dans la salle) raconte le terrible destin qui attend toujours plus de dauphins. « Un dauphin mort, c’est un peu de notre enfance qui s’en va » commente un promeneur sur une plage devant un dauphin échoué.
Nous suivons la découverte des cadavres, les relevés des équipes Pélagis, jusqu’au Centre de La Rochelle où sont étudiés les causes de décès mais aussi les dauphins euxmêmes. Etaient-ils malades, étaientils trop âgés pour vivre encore ? Non. Traces de blessures non naturelles, rostres brisés, ailerons tailladés où subsistent encore des morceaux de filets. Les preuves sont accablantes. 90% des dauphins échoués portent les marques de la pêche.
Nous embarquons sur l’immense navire de Greenpeace, lanceur d’alerte incontournable, dénonçant sans relâche les dérives humaines sur les océans.
Nous apprenons, les différentes sortes de filets, des monstres que l’on a peine à imaginer sur des bateaux immenses raclant inlassablement les fonds marins, comment les dauphins s’y retrouvent piégés. Terriblement instructif. Et puis les pêcheurs enfin. Plusieurs d’entre eux s’expriment. Certains travaillent à bord de chaluts pélagiques, d’autres de manière plus artisanale. Ils ne nient pas, reconnaissent le problème, refusant toutefois d’être pointés du doigt. Certains d’entre eux évoquent des solutions, comme ces effaroucheurs qui éloignent les cétacés des pièges mortels. Pas assez utilisés, pas obligatoires…
Au milieu de toutes ces images, de ces non réponses, de ces colères légitimes, de ces morts inutiles, un grand absent : l’Etat. A l’époque du tournage, Elisabeth Borne n’a pas donné suite aux sollicitations.
Immense, l’océan semble le royaume de l’impunité. Ecran noir. La salle est silencieuse quand la lumière revient.
Echange avec le public
Ils sont trois près à expliquer leur combat et à répondre à nos questions : Jean-Roch Meslin évidemment mais aussi Grégory Ziebacz, Correspondant Pélagis sur l’Ile de Ré (entre autres) et bien sûr Dominique Chevillon, Président de l’association Ré Nature Environnement et Vice- Président de la LPO, tous deux présents dans le film que nous venons de voir.
« As-tu de l’espoir ? » A cette question qui s’adresse à lui, Grégory Ziebacz s’avoue pessimiste car le ressenti dans le public est insuffisant. « Les gens ne sont pas informés, ils sont étonnés que cela existe ». « Cela fait 30 ans que j’ai de l’espoir », ajoute-t-il. « Le film dit tout » conclut Grégory qui peine à dissimuler son émotion.
« La solution est dans le métier »
Plus factuel, Dominique Chevillon « enlève l’affect » pour se faire péremptoire. Reconnaissant « des progrès dans le monde de la pêche car une bonne partie a envie que ça se termine », il pointe la responsabilité de l’Etat. « Aujourd’hui, en raison de pressions très fortes, les pêcheurs reviennent sur le sujet, commencent à accepter des scientifiques à leur bord ». « Mais il faut plus de maturité », continue-t-il, « la pêche est un monde à part et les bateaux font ce qu’ils veulent en pleine mer ». « Il y a les pêcheurs respectueux et les autres » continue le Président de Ré Nature Environnement. Mais il y a des solutions : « mettre des caméras, embarquer des contrôleurs ou même fermer la pêche sur les zones et aux époques où nos mers sont fréquentées par les dauphins ». « Une grosse pression est nécessaire » affirme-t-il. Et la pression est là, venant des 70 ONG rassemblées sur ce dossier.
De la responsabilité du consommateur
« Sacralisé, le poisson devient un mets rare et cher. Le consommateur a une responsabilité très forte », insiste Dominique Chevillon. « Il faut réduire sa consommation », continue-t-il, « et ne pas oublier que d’autres espèces sont aussi en souffrance car rejetées de la même façon, requins, raies, et même oiseaux », empêtrés dans des filets perçus comme autant de garde-manger géants.
Comment conclure simplement sur un tel sujet ? Par des chiffres : quand 70 dauphins s’échouent sur l’Ile de Ré, cela veut dire qu’ils sont plus de 10 000 à mourir puisque nombre de cadavres n’arriveront jamais sur les côtes. Et par les mots de Jean-Roch Meslin : « les dauphins, c’est l’arbre qui cache la forêt. Si on ne les sauve pas, on ne sauve pas le reste ». « Dauphins sous surveillance » est un film à voir, un film engagé. Cet article aussi. Mais de temps en temps, ça fait du bien.
« Dauphins sous surveillance » a vu le jour avec France 3 – Pays de la Loire (diffusion le 26 octobre) et Ushuaïa TV
Vendredi 25 septembre
C’est le jour où a été projeté le film « Dauphins sous surveillance » dans la salle des Paradis à Sainte-Marie. C’était aussi le jour de l’inauguration d’un chalut pélagique de 80 mètres battant pavillon français.
A noter que le 2 juillet 2020, le tribunal administratif a condamné l’Etat français face à une plainte du Sea Shepherd pour « carence » dans la gestion du dossier. Le même jour, Bruxelles a mis en demeure l’Etat français de trouver une solution à la hauteur.
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