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Assemblée générale ordinaire d’une coopérative… qui ne l’est pas
En ce vendredi 3 mai 2019, il est un peu plus de 9h dans la salle des mariages de la mairie d’Ars en Ré, baignée par le soleil béni des sauniers, lorsque Loïc Abisset, en maître de cérémonie, probe en tout point, brosse à grands traits l’état des lieux après cet exercice 2018.
La salle est comble, tous ou presque sont venus. Le quorum est réuni, 37 signataires, 13 pouvoirs. Un directeur de séance, deux scrutateurs.
Le faire face des sauniers rétais dans une conjoncture difficile…
Les enjeux sont importants, vitaux. La pérennité de la filière locale salicole et de son porte étendard rétais, la Coopérative des sauniers de l’île de Ré est en balance, comme nous le fît comprendre à mi-mots le Commissaire aux comptes de cette dernière, Marc Claverie, un peu plus tard dans la matinée.
« A l’heure où l’on exhorte les vertus d’un capitalisme régulé et où l’on invite les opérateurs économiques à sortir du paradigme traditionnel « Etat-marché » et à mettre de côté leur cupidité, où l’on prédit l’instauration d’entreprises relationnelles où le profit ne sera plus qu’une contrainte et non une finalité, où l’on appelle à plus de démocratie en entreprise et où l’on incite le salarié à devenir actionnaire de son entreprise, nous avons toutes les chances de croire que le modèle coopératif a des atouts et même quelques longueurs d’avance à faire valoir ».(1)
Voilà ce que démontrent les sauniers rétais, la conviction des acteurs présents et absents, de ces sauniers suant sang et eau chaque année pour nous procurer l’or blanc de Ré, de leurs compagnes, de leurs ami(e)s qui transparaissait au travers tous les discours, tous les regards, toutes les postures. Chacun est présent pour lui et pour tous. L’année 2018 a été faite de remises en question, de réajustements, de remises en ordre de bataille, en état, de réorganisation, de prolongations des combats dans un contexte économique défavorable à la consommation, notamment dans le secteur de la grande distribution et au cours d’une année qui fut l’occasion de remaniements politiques et humains important à la coopérative et d’une reprise en main commerciale. Cependant, au prix d’efforts de tous les instants et grâce à la solidarité qui leur est si chère, les sauniers ont su rétablir l’assiette et peuvent envisager l’avenir l’espoir au ventre, tête sur les épaules.
Les résultats ne sont certes pas à la hauteur de leurs attentes. La trésorerie fait cruellement défaut. Les ventes de Fleur de sel sont en baisse par rapport à 2017. Une coupe du monde de football, des résultats du baccalauréat tardif et l’arrivée des estivants s’en est trouvé retardée à la troisième semaine de juillet entrainant une baisse de l’activité commerciale sur l’île, ressentie par l’ensemble des acteurs économiques, de l’ordre de 30 %. La reconquête commerciale, les négociations avec les centrales de distribution, avec les opérateurs nationaux et régionaux, prennent du temps et la relance des commandes ne s’est faite jour qu’au cours du dernier trimestre 2018. Une réussite donc, malgré tout, bien que tempérée, encore, en décembre, par des problèmes de livraison, d’approvisionnement (empêchant des renouvellements de commandes) du fait de la rupture d’un câble sur le pont de Ré et des travaux en cours interdisant la circulation de camions de plus de 38 tonnes, des troubles liés au mouvement des gilets jaunes, et d’autres joyeusetés logistiques comme l’inventaire… Pratiquement une semaine de facturation en moins pour ce dernier mois de l’année.
Il n’en reste pas moins qu’avec une récolte 2018 exceptionnelle – 4200 tonnes brutes pour le gros sel et 134 tonnes brutes pour la Fleur de sel – grâce à la conjonction de conditions climatiques particulièrement favorables, d’investissements réalisés sur les marais, du savoir-faire et de l’engagement des membres de la coopérative, les stocks constitués sont importants et le redémarrage commercial – notamment la signature d’une convention avec Lidl sur les territoires de France et de Belgique après neuf moins de tractations – fait augurer des perspectives 2019 des plus rassurantes. La relance s’est maintenue au premier trimestre de cette année, confirmant ces espoirs.
Parole est donnée par Loïc Abisset à Dorothée Kendall, directrice depuis le 5 février 2018, femme entrepreneur à l’expérience et aux valeurs bien trempées. Après avoir égrené jusque dans le détail les chiffres de l’exercice, mis en lumière entre autres l’augmentation en volume de la production du gros sel et la baisse du retour sur investissement, elle rappelle qu’après une année d’efforts, les bénéfices escomptés ne sont certes pas au rendez-vous mais que, usant d’une métaphore toute horticole, bien que pour les fleurs il faille attendre, « les semences ont pris, les tiges commencent à pousser ». Elle encourage les troupes.
Marc Claverie, Commissaire aux comptes a certifié que les comptes de la coopérative étaient « réguliers et sincères » et bien que relevant lui aussi l’existence des difficultés que traversait celle-ci, il a semblé abonder dans le sens de Dorothée Kendall et du collectif.
Les efforts soutenus des communicants tout au long de cette année, en direct ou par internet, la possibilité nouvelle de vente directe pour chaque adhérent-coopérateur d’une partie de ses produits, petite révolution, les marchés, créent et recréent du lien entre sauniers et estivants, favorisant l’ensemble du secteur salicole.
