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Camping sur parcelles privées : l’impossible dialogue
S’il fut un temps où certains élus rétais tentaient de dialoguer avec les campeurs sur parcelles privées, celui-ci est révolu. Car au-delà de l’impact environnemental sont venus s’ajouter les risques « feu » et « submersion ». L’APIR* fait de la résistance, mais la pratique semble s’étioler. Explications.
Il n’est pas si lointain le temps où l’APIR tenait son AG dans une salle des fêtes communale, avec le maire s’exprimant à la tribune. A peine plus ancien, celui où un candidat aux municipales signait un protocole d’accord avec l’association, avec à la clé, écrit noir sur blanc, l’appel au vote en sa faveur !
L’exemple de Rivedoux
Léon Gendre, maire de La Flotte pendant 44 ans et bête noire de l’APIR, aime à rappeler qu’il fut précurseur dans son combat contre le camping sur parcelles privées et en fit inlassablement son cheval de bataille, avec certes des résultats judiciaires mitigés. Mais cette « guerre d’usure » comme la qualifie la présidente de l’APIR, Sylvie Geffré, a fait son oeuvre, puisque la pratique de camping-caravaning sur parcelles privées diminue inexorablement. « C’est certes dû à la verbalisation et aux décisions de justice, mais aussi au fait que de moins en moins d’enfants des propriétaires ont envie de venir en vacances sur les terrains, sans sanitaires ni électricité, cette pratique a correspondu à une époque », explique le maire de Rivedoux, Patrice Raffarin.
« J’ai essayé de dialoguer avec Sylvie Geffré, nos positions sont trop éloignées », rappelle le maire de Rivedoux, résumant en termes sobres ce que disent tous les maires de l’île concernés, parfois de façon plus abrupte. « En 2021, j’ai écrit à tous les campeurs sur parcelles privées que nous avons identifiés.» Ceci dans un contexte de pression de l’Etat dans le cadre du Plan de prévention des risques naturels (PPRN), « avec en 2021 un arrêté pris par le préfet au regard de l’importante sécheresse et du risque feu, interdisant l’accès aux massifs forestiers. », précise le maire. « Tous les ans la police municipale passe partout, s’arrête pour dialoguer, vérifie l’identité des occupants et n’hésite pas à dresser des PV d’infraction envoyés au Parquet qui ouvre une instruction. Le tribunal judiciaire délivre des pénalités délictuelles. Mais là où je suis intransigeant, au-delà du risque feu, c’est pour les parcelles en submersion marine. Le lendemain de Xynthia, en faisant le tour de la commune, j’ai vu les occupants d’une taupinière (habitat souterrain) sortir les matelas trempés. J’ai mandaté un cabinet extérieur pour délimiter la zone de submersion à Chauveau/Défend. Je suis intraitable sur le risque humain, nous avons recensé une quinzaine de taupinières sur la commune. Sylvie Geffré a osé dire « le maire profite de Xynthia pour mettre les campeurs dehors » et l’APIR a attaqué mon arrêté municipal de 2010 concernant l’interdiction de camping sur parcelles privées dans ces zones de submersion, nous avons gagné au tribunal administratif en 2011. La police municipale avertit les campeurs en infraction et leur donne deux ou trois jours pour partir. »
Une pratique s’étiolant au fil des générations
Ainsi à Rivedoux, alors qu’au plus fort de la pratique il y a une vingtaine d’années on recensait autour de 120 parcelles campées, nous constatons en cette mi-août en accompagnant le maire dans un tour des sites du Défend-Chauveau et des Bragauds qu’à peine une quinzaine de parcelles sont campées. Ce qui n’empêche pas certaines d’êtres entretenues. Il faut rappeler qu’il n’est pas interdit de pique-niquer ou jouir de son terrain en journée et que chaque propriétaire a l’obligation d’entretenir son terrain. « Le rapport de force institué entre la mairie et les campeurs n’explique pas tout, c’est aussi lié à un phénomène de société, où les vacanciers veulent plus de confort et d’écologie, le problème se règlera de lui-même. », conclut sur le sujet Patrice Raffarin.
A La Flotte, Léon Gendre et sa police municipale avaient recensé 340 parcelles correspondant à environ 1840 campeurs (soient 36 ha sur les 600 ha de bois de la commune) en 1980, en faisant le tour en 2022, il en a recensé environ 35. Le maire actuel, Jean-Paul Héraudeau, attend l’arrivée prochaine sur sa commune de deux gardes-champêtres pour prendre le sujet à bras le corps, à son tour. En attendant, il a fait apposer cet été, sur le chemin menant au terrain de la famille Geffré, un panneau d’interdiction de camping, sous le panneau d’interdiction de circuler installé par son prédécesseur, ce qui ne manque pas de la faire sourire… jaune.
