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Arnaud Laraize, un procureur déterminé
Ayant succédé à Laurent Zuchowicz en septembre 2023, le procureur de la République Arnaud Laraize a reçu Ré à la Hune en ce début d’année 2025, pour faire le point sur les actions mises en place depuis son arrivée, les résultats déjà obtenus et ses priorités.

Ré à la Hune : Lors de votre audience solennelle de rentrée, en janvier 2024, vous vous êtes fixé pour objectif d’ « améliorer la justice du quotidien », ce qui passe notamment par une plus grande célérité de celle-ci. Qu’en est-il un an après ?
Arnaud Laraize : Oui celle-ci passe par le raccourcissement des délais d’enquête mais aussi de convocation et de jugement. On a ainsi engagé une réduction de ces délais de plusieurs façons. Nous avons mis en place une organisation spécifique pour les enquêtes préliminaires, avec traitement sur site. Chaque semaine le parquet se déplace alternativement en gendarmerie ou commissariat de police. On passe directement en revue avec les gendarmes ou les policiers le « portefeuille » des dossiers en stock, ils nous demandent quelles orientations donner aux actes d’enquête, quelles investigations supplémentaires mener… On traite ainsi sur place cinquante (gendarmerie) à cent (police) dossiers en une demie journée. Cela nous permet de réduire les stocks, on évite les allers-retours et appels téléphoniques entre nous et les échanges verbaux facilitent souvent la compréhension de dossiers qui deviennent trop complexes lors d’échanges écrits. Ainsi, on traite beaucoup plus qualitativement et quantitativement de dossiers. Au commissariat de Rochefort, on est passé en un an de 2500 procédures en stock à 1800, soit une baisse d’un tiers.
Les délais d’audiencement rochelais devaient aussi être réduits. En septembre 2023, la majorité des délais de convocation dépassaient les huit mois et atteignaient même onze mois et demi au tribunal de police. Aujourd’hui, nous convoquons en alternative aux poursuites à un mois, en ordonnance pénale à deux mois tout comme au tribunal de police et en juge unique de droit commun, en collégiale à quatre mois et en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) à quatre mois. Il ne reste plus que la juge unique route dont les délais qui sont encore à huit mois méritent toujours un effort. Pour cela, les magistrats du siège sont très regardants sur les demandes de renvois et maintiennent les audiences correctionnelles malgré les vacances de poste. Le parquet utilise aussi tous les leviers d’orientations possibles : alternatives aux poursuites, multiplication des ordonnances pénales passées de 1600 à 2000 par an et qui sont plus rapides qu’une audience. Les audiences de CRPC sont passées d’une à deux par mois. On a aussi multiplié les défèrements : de 160 en 2022 ils sont passés à 250 en 2024.
Ainsi l’objectif est atteint, à part pour la juge unique route. On va beaucoup plus vite à La Rochelle qu’au niveau national, où les délais de convocation se dégradent encore. Tout cela a demandé un engagement professionnel extrêmement important de la part de chacun, je remercie l’équipe de cet effort soutenu.
La lutte contre les violences conjugales et intra-familiales était une autre de vos priorités affichées. Quelles sont les actions déployées ?
Nous réunissons toutes les trois semaines les comités de pilotage VIFS, créés par décret fin 2023. Enquêteurs, CIDFF*, parquet, magistrats du siège, juge aux affaires familiales, juge des enfants y participent et passent au crible les situations individuelles. J’avais aussi annoncé mon ambition de doubler le nombre de téléphones grave danger (TGD) attribués à des femmes victimes de violences conjugales. Nous sommes ainsi passés d’une vingtaine en 2023 à une cinquantaine de TGD actifs en janvier 2025.
Nous avons également signé une convention avec le CIDFF* mettant en place la contribution citoyenne, nouvel outil extrêmement efficace parmi ceux des alternatives aux poursuites. Le principe : une fois l’affaire terminée, elle est classée, sous réserve que le mis en cause verse une contribution monétaire (pouvant aller jusqu’à 1500 €) à une association d’aide aux victimes conventionnée, en plus d’autres obligations. Ainsi, en 2024, ce sont 10 K€ qui ont été versés au CIDFF au titre de cette contribution. Et je souhaite voir cette somme doubler en 2025, tant le travail et les besoins du CIDFF sont importants dans l’aide aux victimes et leur prise en charge.
Les violences intrafamiliales ont augmenté certes de 6,8 % en 2024 en Charente-Maritime, croissance toutefois un peu moins forte que les deux années précédentes.
Nous avons aussi créé en septembre 2024 le comité de pilotage des mineurs victimes, qui se centre sur la situation des enfants et maltraitances qu’ils subissent. Il se réunit également toutes les trois semaines, avec une approche pluridisciplinaire.
Une convention avec l’Education nationale signée à l’automne 2024 permet de mieux procéduriser les informations préoccupantes en matière de violences sur mineurs et mieux définir et traiter le harcèlement scolaire. Les chefs d’établissement alertent le DASEN, qui sait comment gérer avec plus de réactivité et plus qualitativement le signalement au parquet.
La protection des élus fait aussi partie de vos priorités ?
Oui il s’agit de développer une meilleure prise en charge des élus victimes d’atteinte à la personne ou de faits commis sur leur commune. Nous avons apporté une réponse ferme et rapide, j’ai multiplié ma présence aux conseils locaux de prévention de la délinquance et nous avons été davantage à leur écoute. J’ai aussi mis en place au parquet une adresse mail dédiée aux élus, avec un attaché de justice qui s’y consacre.
Quelles sont les spécificités de notre territoire, ayant un impact sur les activités du parquet ?
