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Ces stocks de nitrate d’ammonium qui inquiètent
Deux sites de La Pallice, classés Seveso, abritent des stocks d’engrais à base de nitrate d’ammonium, matière soupçonnée d’être à l’origine de l’explosion sur le port de Beyrouth le 4 août dernier. Si les services de l’Etat se veulent rassurants, l’association Respire tire la sonnette d’alarme. Explications
Suite à l’explosion de Beyrouth le 4 août dernier, les regards médiatiques se sont naturellement tournés vers les stocks de nitrate d’ammonium en France, produit à l’origine de l’accident au pays du Cèdre. La Rochelle, qui compte sept des treize sites Seveso du département (voir encadré), tous situés dans le secteur de La Pallice, n’a pas échappé au phénomène. « Au départ, La Rochelle n’apparaissait pas sur les cartes, nous étions un peu surpris, mais cela a été corrigé depuis », explique Raymond Bozier, président de la l’association Respire. Marquée comme beaucoup par l’accident de l’usine AZF à Toulouse en 2001 – l’explosion de 300 tonnes de nitrate d’ammonium -, l’association alerte depuis ses débuts (2009) sur ce risque à La Rochelle. En Charente- Maritime, deux sites Seveso, situés à la Pallice, stockent des engrais à base de nitrate d’ammonium : PCE (Poitou-Charentes Engrais) Amaltis et Borealis L.A.T. France. Poitou- Charentes Engrais a récemment été classé Seveso seuil bas, ce qui signifie que l’administration l’autorise à stocker entre 1250 tonnes et 4999 tonnes de nitrate d’ammonium1.
Jointe par téléphone, l’entreprise a refusé de nous fournir les chiffres exacts : Nicolas Fontaine, responsable « sécurité, qualité environnement » de PCE Amaltis évoque des questions de « sécurité » et d’éventuels « actes de malveillance », tout en soulignant que ces 1250 tonnes représentent une « autorisation administrative », mais pas forcément une réalité quotidienne. Autrement dit : les stocks varient en fonction des arrivages (par camion et par train) puis des livraisons par camions de l’ammonitrate aux coopératives agricoles de Nouvelle- Aquitaine. Nicolas Fontaine, ajoute que l’entreprise est « contrôlée régulièrement par la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) et nous respectons systématiquement leurs prescriptions et les normes de sécurité qui nous sont imposées ».
L’autre entreprise concernée, Borealis, est située sur le terrain voisin de la première, à Chef-de- Baie. Classée Seveso seuil haut, elle a l’autorisation de stocker plus de 5000 tonnes. « Au minimum, ça fait donc 6250 tonnes qui sont stockées à La Pallice », calcule Raymond Bozier. Soit trois fois plus que les quantités évoquées suite à l’explosion de Beyrouth (2700 tonnes). Dans l’état actuel des choses, et tant que l’enquête n’a pas fait la lumière sur les conditions de stockage à Beyrouth et la nature exact du produit, la prudence reste de mise, même si ces chiffres ont de quoi faire froid dans le dos. De par la proximité des deux entreprises, le président de Respire, estime « que si ca pète chez l’une, ça pètera chez l’autre » : « c’est de la négligence, c’est de la folie. La Pallice est potentiellement une bombe ».
Retour d’expérience de Beyrouth
Du côté de la DREAL, il n’y a rien de comparable avec ce que le monde a observé, ébahi, à Beyrouth. « La France a une réglementation sur les stockages d’engrais parmi les plus strictes d’Europe, notamment en matière de fractionnement en îlots de taille réduite et séparés entre eux pour éviter qu’une réaction en chaîne conduise à un phénomène accidentel de masse, de distanciation avec les sources de chaleur ou avec les stockages d’autres produits susceptibles de conduire à un incendie important ou encore avec les sources de contamination (huiles, hydrocarbures, pesticides, carton, carburant, etc.) qui ont tendance à réduire la stabilité des nitrates d’ammonium ». Même son de cloche du côté de PCE Amaltis, qui assure néanmoins que les conclusions de l’enquête seront scrutées de près. « Il y a toujours un Retour d’expérience (REX) lors d’un tel accident. Donc si l’Etat nous demande d’améliorer certaines choses, bien-sûr que nous le ferons », explique Nicolas Fontaine.
