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Collecter la mémoire de Xynthia pour retrouver la culture du risque
Avec le projet « Submersion et résilience : la mémoire de Xynthia », l’association Cronos propose de recueillir et de valoriser auprès du grand public les témoignages liés à la tempête de février 2010.
C’était il y a quatorze ans. Dans la nuit du 27 au 28 février 2010, la tempête Xynthia frappait le littoral atlantique, laissant derrière elle cinquante-trois morts, plus de cinq cent mille sinistrés et des paysages de désolation. « La mémoire des submersions s’est dissipée ces soixante dernières années. Cela fait partie de ce qui a conduit à la catastrophe », explique Yann Leborgne, docteur en géographie sociale et culturelle. C’est pour éviter cette « perte de mémoire » que l’association Cronos, créée par un collectif de chercheurs en 2021, a initié le projet « Submersion et résilience : la mémoire de Xynthia »1. Le 17 février dernier, l’Ethnopôle Humanités Océanes, partenaire rochelais du projet, organisait au Centre Intermondes de La Rochelle une journée d’études afin de lancer officiellement cette initiative et la présenter au public.
Dans les prochains mois, une équipe pluridisciplinaire va engager un important recueil de témoignages oraux, audiovisuels et photographiques de la tempête Xynthia et de ses conséquences sur tout le littoral, entre l’estuaire de la Loire et l’estuaire de la Gironde. Autant de pièces, qui, telles un puzzle, permettront d’alimenter la mémoire collective face au risque de submersion marine. Cette initiative, qui se déroulera pendant trois ans (2024-26) bénéficie aujourd’hui du soutien de la Fondation de France, du ministère de la Culture et de plusieurs collectivités territoriales (voir encadré).
Le récit de Lionel Quillet
Pour amorcer ce travail de mémoire, une cinquantaine de témoignages – sous forme d’entretiens filmés – ont été collectés lors d’une enquête préliminaire réalisée en 2022. Lors de la présentation du projet au public, quelques extraits de ces témoignages ont été diffusés. Parmi eux, celui du surveillant du port de Fromentine, qui avait constaté qu’un phénomène inhabituel se préparait. « En tant qu’ancien marin-pêcheur, il y a des choses qu’on sent. Le samedi soir, il faisait mauvais temps et la mer était bizarre. Comme on dit chez nous, on entendait la mer ‘brailler’. Le temps n’était pas normal, on sentait qu’une dépression arrivait car il s’est mis à faire chaud d’un coup. Mais ce n’était pas vraiment une tempête, c’était un autre phénomène… »
Sur le récit de l’évènement, le témoignage de Lionel Quillet, maire de Loix, est glaçant. « Ma maison est en limite sud du village, sur le point bas. Comme toujours quand il y a un coup de vent, on a fait dormir les enfants ensemble dans la chambre d’à côté. Vers 3h30, on entend avec ma femme un ‘grouillement’ d’eau énorme comme une cascade. On se lève, c’est l’incompréhension totale car il fait nuit. Mais on voit les baies vitrées tordues par l’eau, il y a 1,5 mètre d’eau derrière et tout lâche d’un coup. Un flot d’eau arrive extrêmement rapidement, on voit le frigidaire américain qui commence à flotter et tout qui part dans tous les sens. Une sensation de vitesse, de surprise, de froid (…) On fonce vers la chambre des enfants, on a du mal à ouvrir la porte. Le plus grand, qui a 14 ans, est sur le lit. Le petit, qui a 4 ans, a été mis par terre sur un matelas pour la nuit. C’était une erreur, mais on ne pouvait pas savoir qu’il y aurait de l’eau. Et il a disparu… Il fait nuit, il y a de l’eau partout et on ne trouve pas le petit. Soudain, Olivier, l’aîné, le voit en train de nager entre deux matelas, donc il le ‘pêche’ ». En prévision du coup de vent, Lionel Quillet avait eu le réflexe de laisser le volet de la chambre des enfants ouvert, qui servirait de sortie de secours en cas de besoin. « Mon arrière-grand-mère, qui était rétaise, m’a toujours dit quand j’étais gosse : le jour où il y a une tempête, laisse toujours un volet ouvert, et toujours celui du fond ».
Un silence de mort
Après la catastrophe, plusieurs témoins racontent le « silence total », seulement interrompu par les sirènes des pompiers, et une perte totale de repères, avec « l’eau pour seule ligne d’horizon », des voitures « plus à leur place » et des toitures qui émergent des flots. Sebastien Pueyo et Guillaume Métayer, agents responsables de la gestion de crise et de la protection littoral en Charente- Maritime en 2010, se souviennent avoir vu un trait de côte « tel qu’il pouvait être il y a quelques siècles, sans aménagements de l’Homme », avec des étendues d’eau partout. Ils questionnent la localisation de certaines constructions en Charente- Maritime, un département « où l’Homme a grignoté sur la mer ». Territoire « très attractif », le littoral charentais est de plus en plus habité par « des résidents secondaires qui ne connaissent pas le territoire dans lequel ils vivent ». On touche là aux premières leçons de l’évènement, et Maxime Bono, maire de La Rochelle en 2010, livre un témoignage passionnant sur la culture du risque et la disparition d’une partie de la mémoire. « On a non seulement une population qui ne connait plus les enjeux liés au littoral, mais même des élus qui n’en sont pas issus ». Dans un contexte où la transmission ne se fait plus, comme autrefois, par les grands-parents, il est donc important selon Maxime Bono, d’éduquer les gens. « Il faut réactiver une lecture du territoire plus sensible que réglementaire, en faisant confiance par exemple à des artistes ou à la culture ». Ces premiers témoignages ne sont que l’amorce du travail de collecte, qui va réellement débuter ces prochaines semaines.
