Coup de tonnerre dans le ciel rétais
Vendredi 17 septembre 2021, le président de la commission d’appel d’offres de la CdC de l’île de Ré, Lionel Quillet, a informé les médias locaux de son intention d’adresser de façon imminente une lettre au Procureur de la République sur « l’existence de faits susceptibles de constituer un délit de tentative de favoritisme concernant le marché de gestion des ordures ménagères*, de la part de Jean-Paul Héraudeau, vice-président de la CdC en charge des OM et maire de La Flotte ». Ce mardi 21 septembre, Jean-Paul Héraudeau et son avocat, Maître Vincent Lagrave, annoncent porter plainte d’ici la fin de la semaine pour « dénonciation calomnieuse » contre Lionel Quillet
Ce marché public de 28 M€ sur sept ans constitue le plus important marché de la Communauté de Communes de l’île de Ré.
C’est entouré de six Maires de l’île de Ré, qui le soutiennent ainsi officiellement dans sa démarche, tout comme Gérard Juin absent pour convenance personnelle, ainsi que par le directeur général des services et les directrices de l’environnement et juridique de la Communauté de Communes que le président de la commission d’appel d’offres, Lionel Quillet, a souhaité expliquer sa démarche à la presse.
« Précédemment géré par l’Entreprise Chevalier, le marché avait été gagné en 2015 par la Coved. La notification du nouveau marché a été lancée le 3 novembre 2020, il a été confié à une AMO (Assistance de maîtrise d’ouvrage – NDLR), la société Atlance, cabinet extérieur réputé (pour un coût de 100 K€ – NDLR), sous la présidence de Jean-Paul Héraudeau qui a participé à l’élaboration du cahier des charges de novembre à avril 2021 et l’a validé, avec une pondération de 50 % pour la note technique et 50 % pour la note financière, avec pour objectif comme pour tout marché public de retenir le ‘mieux disant’, qui n’est pas forcément le moins cher » a expliqué Lionel Quillet.
Chronologie des faits
« Je lui ai donné carte blanche, comme je l’avais fait avec Patrick Rayton pour le précédent appel d’offres, il s’agit d’un marché classique avec quelques spécificités. Il a été publié le 4 juin 2021 et deux entreprises y ont répondu. Leurs offres ont été analysées par le cabinet en juillet, pour une CAO (commission d’appel d’offres) fixée le 13 septembre 2021. Jean-Paul Héraudeau a exercé des pressions sur les services de la CdC, a remis en cause leur travail ainsi que celui de l’AMO, parce que son analyse ne donnait pas le résultat escompté, les résultats sont très serrés. La pression a été telle que nos directeurs de services ont demandé d’exercer leur droit de retrait et évoqué leur démission. Jean-Paul Héraudeau a des liens anciens et connus avec un salarié de l’une des deux entreprises concurrentes. La pression est montée le week-end du 11 & 12 septembre au cours duquel il a informé les directeurs des services de la CdC que si l’analyse était confirmée dans ce sens, il démissionnerait. Il a remis cette lettre avant même que la CAO n’examine l’analyse d’Atlance. Je n’ai jamais vu en 25 ans quelqu’un remettre sa lettre de démission, comme il l’a fait, avant une CAO. Je lui ai dit qu’en aucun cas nous ne changerions l’analyse du cabinet Atlance, qui ne présume d’ailleurs pas de la décision finale prise par la CAO qui est souveraine, même si c’est très rare qu’une CAO aille à l’encontre de l’analyse de l’AMO, à laquelle on fait appel justement pour être au-dessus de tout soupçon et se couvrir juridiquement. La CAO reste toutefois souveraine. »
La CAO qui s’est tenue lundi 13 septembre 2021 a pu étudier deux autres marchés ayant trait à la communication, cet incident qualifié par les observateurs de « violent » n’intervenant qu’ensuite, avant que ne commence l’examen de l’analyse du marché des OM. Outre les deux protagonistes, étaient présents Danièle Pétiniaud-Gros, Patrice Déchelette et Lina Besnier, Patrick Rayton, également élu de la CAO n’ayant pu se libérer. Les vice-présidents présents confirment qu’ils n’avaient aucune information sur l’analyse réalisée par Atlance qu’ils s’apprêtaient à découvrir et que le directeur des services de la CdC a ouvert la lettre de démission de Jean-Paul Héraudeau avant même l’étude du dossier. « Les élus ont été pris en otages, ils n’étaient plus en mesure de délibérer. La séance a été suspendue puis ajournée, elle n’est pas entachée juridiquement et se tiendra le 11 octobre 2021. J’espère que la DGCCRF sera présente. » a déclaré Lionel Quillet.
Signalement au Procureur : « L’intégrité passe avant tout »
Après cet incident, Lionel Quillet a rencontré le Secrétaire général de la Préfecture, Pierre Molager, mardi 14 septembre « pour lui signaler cette entrave au bon fonctionnement de la CAO puis le Procureur de la République le 16 septembre, afin de signaler la remise en cause par Jean-Paul Héraudeau du travail de l’AMO ainsi que celle de la probité de deux directeurs des services de la CdC. Il y a un faisceau d’indices que j’ai présentés au Procureur, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale** Je lui adresse ce jour une lettre reprenant tous ces éléments », a-t-il annoncé lors de sa conférence de presse.