Concernant les travaux en marais salant, l’action conjuguée de Lionel Quillet en sa qualité de vice-président du conseil départemental et du président de l’APSIR (Association des Producteurs de Sel de l’Ile de Ré) a permis d’apporter un peu d’oxygène aux saliculteurs même si des doutes persistent quant à la pérennité des financements futurs. Quoiqu’il en soit de nombreuses améliorations techniques et de sécurité ont d’ores et déjà été apportées tout au long de cette année 2018 et les efforts se poursuivront.
Dans un marais politique et juridique contraire…
M. Olivier Falorni, député de la 1ère circonscription de Charente- Maritime et membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, ayant été retenu à la Rochelle ce vendredi matin, c’est finalement Sébastien Arzalier, l’un de ses trois assistants parlementaires, qui parlera en son nom. Il revint sur l’un des chevaux de bataille du député, la reconnaissance du statut d’agriculteur aux sauniers, qui leur est refusée depuis le traité de Rome de 1957 et l’établissement du marché commun. Le président de la Communauté de Communes, M. Lionel Quillet et le président Loïc Abisset également. La culture du sel n’est en effet pas reconnue comme activité agricole. Ils sont cependant assimilés à des agriculteurs à deux niveaux. D’abord par le régime social dont ils dépendent : l’activité d’exploitation de marais salant est rattachée aux activités de culture ouvrant droit à l’affiliation au régime de protection sociale des non-salariés des professions agricoles.
Ensuite par le régime fiscal dont ils relèvent : les exploitants sont soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices agricoles. La non-reconnaissance de leur statut d’agriculteur, au prétexte fallacieux – puisqu’ils sont des acteurs essentiels au maintien et à la protection de la biodiversité – que leur activité ne serait liée ni au végétal ni à l’animal, leur est particulièrement préjudiciable puisqu’ils sont dès lors exclus d’un certain nombre de dispositifs : aides à l’installation, reconnaissance des organisations de producteurs, régime des calamités agricoles, exonération de la taxe foncière sur les bâtiments agricoles…
M. Falorni avait proposé une loi allant dans le sens de la reconnaissance du statut d’agriculteur aux sauniers le 22 novembre 2017. Elle fut renvoyée à la commission économique, amendée et… l’obtention du statut d’agriculteur, qu’aurait permis l’amendement de M. Falorni, refusée au titre de l’article 40 de la constitution. Pour les membres de la coopérative, qu’une telle loi proposée par un bord politique autre que celui de la majorité en place n’était pas au goût de cette dernière et explique, bien mieux que le juridique, les raisons de cette fin de non-recevoir…
Et qui tenant bon, toujours, trouvent des solutions
Il n’en reste pas moins qu’une avancée notable se profile. En effet, jeudi 9 mai, une proposition de loi pour la protection foncière des activités agricoles et des cultures marines en zones littorales, modifiée par le sénat, et émanant du groupe Modem et de la majorité permettra aux sauniers d’être assimilés au statut d’agriculteur.
Lionel Quillet ajoute que la saliculture n’étant pas considérée comme une activité agricole, ni les marais salants, ni les bâtiments affectés à la production du sel qui en est issu ne sont pleinement considérés comme des biens à usage agricole soumis au droit de préemption des SAFER. La reconnaissance de la saliculture comme activité agricole permettra donc aux SAFER de préempter des terrains ou des bâtiments qui auraient été utilisés pour l’exploitation salicole pendant une durée de vingt années (et plus cinq à l’issue du passage de ce texte : les SAFER ne peuvent préempter des bâtiments ayant eu un usage agricole pour leur rendre un tel usage que si cette activité agricole a été exercée au cours des cinq années précédant l’aliénation. Il suffit donc aux propriétaires de bâtiments agricoles d’attendre cinq ans pour éviter une préemption par les SAFER et revendre leur bien plus cher à des non-professionnels…) précédant leur aliénation, afin de leur redonner un usage agricole, permettant par là même une meilleure protection de la saliculture en zone littorale. Les saliculteurs y sont, en effet, confrontés aux mêmes pressions touristiques, démographiques et foncières que les autres agriculteurs.
Loïc Abisset est revenu sur le dossier IGP (Indication Géographique Protégée) Camargue. La méthode de récolte de la fleur de sel est essentielle. Elle doit se faire en surface des marais salants exclusivement. Au fond du marais ce n’est en effet pas de la fleur mais du gros sel que l’on récolte. En Camargue, la méthode employée, du presque dragage, mêle les deux produits. La coopérative a épuisé les voies de recours interne avec un dernier recours auprès du Conseil d’Etat afin de geler l’IGP Camargue. Malgré le fait que cette démarche ne soit en définitive que dilatoire, Loïc s’est montré assez confiant. D’une part, l’obtention du label STG (Spécialité Traditionnelle Garantie) est en bonne voie avec un resserrement des critères les plus discriminants et d’autre part un certain nombre de pays européens, notamment le Portugal, la Slovénie, l’Espagne, la Croatie ont inscrit dans leur législation une définition de la fleur de sel liée à sa méthode d’extraction en parfait accord avec le point de vue de la coopérative. Ces Etats, afin de protéger leur propre production d’une concurrence déloyale, peuvent encore, eux, agir à l’échelon européen.
(1) Revue internationale de l’économie sociale, « Droit coopératif, es-tu là ? », L.Gros et C. Naett, RECMA, Dossier – Droit, coopératif, n°317, Août 2010, page 25.
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