Chercheurs pluridisciplinaires
Parmi les chercheurs associés au projet Cronos, certains relèvent de l’évidence, comme Yann Vincent, enseignant-chercheur à l’université d’Angers et spécialiste du raz-demarée de 1924, ou encore Sylvie Grenet, archiviste de formation et qui sera en charge du « recollement » de la documentation. D’autres sont plus iconoclastes, comme Benjamin Caillaud, « artiste-historien » qui cherchera à collecter les photos amateures qui témoignent « du ressenti de la catastrophe », afin de mettre en récit l’évènement Xynthia. Il y a aussi le psychiatre Andrew Laurin, spécialiste du psychotraumatisme et habitué à traiter dans son cabinet la question « du refoulement », avec des victimes souvent condamnées à reproduire les mêmes erreurs. Il les accompagne afin de réagir différemment face à une même situation et faire de l’évènement traumatique une « expérience et une sorte de force à l’avenir ». S’il s’est associé au projet, c’est pour comprendre ce qui se passe au niveau collectif lors d’un évènement traumatique comme Xynthia. Autant de compétences pluridisciplinaires qui s’inscrivent dans une démarche où « prévenir les catastrophes ne nécessite pas seulement d’en avoir connaissance sur le plan intellectuel, mais d’investir également l’expérience sensible d’un vécu qui nous met intimement en relation avec le monde qui nous entoure ».
Un golf à la Faute
Justement, Annette Anil, membre de l’Association des victimes de la Fautesur- Mer (AVIF), a également accepté de participer au projet pour lui apporter cette contribution « humaine ». « J’ai constaté que tous ces chercheurs ont souvent des idées fantastiques, mais ils les expriment avec leur propre vocabulaire. L’idée est donc de transmettre ces informations de façon plus simple et accessible au plus grand nombre ». Chacun aura été marqué par son intervention, elle qui habitait dans la « cuvette de la mort » où 29 personnes sont mortes noyées. Aujourd’hui, un totem de 2,80 mètres de haut, symbolisant la hauteur de l’eau pendant la tempête Xynthia. A la place du lotissement, entièrement rasé depuis, on apprend que les élus ont décidé de construire…un golf ! Avec l’association des victimes, elle se bat pour installer un panneau explicite au pied du totem. « On voudrait simplement une image ‘avant’, lorsqu’il y avait le lotissement, et une image ‘après’, avec le golf. Car aujourd’hui, les gens ne comprennent pas »2.
Paradoxalement, on comprend également que ce travail mémoriel ne fait pas toujours l’unanimité, notamment du côté de certains acteurs économiques, surtout lorsqu’il s’agit de sensibiliser tous les usagers du territoire à ce risque, y compris les touristes. « Sur le territoire, il y a des enjeux très très forts et ça s’est vu dans les échanges qu’on a eus. Certains nous ont clairement répondu que touristiquement, ce n’était pas bon », confie Yann Vincent. A méditer.
1 – Le projet a été conçu entre 2021 et 2023 aussi bien par des associations d’habitants (dont l’association des victimes de Xynthia), des représentants de collectivités locales et territoriales et d’institutions culturelles et patrimoniales que par des chercheurs.
2 – Le golf a été inauguré en 2017. Des « arbres-mémoires » ont été plantés à chaque endroit où il y a eu des maisons endeuillées.
De nombreux acteurs
Ce projet est co-financé par la Fondation de France, le ministère de la Culture, la Région Nouvelle- Aquitaine, la Région Pays de la Loire, le Département de la Vendée. Par ailleurs, de nombreuses organisations et associations participent actuellement à sa mise en oeuvre : les universités d’Angers et de Poitiers, l’Ethnopôle Humanités Océanes (La Rochelle), le Parc Naturel Régional du Marais Poitevin, l’Association des Victimes de La Faute et de ses Environs (AVIF), France Nature Environnement 17, France Nature Environnement 85, CPNS Saint-Hilaire de Riez, le Centre Vendéen de Recherches Historiques ou encore l’Association pour la Villa Médicis du Littoral.
Témoignages
Si vous souhaitez témoigner de votre vécu de la tempête Xynthia, partager des photographies, ou encore des films amateurs ou autres documents inédits, n’hésitez pas à envoyer un mail à association.cronos@gmail.com
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