Notre zone littorale bien sûr et les infractions en matière de droit maritime, pêche, y compris sur l’estuaire de la Charente. On est sur des domaines très techniques. En matière environnementale, on a beaucoup de zones classées et/ou protégées, où la réglementation est différente et les polices différentes, où nos interlocuteurs, sont la DDTM, l’OFB ou encore l’ONF*. La lutte contre les atteintes à l’environnement faisait partie de mes priorités, et grâce à ma procureure adjointe, Madame Debas, spécialisée sur ces domaines, nous avons concrétisé la réalisation de cet objectif en édictant une nouvelle doctrine locale de compétence du pôle régional environnemental. Ainsi nous prenons davantage de dossiers des collègues d’autres parquets. Nous avons pris en mars dernier des instructions de politique pénale en matière environnementale et maritime destinées aux services d’enquête. En 2024, nous avons installé et réunissons régulièrement les COLDEN, comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale.
Autre forte spécificité, l’activité estivale et la multiplication par dix de la population sur le littoral, qui entraîne forcément une augmentation des infractions. Les effectifs de force de sécurité augmentent, le parquet doit gérer cet afflux sans moyens supplémentaires et a reçu encore 28 300 PV en 2024, avec un étiage à environ 7500 affaires poursuivables, avec plus d’ordonnances pénales, plus de défèrements au parquet, etc. S’il y a encore dix ans, les dossiers étaient pris généralement en charge sur le lieu de domicile du mis en cause, désormais on s’oriente essentiellement sur le lieu de l’infraction.
La présence des maisons centrales de Saint-Martin de Ré et de Rochefort génère aussi une activité importante au parquet de La Rochelle.
Parmi vos priorités en 2025, la lutte contre le narcotrafic figure en bonne place. Comment explique- t-on la banalisation de la consommation de cocaïne et autres substances ?
Le prix de la cocaïne s’est effondré, les lieux de vente se sont multipliés, la consommation s’est banalisée dans toutes les couches de la société. La lutte contre les trafics de stupéfiants et contre le blanchiment nécessite d’assécher le marché, ce qui passe par une politique tout à la fois préventive et répressive vis-à-vis des usagers. Il faut arrêter de banaliser la consommation de produits stupéfiants, qui ont des effets délétères aussi sur les autres, notamment sur les routes, où l’on voit de plus en plus de conducteurs sous leur emprise. La réponse n’est pas que pénale, elle est aussi préventive et en matière de prise en charge sanitaire… Nous allons travailler particulièrement sur ce sujet en 2025 avec nos équipes, en concertation avec le préfet (lire notre article en page 11).
Vous appelez de vos voeux un renfort humain. Manque-t-on de procureurs en France ou est-ce une question de moyens affectés à la Justice ?
Il n’y a pas de problème de vocation dans notre métier, mais un sous-effectif et un manque de moyens. Avec 3,2 procureurs pour cent mille habitants en France (en 2022), on est très en deçà de la médiane européenne, située à 11,2. A La Rochelle, il faut absolument améliorer nos conditions de travail, en matière pénale, par la mise en oeuvre du projet de restauration complète de notre salle d’audience correctionnelle, il nous manque que le “ go” du Ministère. La poursuite des efforts locaux en matière de délais de jugement, de réduction des stocks, de fermeté et célérité dans les orientations pénales ne peut être soutenue que par un renfort humain, prévu dans la loi de programmation.
Localement, nous avons besoin d’un 9ème poste. Le parquet rochelais à 8, c’est trop tendu., nous avons besoin d’un 9ème poste.
Qu’est-ce qui plaide à vos yeux en faveur d’une réforme constitutionnelle du statut du parquet ?
Il s’agit de confier au Conseil supérieur de la magistrature, et non au Garde des Sceaux, le pouvoir de décision en matière disciplinaire à l’égard des magistrats du ministère public, et surtout de soumettre leur nomination à un avis conforme de cet organe constitutionnel, et non plus simplement consultatif. Le statut précaire du parquet est critiqué par les juridictions suprêmes européennes et entraîne une complexification de la procédure pénale.
Comment à une fonction telle que la vôtre on parvient à absorber la noirceur de l’âme humaine et à gérer la pression ?
Je suis motivé par le fait de rendre la justice, de protéger la société, d’essayer de remettre sur le droit chemin ceux qui dévient, de les réinsérer. S’il n’y a pas de justice, alors il n’y a ni société, ni démocratie. Un procureur est un rempart contre l’arbitraire. Et puis, je ne suis pas soumis à la pression que peuvent subir les procureurs antiterroristes.
Protéger les victimes, améliorer notre société, faire reconnaître l’état de victime, faire émerger la vérité juridique, mais aussi, grâce à l’arsenal des mesures judiciaires, accompagner des multirécidivistes en matière de consommation d’alcool sur la voie du sevrage, mener des démarches coercitives mais aussi de réinsertion, tout cela est très motivant.
Je crois beaucoup au Travail d’intérêt général (TIG), extrêmement utile à la fois pour la société et pour le mis en cause, par exemple dans le domaine environnemental…
Vous habitez l’île de Ré, est-ce à dire que vous appréciez notre territoire insulaire ?
C’est surtout que cela m’éloigne un peu du centre de La Rochelle, me permettant un certain anonymat salvateur dans ma vie privée !
En général, combien de temps restez- vous en poste ?
Un procureur ne reste pas plus de sept ans dans un parquet, pour ma part j’apprécie de changer tous les trois ou quatre ans.
*CIDFF : Centre d’information sur les droits des femmes et des familles / DDTM : Direction départementale des territoires et de la mer / OFB : Office français de la biodiversité / ONF : Office national des forêts.
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