Au Bois-Plage, Gérard Juin, qui a commencé à prendre en main le sujet avec son garde-champêtre, a envoyé environ 300 courriers correspondant aux parcelles répertoriées. « A fin juillet nous avons constaté qu’environ 90 familles sont venues camper, alors que les années passées on était à 140 campeurs sur parcelles privées. Reste à voir quelle a été la pratique en août. » On le voit bien, c’est au Bois-Plage où les précédents maires n’avaient pas traité le sujet, que la pratique reste encore la plus développée, même si elle commence là aussi à diminuer. L’actuel maire a recensé l’an passé les parcelles pour mettre à plat la situation, puis a écrit cette année pour informer les propriétaires concernés des risques de feu et de l’interdiction de camper sur leurs parcelles. « J’ai fait un rappel à la loi, je n’ai menacé personne d’expulsion, ni même de verbalisation, j’ai informé que la police municipale était déjà passée et que le garde-champêtre repasserait les voir, pour leur expliquer ce qu’ils risquaient. Si les parcelles ne sont pas nettoyées, s’il y a des pratiques dangereuses comme le barbecue, par exemple, j’ai informé qu’ils seraient verbalisés. Nous franchirons une marche supérieure l’an prochain, non pas en verbalisant systématiquement, mais en verbalisant les pratiques à risques. » La pression des services de l’Etat, qui suivent de près cette pratique au regard du risque incendie, n’est pas étrangère, ici comme ailleurs, à cette ferme reprise en main.
Au-delà de l’argument environnemental, la sécurité
A Loix, au lendemain de Xynthia, le maire a très vite réagi, nombre de ces parcelles ayant été en partie submergées. Depuis, la pratique de camping-caravaning serait devenue marginale. A Sainte-Marie et à La Couarde-sur-Mer aussi, Gisèle Vergnon et Patrick Rayton ont tenté de la réguler, la pratique y décroît.
Si historiquement certains maires, Léon Gendre en tête, ont combattu la pratique sur parcelles privées au nom de la préservation environnementale, avec une certaine tolérance des services de l’Etat et de la justice, le motif de la sécurité des personnes, avec les risques submersion puis incendie, devenus très prégnants, est devenu le premier leitmotiv des élus et a convaincu ceux encore hésitants à resserrer l’étau. A La Flotte, Léon Gendre et Jean-Paul Héraudeau ont bien gardé en mémoire le feu parti en 1958 de Sainte-Marie (à la suite d’un brûlage des chaumes) et arrivé aux portes de La Flotte, passant de cime en cime via les pommes de pins transformées en boules de feu, sans que les pompiers n’aient rien pu faire, brûlant ainsi en 48h près de 200 ha de forêt.
Un combat social
La famille Geffré, Sylvie en tête, qui préside l’APIR depuis 25 ans et la Fédération française des campeurs et caravaniers sur parcelles privées (FFCCPP) regroupant près de cinq mille adhérents sur le littoral atlantique, depuis une quinzaine d’années, continue le combat. « La pratique a commencé dans les années 1960 avec les premiers achats de terrain, en 1974 nos parents ont acquis notre parcelle à camper. En 1979, avant le classement de l’île à l’inventaire des sites pittoresques, il y avait près de deux mille parcelles campées et l’APIR rassemblait neuf cents adhérents. Les premières verbalisations datent des années 1988-1989 à La Flotte. Puis Xynthia en 2010 a été un alibi pour nous virer. L’APIR propose à tous ses adhérents une charte de qualité, elle encadre les pratiques et est très vigilante. On a proposé plusieurs solutions, la première étant le maintien sur nos terrains, encadré par cette charte. Ou alors, la loi de 1930 qui prévoit des dérogations à l’interdiction de camping sur parcelles privées, permettrait d’envisager un échange de parcelles à superficies égales, afin de créer des zones de regroupement. C’est ce qu’ont fait des élus du Morbihan, site dont la beauté n’a rien à envier à l’île de Ré. A Sarzeau, à Pénestin, à Saint-Gildas-de-Rhuys des solutions ont été trouvées. »
« Oui mais en Bretagne ces accords concernent des sites le long du littoral, pas en zone boisée », rétorque Léon Gendre. « La loi c’est la loi, aucune dérogation n’est possible sur l’île de Ré. », explique-t-il. Ce que confirment Lionel Quillet ou encore Patrice Raffarin. « A ma connaissance aucune dérogation n’est possible. J’ai interrogé les Services de l’Etat qui ont été très clairs à ce sujet, pas de dérogation possible. Et je ne vois de toutes façons pas les propriétaires de terrains en bord de mer accepter de les échanger contre des terrains dans les bois. », précise Patrice Raffarin.
