CBD : Nouveau barrage sur le chemin des commerçants et des chanvriers
Le 30 décembre 2021, l’arrêté gouvernemental autorisant et encadrant la filière du chanvre s’est assorti de mesures restrictives qui ont surpris la profession. Allant à l’encontre des positions de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), l’arrêté pourrait être suspendu par le Conseil d’Etat. Dans l’attente du verdict, « lassés par ces batailles permanentes », chanvriers et commerçants contestent « une nouvelle forme de prohibition ».
Depuis le début de l’année les pétitions pullulent, certaines rassemblant plusieurs dizaines de milliers de signataires. En cause, un arrêté qui a frappé les nombreux professionnels d’une néo-filière, celle de la culture du chanvre puis de la commercialisation du canna- bidiol (CBD). Autorisant la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale des seules variétés de Cannabis sativa L. dont la teneur en THC n’est pas supérieure à 0,30%, ce qui laisse le champ libre au cannabidiol, l’arrêté s’accompagne toutefois de mesures qui immobilisent ces nouveaux acteurs économiques : l’obligation de contractualiser, en amont de la production, la vente des fleurs et feuilles de chanvre auprès d’industriels, et l’interdiction de vendre directement aux consommateurs fleurs ou feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients.
Une « interdiction justifiée à titre principal par des motifs de santé » et « par des motifs d’ordre public, pour préserver la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure de lutter contre les stupéfiants », précise la MILDECA (mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives). S’opposant à nouveau à la décision antérieure de la CJUE, qui spécifie notamment que le CBD ne peut pas être considéré comme un produit psychoactif ou nocif pour la santé, et tandis que de nombreux pays européens s’intéressent à l’utilisation du chanvre pour ses vertus thérapeutiques, l’arrêté est décrié par chanvriers et commerçants pour son caractère “incompréhensible” et “son incohérence”.
Une économie à l’arrêt
« On ne s’y attendait pas du tout. On s’est adaptés à l’arrêté, on venait de trouver un terrain pour nos serres et on a dû tout stopper, mais nous sommes dégoûtés par rapport à tout ce qu’on a entrepris, car il y a trois ans et demi on bataillait déjà pour les mêmes raisons, et car tout ça ne nous motive pas à réinvestir sans cesse et créer des emplois », rapporte Nourredine Boulabi, commerçant de CBD qui venait de s’établir en 2021 en tant que producteur chanvrier sur le secteur rochelais, aux côtés de Nordine Tsamen (voir RMØ à la Hune n°63 / La Rochelle à la Hune n°22).
Avec deux boutiques à La Rochelle et à Rochefort, trois salariés, puis trois franchisés sur l’île de Ré, Marans et Gérardmer, Nourredine Boulabi affiche autant sa lassitude que sa préoccupation, à l’instar de Nordine Tsamen, qui a pour l’instant conservé une enseigne ouverte au Château d’Oléron mais qui a déjà été contraint de licencier un employé puis de fer- mer boutique à Saint-Pierre d’Oléron. « Les gens ont arrêté de faire des commandes, certains commerces ont fermé, pas mal de professionnels sont en panique ; beaucoup de personnes ont investi dans ce nouveau commerce, la vente représentait 70 à 80% de nos chiffres d’affaires, et tout ça impacte donc des familles entières », relate-t-il avant d’ajouter : « c’est une véritable incohérence d’affirmer que le CBD est néfaste pour la santé, alors que la France initie un plan d’expérimentation thérapeutique sur la plante entière depuis un an, suite aux résultats positifs publiés par d’autres pays concernant de nombreuses pathologies ». Estimant tout aussi caduque l’argument de la fraude aux stupéfiants, Nordine Tsamen rappelle que d’autres états ont déjà recours à des tests peu onéreux, susceptibles de déceler les substances psychoactives et de différencier le THC du CBD en quelques instants.
« Protéger une agriculture indépendante et le CBD comme produit de consommation courante »
Dubitatifs et « encore sous le choc », les professionnels réunis sous l’éten- dard de l’Union des professionnels du CBD ont plaidé leur cause face au Conseil d’Etat vendredi 14 jan- vier, mais craignent une manœuvre aux origines plus larges, issue d’une volonté d’industrialiser la filière et de verrouiller son contrôle par l’Etat. « Il y a environ mille huit cents com- merces de CBD en France, et depuis quelques mois se sont installés de plus en plus de petits chanvriers. Je pense que tout le monde est un peu inquiet car tout ça semble indiquer que les gros industriels, les gros labo- ratoires veulent récupérer la filière », commente Nordine Tsamen. « Et que l’Etat veut largement la taxer », com- plète Nourredine Boulabi, qui jauge que la présidence française du conseil de l’Union Européenne jusqu’au 1er juillet 2022 n’est peut-être pas anodine dans ce contexte, et qui craint que cet arrêté n’incite paradoxalement les consommateurs à se retourner vers le marché noir.
« Tout ce qu’on avait investi tombe à l’eau, tout ce qu’on avait prévu de faire avec nos matières premières et des investisseurs locaux, idem. Nos avocats nous disent que la bataille continue car l’arrêté n’est pas consti- tutionnel et qu’il y a déjà eu des juris- prudences statuant sur la différence entre la fleur et le fruit. Mais même si le Conseil d’Etat nous donne raison dans les jours à venir, combien de batailles va-t-on encore devoir mener ?… », s’interroge Nordine Tsamen.
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