Plus globalement, c’est le risque d’une réaction en chaîne qui inquiète Respire, alors que cinq sites Seveso sont regroupés les uns à côtés des autres, et le sixième un peu plus loin à Port-Neuf. « Il y a trop de sites sur un si petit périmètre. Sur une ligne de 500 mètres, on a des énormes cuves d’hydrocarbures, des silos, des engrais. Et comme si cela ne suffisait pas, les industriels ont décidé d’implanter une station de gaz naturel à l’entrée de la route de l’Houmeau. C’est une ligne à grand risque », alerte Raymond Bozier. L’accident de Lubrizol à Rouen a une fois de plus révélé, selon le président de Respire, l’inconséquence des Plans de prévention des risques technologiques (PPRT), censés protéger les riverains des sites Seveso. « Celui de Rouen estimait que quatre maisons étaient concernées par ce risque. La municipalité avait même envisagé de créer un éco-quartier à proximité. Vous avez vu le résultat ? L’accident a totalement échappé au périmètre des PPRT ». Parlant de « connivence » entre les industriels, les collectivités locales et l’Etat, Raymond Bozier estime que l’économie prévaut sur la sécurité des riverains.
« Toute la ville en prendra un coup »
Par ailleurs, l’Etat manquerait de contrôleurs suite à des coupes budgétaires, et les contrôles (une fois par an pour les sites Seveso seuil « haut », tous les trois ans pour les sites seuil « bas ») ne seraient pas assez contraignants. « Les industriels sont prévenus plusieurs semaines à l’avance, ce qui leur laisse les temps de tout nettoyer avant les visites, alors qu’il devrait s’agir de contrôles inopinés2 », pointe Raymond Bozier. Visiblement consciente du problème, la DREAL nous fait savoir « qu’une augmentation du nombre de contrôles est en cours » et que les effectifs des inspecteurs des installations classées « seraient augmentés de 50 personnes dès 2021 » suite à l’accident de Lubrizol. Pas vraiment de quoi rassurer Raymond Bozier : « A partir de ce que je sais, je préférerais ne rien savoir. Malheureusement, je suis trop informé pour rester tranquille. On attend la catastrophe en espérant qu’elle ne vienne jamais. Si un jour il y a une explosion, toute la ville de la Rochelle en prendra un coup dans le nez, on l’a vu en 2001 à Toulouse… »
(1) La Dreal, qui n’a pas donné suite à notre demande d’interview, nous a fourni une notice technique de deux pages avec quelques explications. Elle précise que les stockages de nitrate d’ammonium concentré relèvent du statut SEVESO seuil bas à partir de 350 tonnes de nitrate d’ammonium et du statut SEVESO seuil haut à partir de 2500 tonnes.
(2) La Dreal précise que « cette année, ces deux établissements ont fait l’objet d’une visite d’inspection. Chez PCE, cette visite a été réalisée de façon inopinée, dans le cadre d’une action nationale visant à vérifier la disponibilité de l’état des stocks, suite au retour d’expérience de l’accident survenu sur le site de Lubrizol en 2019 ». Aucune des deux entreprises n’a fait l’objet, ces deux dernières années, de mise en demeure ou de sanctions administratives.
Respire écrit au préfet
En date du 7 août, l’association Respire a écrit au Préfet de Charente-Maritime pour lui faire part de ses préoccupations quant à la concentration de nombreux sites Seveso à proximité des habitations, parlant de « cocktails explosifs ». Elle demande la mise en place d’un Plan global de prévention des risques technologiques, la prise en compte des effets dominos en cas d’accident sur un site, l’éloignement de certaines activités de tout habitat (à l’instar de ce qui a été fait en France pour la pyrotechnie), l’amélioration de l’information des populations et la nomination de représentants de l’association dans les commissions de suivi de chaque site (elle ne siège qu’à deux commissions actuellement).
Les sites Seveso de La Rochelle
Six sites, dont cinq établissements sont classés seuil « haut » : Borealis L.A.T France (engrais), SDLP et SDLP Fief de la Repentie (liquides inflammables), SISP (liquides inflammables), Solvay (site chimique) et Picoty (liquides inflammables). Deux sont classés seuil « bas » : Extruplast (site chimique), PCE Amaltis (engrais).
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