Sylvie Geffré place le combat sur les terrains social et économique : « On fait tache dans le décor carte postale de l’île, on dérange cette image « perle de l’Atlantique ». Notre résistance est sociale, cette réglementation n’est pas juste, on a acheté des terrains à camper, en toute légalité, on ne peut se laisser spolier, il s’agit d’un engagement citoyen. Et les campeurs sur parcelles privés consomment sur l’île de Ré, parlez-en aux commerçants ! Nous sommes plus que personne en mesure d’assurer notre sécurité quand nous sommes-là, nous n’allons pas nous faire cramer nous-mêmes, nous rappelons régulièrement à nos adhérents qui représentent près de 90 % des campeurs sur parcelles privées que faire des feux vifs de type barbecue est interdit, tout comme jeter une cigarette, j’ai des extincteurs sur ma parcelle. »
« Les campeurs ne se soustraient pas aux procédures, on s’organise, on mutualise les frais, et on reste prêts à discuter. J’ai participé aux discussions sur le PLUi, mais dès que j’ouvrais la bouche ce n’était pas le moment, j’ai refusé de cautionner. »… Un PLUi qui in fine interdit le camping sur parcelles privées.
« On reste toutefois prêts à discuter, on souhaite qu’on nous donne les moyens d’entretenir nos terrains, les accès aux déchetteries nous sont refusés. On ne quittera pas l’île de Ré, à l’AG 150 personnes étaient présentes, reboostées à fond à la suite du courrier reçu par les campeurs du Bois-Plage, qui est une provocation, s’il faut bloquer le pont comme on l’a fait au début des années 1990 ou aller manifester à Paris, on le fera. »
Spoliation et atteinte au droit de la propriété ?
Le député Michel Crépeau et le maire de Loix Lionel Quillet, avaient, en leur temps, reçu les représentants des campeurs sur parcelles privées pour leur proposer de jouir de leur terrain jusqu’à leur décès, celui-ci étant ensuite soumis à la préemption de la collectivité concernée. C’est hors de question pour l’APIR qui parle de spoliation et a invoqué devant les tribunaux dans les années 2010 – via son avocat – une exception d’illégalité au regard de la non indemnisation pour compenser une remise en cause du droit de la propriété, en contradiction avec l’article 1 relatif au droit au respect des biens, du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Argument alors contré par le procureur au regard de la jurisprudence de la cour d’appel de Poitiers, confirmant la condamnation d’autres campeurs rétais en site protégé.
« On nous propose de racheter nos terrains à 1,07 € le m2. Notre terrain familial vaut ainsi 600 € ! Et on nous dit qu’il n’est pas constructible. Certes aujourd’hui, mais qu’est-ce qui nous dit que cela n’évoluera pas, regardez le projet de golf qui fut un temps envisagé à La Flotte ! D’expérience professionnelle, je connais l’incidence majeure des choix politiques des élus locaux, quelle que soit la réglementation nationale. L’enjeu est sociétal, économique et d’image, je peux comprendre les contraintes des élus, mais qu’on en parle, ce n’est pas devant les tribunaux que cela va se régler, on voit bien que là où des élus sont sensibles à notre cause, on trouve des solutions. On est là trois mois par an, on voit des maisons et terrains occupés à l’année bien mal entretenus. Cette lutte est sociétale, environnementale, je continuerai de la mener dans la ligne familiale. On milite pour une pratique raisonnée et raisonnable du camping sur parcelles privées, nous ne sommes pas jusqu’auxboutistes, nous voulons juste participer à la vie sur l’île de Ré. Il ne faut pas oublier qu’on est aussi électeurs… »
A ce dernier argument, ont pu être sensibles certains candidats, ici ou ailleurs en Bretagne, à Pénestin par exemple, où en 1995, à la veille des élections municipales, 187 campeurscaravaniers se sont inscrits sur les listes électorales et ont fait basculer le scrutin en faveur d’une liste amie… Pas sûr qu’aujourd’hui il serait encore entendu sur l’île de Ré. En tout cas, par les maires en place, qui estiment que le dialogue est devenu impossible, certes au regard de la fermeté de l’APIR mais aussi de l’impasse de la situation, aucune dérogation n’étant possible selon eux sur l’île de Ré, au regard de la sécurité et des positions de l’Etat. Aujourd’hui, chacun campe… sur ses positions.
*APIR : Association des propriétaires de terrains à vocation de loisirs et de vacances familiales sur l’île de Ré.
Droit du camping-caravaning sur parcelles privées
S’il était autorisé et s’est développé dans les années 1960, le camping-caravaning sur parcelles privées fut interdit à compter du 20 octobre 1979, date d’inscription de l’île de Ré à l’inventaire des sites pittoresques. Interdiction renforcée par les classements successifs de l’île en 1988, 1990 et 2000, concomitants à l’ouverture du Pont de l’île (1988) afin de la protéger au plan environnemental.
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Je suis héritière d un terrain a st Martin au vert clos j’aimerais savoir si il est possible de faire une association pour la protection des oiseaux du littoral sur mon terrain