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Coup de chaud sur les huîtres ?
Entre les canicules de cet été, la chaleur de l’automne et la sécheresse interminable, les huîtres sont soumises à des conditions extrêmes. Si les conditions furent plutôt favorables en mer, le stockage dans les claires pose d’immenses défis. Explications.
S’il y a bien une espèce sensible aux conditions environnementales, et particulièrement à la qualité et à la température de l’eau, c’est bien l’huître. Filtrant dix litres d’eau par heure, l’huître vit en symbiose avec son milieu qui, en retour, a des conséquences directes sur son déve- loppement et sa reproduction. « Leur métabolisme varie en fonction de la température extérieure car elles ne peuvent pas, contrairement aux mammifères, réguler leur température », explique Pierrick Barbier, référent scientifique au Centre pour l’aquaculture, la pêche et l’environnement de Nouvelle-Aquitaine (Capena). Si le bassin Marennes-Oléron est mondialement connu pour ses huîtres, c’est que le petit mollusque y a trouvé des conditions optimales : température assez constante avec un réchauffement l’été déclenchant le cycle de la reproduction, apports en eau douce des fleuves Seudre et Charente charriant les nutriments indispensables à sa croissance, courantologie favorable à l’abri des pertuis… L’huître charentaise est ainsi une des rares en France à se reproduire massivement dans son milieu naturel, preuve de cette adaptation parfaite. « Cela permet le captage important du naissain, contrairement à la Normandie ou la Bretagne où la température de l’eau est froide trop longtemps », explique Pierrick Barbier.
Et quand les épisodes caniculaires se multiplient, comme cet été, et que la sécheresse n’en finit plus ? « En fonction de la température, l’huître va plus ou moins filtrer et donc grandir. Dans les zones où elle se reproduit naturellement, comme sur nos côtes, c’est surtout la phénologie (1) de la reproduction qui est modifiée », évoque le chercheur. Cet été, le Capena a ainsi observé un premier cycle de reproduction précoce en juin, suivi de deux autres mi-juillet et mi-août. Si la première ponte de juin n’a pas forcément accouché de grosses larves, celles de conditions environnementales, juillet et août furent beaucoup plus et particulièrement à la qualité prolifiques. « Nous avons eu de belles cohortes avec un développement vers le dernier stade larvaire, ce qui a entrainé un captage assez important de naissain », commente Pierrick Barbier.
Naissain disparate
Sur l’île de Ré, située en périphérie nord du bassin charentais, on a aussi observé de belles quantités de naissain, mais pas partout. « Sur mes collecteurs au large de Sainte-Marie, c’est très correct, un peu moins bien que l’an dernier qui était une année exceptionnelle. Par contre, du côté de La Flotte, j’ai des collègues qui n’ont rien eu du tout ! », confie Brice Kuhnle, qui vient juste reprendre la cabane du Grouin à Loix. Sur ses collecteurs de l’île de Ré, le Capena a en effet relevé une dizaine d’individus par coupelle à La Flotte, contre 70 juvéniles par coupelle à Sainte- Marie, avec deux tailles de naissain différentes, allant du millimètre à plus de douze millimètres. Sur l’île, la médiane se situe habituellement à 22 individus par coupelle. Comment expliquer cette disparité entre le nord et le sud de l’île ? « Il y a des facteurs environnementaux et larvaires complexes que nous sommes en train d’analyser. C’est quelque chose de multifactoriel, c’est un monde de nuance où ce n’est jamais tout noir ou tout blanc », commente Pierrick Barbier.
Température de l’eau défavorable ? Conditions de vents et de courants qui ont pu disperser les larves ? Influence des conditions environnementales de la baie de l’Aiguillon ? Une chose est sûre : sur l’île de Ré, où les conditions océaniques sont plus froides, la ponte a toujours lieu un peu plus tard que dans les eaux plus chaudes du bassin de la Seudre, ce qui leur laisse un peu moins de temps pour s’engraisser.
Petites mais charnues
Pour assurer sa croissance, une huître a besoin de phytoplancton, qui se développe particulièrement avec les forts taux d’ensoleillement : la météo depuis le printemps a donc potentiellement offert aux coquillages une nourriture riche pour se développer. A contrario, le faible débit des fleuves comme la Seudre et la Charente, dû à l’absence de pluies, n’a sans doute pas permis d’apporter les nutriments issus du lessivage des sols sur les bassins versants. Sur l’île de Ré, Tony Brin, producteur à La Couarde, pense que la sécheresse, associée aux faibles vents de nord- ouest, n’ont pas fourni les conditions idoines au phytoplancton. « Ici, nous n’avons pas d’apport d’eau douce par les fleuves comme les estuaires de la Charente ou de la Seudre. Si nous n’avons pas de pluie, comme ces derniers mois, nous n’avons pas du tout d’eau douce. Celle-ci permet au phytoplancton de se régénérer, et quand il n’y en a pas, le milieu s’appauvrit et les huîtres sont en première ligne ». Sur son exploitation, il observe des huîtres charnues mais de petits calibres, et craint une pénurie d’huîtres de tailles n°2 et 3 pour les fêtes de fin d’année. De son côté, Philippe Morandeau, président du Comité Régional de la Conchyliculture 17, a constaté une pousse « très moyenne, certainement due à la sécheresse », et surtout assez disparate en fonction des secteurs. « Dans les bons coins comme les bancs de l’Anouroux et de Julliard, au cœur du bassin, les ostréiculteurs ont fait de la qualité. Mais c’est assez habituel, car la courantologie y est favorable ».