« Le procureur décidera s’il ouvre ou non une enquête. Je souhaite qu’il y ait une enquête afin de faire toute la lumière dans cette affaire. En attendant, j’ai retiré à Jean-Paul Héraudeau ses délégations de vice-président de la CdC. Il reste par ailleurs membre de la CAO pour laquelle il a été élu. »
Le conseil communautaire prévu jeudi 23 septembre 2021, à l’ordre du jour duquel figurait l’attribution de ce marché public, a été reporté au jeudi 30 septembre. « J’y présenterai d’ailleurs le rapport de la Chambre Régionale des Comptes qui a disséqué toute l’exploitation antérieure et estime qu’il n’y a pas de problème. Un autre conseil communautaire, fixé au 21 octobre, attribuera le marché public des ordures ménagères. »
Interrogé par les médias présents sur l’opportunité de cette action auprès du Procureur dans un contexte politique déjà compliqué, Lionel Quillet a expliqué que « l’intégrité passe avant tout autre intérêt, y compris l’intérêt général », qu’il souhaitait « protéger ses services ». « On peut reconnaître une chose, c’est que je n’y ai aucun intérêt politique, que j’ai tout à y perdre et que c’est désastreux, mais je n’avais pas le choix. » Interrogés par nos soins lors de cette conférence de presse, les élus de la CAO ont expliqué qu’ils estiment que ce n’est pas opportun de faire appel à un autre cabinet externe pour une nouvelle analyse des offres, d’autant plus au regard du coût de la prestation (100 K€).
Plainte pour dénonciation calomnieuse : « Les tensions ne doivent pas perturber l’intérêt général »
Interrogé dès vendredi 17 septembre au soir par Ré à la Hune, Jean-Paul Héraudeau a déclaré se « mettre à la disposition du Procureur à sa convenance et dans les meilleurs délais », nous précisant ensuite ce mardi 21 septembre : « J’ai appris dans les colonnes de Sud-Ouest que le président de la CdC a fait un signalement auprès du Procureur de la République et a tenu une conférence de presse. Il y a là une volonté d’instrumentalisation judiciaire et il porte atteinte à ma réputation. Il s’agit d’une grossière manipulation politicienne, je vais porter plainte contre lui. Je n’ai eu aucune explication, j’ignore ce que le président de la CdC me reproche. Il m’a nommé vice-président pour ma compétence en matière de gestion des déchets, dont j’ai été en charge entre 2001 et 2008 avant ensuite de participer en tant que membre de la Commission des déchets. J’ai relevé des incohérences dans le rapport d’analyse des offres, j’ai alerté sur mes interrogations. J’ai donné ma démission de mon mandat de vice-président avant le vote de la CAO afin de permettre à d’autres de retenir le candidat de leur choix. Je n’ai pas fait de pression sur la CAO, je n’ai pas été en contact avec Atlance, je ne vois pas où est le problème juridique qui me concerne. J’estime que les tensions entre les hommes ne doivent pas perturber l’intérêt général. »
Joint par nos soins ce 21 septembre 2021, Maître Vincent Lagrave nous confirme qu’il va porter plainte au nom de son client, Jean-Paul Héraudeau, « d’ici la fin de la semaine, pour dénonciation calomnieuse, la conférence de presse caractérisant l’intention de nuire. En général, les enquêtes préliminaires se font dans le secret elles ne sont pas portées sur la place publique. C’est au Procureur de déterminer si les faits signalés sont sérieux ou imaginaires. Le fonctionnement de l’institution pour l’analyse des offres n’a pas été entaché, mon client a le droit de ne pas être d’accord avec l’analyse du cabinet, ou alors la CAO n’est là que pour entériner un choix pris par ailleurs, ce qui ne serait guère démocratique. »
Jean-Paul Héraudeau nous a déclaré qu’il ne se rendra pas à la CAO du 21 octobre et laissera à son suppléant le soin de sélectionner l’un des deux candidats avec les autres élus de la CAO, mais qu’il continuera de siéger au Conseil communautaire, comme simple délégué : « Je suis toujours intercommunal, je ne remets pas tout en cause pour une engueulade, je resterai fidèle à ma ligne, le territoire ne mérite pas tout cela, je trouve tout cela bien dommage et je m’en serais bien passé. »
Si la rupture est consommée entre les deux principaux protagonistes de ce dossier, qui se sont présentés ensemble il y a quelques mois aux élections départementales, au moins se rejoignent-ils sur le fait que « tout cela n’est politiquement pas bon et ne sert pas l’intérêt général de l’île de Ré… ».
Le parquet de La Rochelle ayant dès le 22 septembre ouvert une information judiciaire du chef d’atteinte à l’égalité des candidats dans les marchés publics, la suite relève désormais de la justice, qui devra démêler le vrai du faux et se forger une intime conviction à partir des éléments que présenteront les deux élus et leurs avocats.
Informations et propos recueillis par Nathalie Vauchez
*Il s’agit pour être précis du « Marché de collecte des ordures ménagères et assimilés et d’exploitation des déchèteries du centre de transfert »
**L’article 40 du Code de procédure pénale stipule : « Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l’article 40-1. Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »
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