Claires en surchauffe
D’après les premières données (2) satellitaires, la chlorophylle-a, cette micro-algue de couleur verte favorable au développement du phytoplancton, s’est pourtant développée de façon assez habituelle sur nos côtes charentaises. Malgré le débit très faible des fleuves, la sécheresse n’aurait donc pas eu de conséquences décisives sur la nourriture disponible en mer. « C’est sûr que l’apport continental d’eau douce a été assez limité cet été. Mais ce manque à gagner a probablement été compensé par une ponte précoce. Comme les huîtres ont pondu très tôt, cela leur a donné encore plus de temps pour constituer des réserves et faire de la bonne chair », estime Pierrick Barbier. Le chercheur rappelle que les nutriments issus des fleuves n’ont pas qu’un impact favorable sur la santé des huîtres. « Qualitativement, cet apport n’est pas si important que ça, d’autant que ces nutriments sont aussi associés aux fongicides et pesticides issus de l’agriculture et du lessivage des sols. L’impact des fleuves peut être aussi bien positif que négatif ».
Une chose est sûre : en mer, milieu relativement stable où les écarts thermiques restent modérés, les huîtres ont semble-t-il relativement bien supporté les effets de la chaleur et de la sécheresse. « Sur les parcs en mer, c’est pas trop mal », confirme le Loidais Brice Kuhnle. Dans les claires, en revanche, c’est une toute autre histoire. « Sur le peu d’huîtres qui ont été mises en claires, il y a eu un pourcentage de mortalité important. Les bassins étaient encore à 23° fin octobre, c’est beaucoup trop chaud », confirme le président du Comité Régional de Conchyliculture, Philippe Morandeau. Sur l’île de Ré, Tony Brin, qui vend ses huîtres en gros, a du mal à écouler son stock pour les fêtes de fin d’année. « Mes clients ne peuvent pas stocker en claires car l’eau est trop chaude. Ceux qui ont pris le risque ont eu énormément de mortalité. Je ne sais pas comment on va rattraper le retard, on tourne en rond… »
Migration vers le nord ?
Outre la température de l’eau, la salinité excessive des claires, due au phénomène d’évaporation, ne plait pas aux bivalves. « Quand elles passent d’une salinité de 35 pour 1000 en mer (3) à plus de 42 pour 1000 dans les claires, les huîtres ne le supportent pas », confirme l’ostréiculteur loidais Brice Kuhnle, dont les huîtres (bio) naturelles ont un cycle de 3 ans en mer puis 6 mois en bassin avant leur commercialisation. Grâce à ses six hectares de bassins grands et profonds, il a réussi à limiter la casse, contrairement aux propriétaires de petites claires où « il y a eu beaucoup de mortalité ». « Par contre, mes huîtres n’ont pas poussé, elles ont végété. Elles ont actuellement la même taille qu’en juillet, et c’est la même chose pour les crevettes impériales, que je cultive dans les mêmes bassins », déplore l’ostréiculteur.
La seule solution consiste à renouveler l’eau à l’occasion des grandes marées, afin de faire redescendre les claires en température et en salinité. « On a profité des malines d’octobre pour tenter de remettre la machine en marche », explique Brice Kuhnle. A la Couarde, Tony Brin passe son temps à se battre avec ses quinze hectares de marais, et à renouveler l’eau dès que possible pour les faire descendre en température. Vues les conditions actuelles, on est encore loin de la température « idéale » de 13/14° dans les claires. Un autre paramètre entre en ligne de compte : entre 15 et 24°, les huîtres sont au maximum de leur capacité de filtration. « Si on charge à un kilo 2 par m , comme le cahier des charges l’impose pour les fines de claires, les huîtres suffoquent. Dans mes marais, j’ai chargé à seulement 100 grammes par m2 pour limiter ce risque », explique Brice Kuhnle.
Dorénavant, les professionnels misent sur l’arrivée de la pluie et sur-tout du froid, synonyme de repos biologique pour les huîtres. A terme, avec ces saisons de moins en moins marquées, l’activité des coquillages pourrait être durablement contrariée. « Depuis quelques années, on observe un changement du milieu, avec des huîtres de plus en fragiles », constate l’ostréiculteur rétais Tony Brin. Faut-il y voir une conséquence de l’acidification des océans, qui contraint les huîtres à dépenser plus d’énergie pour fabriquer leur coquille (et qui contribue à les affaiblir) ou l’érosion de la biodiversité, qui rend les écosystèmes moins résilients ? Avec le changement climatique, on pourrait également assister à la propagation de certains virus, plus virulents dans une eau plus chaude, et à une migration des huîtres vers le nord, comme c’est le cas pour d’autres espèces. « On voit de plus en plus de captage de naissain en Bretagne, notamment dans la rade de Brest où la température de l’eau se réchauffe », confie Pierrick Barbier. Au Royaume-Uni et en Mer du Nord, des chercheurs ont même commencé à travailler sur des modèles de captage de naissain dans le contexte du changement climatique, persuadés que l’ostréiculture y sera possible dans 20, 30 ou 40 ans…
1) Variations des phénomènes périodiques de la vie animale et végétale, en fonction du climat.
2) Les analyses de la qualité de l’eau sont en cours au Centre pour l’aquaculture, la pêche et l’environnement de Nouvelle-Aquitaine (Capena), basé au Château-d’Oléron.
3) Chiffres exprimés en grammes. L’eau de mer contient en moyenne 35 grammes de sel par kilo d’eau.
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